Avec 89,3 % du produit intérieur brut, la dette publique de Maurice frôle le seuil critique. Les économistes appellent à des mesures audacieuses : contrôler les dépenses, stimuler la croissance et investir intelligemment pour atteindre l’objectif de 75 % en trois ans.
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Le niveau de la dette publique mauricienne poursuit sa progression. Selon les chiffres disponibles, elle est passée de Rs 628 milliards en mars 2025 à Rs 654 milliards en septembre de la même année. Dans le même temps, le ratio de dette par rapport au produit intérieur brut (PIB) a légèrement augmenté, passant de 88,5 % en juin à 89,3 % en septembre 2025. Cette évolution relance le débat sur la soutenabilité de l’endettement du pays et sur les marges de manœuvre budgétaires du gouvernement.
L’agence de notation Moody’s avait déjà attiré l’attention sur la gestion de la dette publique mauricienne dans un rapport publié en décembre 2024. Ce document faisait suite à la publication par le nouveau gouvernement du rapport The State of the Economy. Il dressait un état des lieux de la situation économique et financière du pays après l’alternance politique.
Selon Moody’s, les divergences observées dans les données économiques révélées par cet audit compliquent les efforts d’assainissement budgétaire. L’agence notait que la transparence affichée par le gouvernement et son engagement en faveur des réformes budgétaires constituaient des signaux positifs. Toutefois, elle insistait sur le fait que la crédibilité de ces engagements dépendrait de leur mise en œuvre effective.
L’audit présenté le 10 décembre 2024 par le Premier ministre Navin Ramgoolam avait mis en évidence plusieurs ajustements importants. La croissance réelle du PIB pour 2023 a été révisée à 5,6 %, contre 7 % prévue précédemment. Le déficit budgétaire pour l’exercice 2025, qui se termine en juin 2025, a lui aussi été revu à la hausse : 6,7 % du PIB, au lieu de l’objectif initial de 3,4 %. Cette révision s’explique en grande partie par des recettes inférieures aux prévisions lors de l’exercice 2024, ce qui a réduit la base de revenus pour l’année suivante.
Toujours selon Moody’s, environ deux tiers de l’augmentation du déficit découlent de cette faiblesse des recettes, le reste étant attribué à la baisse des droits d’accise et des dividendes, ainsi qu’à l’accroissement des dépenses publiques. Les réductions dans les investissements publics n’ont compensé cette hausse qu’en partie. On estimait qu’en juin 2024, la dette du secteur public représentait 83 % du PIB, contre 78 % auparavant.
Des perspectives plus prudentes
Lors de la confirmation de la note souveraine Baa3 stable en juillet 2025, Moody’s anticipait une croissance économique de 5,9 % pour l’année, permettant un redressement graduel des finances publiques. Cependant, les conclusions de l’audit de décembre risquent de ralentir ce processus d’assainissement. Elles maintiendraient ainsi la dette de Maurice à un niveau plus élevé que celui observé chez d’autres pays de même notation.
L’agence de notation Moody’s avait attiré l’attention sur la gestion de la dette publique mauricienne dans un rapport publié en décembre 2024.»
L’agence souligne également la réduction des fonds spéciaux du gouvernement, qui constituaient jusque-là des marges de sécurité budgétaires. Leur utilisation passée pour financer certaines dépenses a rendu plus complexe le suivi réel du redressement budgétaire. L’audit a aussi mis en évidence un écart croissant entre les cotisations à la Contribution sociale généralisée (CSG) et les paiements effectués par ce fonds, ce qui pourrait accroître la pression sur les dépenses sociales dans les années à venir.
Il était également souligné que plusieurs entreprises publiques connaissent une dégradation de leur situation financière, nécessitant un soutien gouvernemental accru ou représentant des risques budgétaires potentiels. Ces constats renforcent l’idée qu’une action rapide et coordonnée est nécessaire pour stabiliser les comptes publics.
La position du gouvernement
Navin Ramgoolam a affirmé sa détermination à ramener la dette publique à 60 % du PIB à moyen terme et à atteindre l’équilibre budgétaire primaire. Son gouvernement, qui dispose d’une majorité confortable au Parlement, considère cet objectif comme une étape essentielle pour restaurer la stabilité budgétaire et la confiance économique.
Toutefois, la réussite de cette stratégie dépendra largement de la capacité à exécuter les réformes annoncées, en particulier celles qui visent à réduire la dette sans compromettre les dépenses sociales. La question de la croissance reste centrale dans ce processus : sans expansion suffisante de l’activité économique, le poids relatif de la dette risque de continuer à augmenter.
La dette dans son contexte économique
Les récents chiffres publiés par le ministère des Finances indiquent que le niveau de la dette publique à Maurice poursuit sa courbe haussière. Elle se chiffre à Rs 654 milliards en septembre 2025 contre Rs 628 milliards en mars dernier. Le ratio de dette par rapport au produit intérieur brut (PIB) est passé de 88,5 % en juin à 89,3 % en septembre 2025.
Pour Gérald Lincoln, associé directeur d’EY Mauritius, il convient de relativiser les chiffres absolus et de considérer la dette en proportion du PIB. Selon lui, un ratio de 89 % demeure élevé pour un pays comme Maurice, indiquant une situation de surendettement. Il précise, cependant, que la soutenabilité dépend surtout de la capacité du pays à générer de la croissance.
« Certains pays, comme Singapour, affichent des ratios supérieurs à 100 % de leur PIB, mais leur forte croissance leur permet d’absorber le poids de leur dette », explique-t-il. Pour Maurice, le défi est donc de stimuler la croissance économique. Gérald Lincoln estime que le taux de 3 % visé par les autorités reste modeste, et qu’il faut envisager de nouveaux moteurs de développement. Selon lui, le budget 2025-26 ne comporte pas de mesures innovantes en ce sens. « Nous avons besoin d’une feuille de route claire et de nouveaux pôles de croissance », affirme-t-il.
Prudence des économistes
L’économiste Chandan Jankee rappelle que le seuil de 60 % du PIB est souvent considéré comme un repère de prudence en matière d’endettement public. Le dépassement actuel de ce seuil « peut avoir un impact sur l’économie, en particulier sur le service de la dette et la capacité à emprunter pour financer des investissements ».
Il explique qu’une dette plus élevée implique une part croissante des ressources publiques consacrée au remboursement des intérêts, ce qui réduit la capacité de l’État à financer des dépenses productives. Chandan Jankee reconnaît, toutefois, que la hausse de la dette durant la pandémie de Covid-19 était difficilement évitable. Il précise : « Maurice a dû s’endetter pour préserver l’emploi et soutenir l’économie ». Il juge aujourd’hui que la volonté de réduire la dette est un objectif pertinent, à condition que les politiques économiques soient cohérentes et accompagnées d’une croissance durable.
De son côté, Tahir Wahab, observateur économique, estime que le pays approche un seuil critique avec une dette frôlant 90 % du PIB, d’autant que la croissance nominale reste faible, autour de 2 %. Selon lui, cela signifie que la dette augmente plus vite que la richesse nationale. Cela réduit les marges de manœuvre du gouvernement et fragilise la soutenabilité à long terme.
Tahir Wahab note, cependant, que la majorité de la dette récente est contractée sur le marché domestique, ce qui limite l’exposition du pays aux fluctuations des devises étrangères. Une dette extérieure plus importante aurait, selon lui, accru la vulnérabilité de l’économie en cas de dépréciation de la roupie.
L’économiste et stratégiste Shaffick Hamuth partage l’avis que le niveau de 89,3 % du PIB constitue un signal préoccupant si la productivité n’augmente pas. Il estime néanmoins que la situation reste gérable à condition d’améliorer la performance économique. « La vraie question est de savoir comment y parvenir », souligne-t-il, évoquant la nécessité de repenser les priorités économiques pour soutenir une croissance plus robuste.
Entre contraintes et perspectives
Les débats autour de la dette publique mauricienne mettent en évidence un équilibre délicat entre discipline budgétaire et soutien à l’activité économique. La stratégie gouvernementale repose sur deux leviers : la maîtrise des dépenses et la relance de la croissance. Or, ces objectifs peuvent entrer en tension, surtout dans un contexte où les marges fiscales sont limitées et où les besoins sociaux demeurent importants.
Pour de nombreux analystes, l’enjeu principal réside dans la qualité de la dépense publique. Il ne s’agit pas seulement de réduire le déficit, mais d’allouer les ressources à des investissements susceptibles de renforcer la productivité et la compétitivité du pays. Les secteurs de la technologie, des énergies renouvelables, de l’éducation et de la logistique sont souvent cités comme des domaines à potentiel.
Ces mesures prises pour contrôler les dépenses
Chandan Jankee souligne deux mesures majeures que le gouvernement actuel a prises pour réduire les dépenses ainsi que la dette publique : la réforme graduelle de l’âge de la pension de vieillesse, et l’élargissement de la base fiscale. « Le gouvernement a introduit de nouvelles taxes sur certaines entreprises, abaissé le seuil de la TVA et supprimé plusieurs allocations. Ces décisions visent à augmenter les revenus de l’État, condition essentielle pour contenir la dette », soutient-il.
Cependant, Chandan Jankee met en garde contre les limites de cette stratégie. « Avec la croissance en baisse, les activités économiques ralentissent, ce qui limite la capacité d’augmenter les recettes fiscales », fait-il ressortir. Parallèlement, poursuit-il, le gouvernement tente de freiner ses dépenses, notamment à travers la mise en place d’un Audit Committee pour renforcer la surveillance des institutions publiques.
« En augmentant ses revenus, le gouvernement peut réduire la dette publique, car il peut utiliser ces fonds pour financer l’État-providence », affirme-t-il. Toutefois, il insiste : les dettes doivent financer des investissements productifs tels que formation, innovation, infrastructures et non la consommation courante.
Pour sa part, Tahir Wahab avance que le niveau d’endettement est d’autant plus scruté que la dette publique a été l’un des principaux arguments avancés pour justifier les réformes des pensions. « La population suit donc ces chiffres de près, parfois avec appréhension, craignant que toute nouvelle dérive de la dette puisse entraîner de nouvelles mesures d’austérité sociale et éliminer le ‘welfare state’ graduellement », dit-il. De plus, il avance que Moody’s suit de près la trajectoire budgétaire et peut impacter notre notation souveraine et le coût du financement.
Objectif de 75 % du PIB : une réduction de la dette conditionnée à la croissance
Le gouvernement mauricien s’est fixé pour objectif de ramener la dette publique à 75 % du PIB d’ici trois ans, avant de viser 60 % à plus long terme. Un cap jugé atteignable par plusieurs économistes, mais à condition que la croissance économique suive et que les réformes budgétaires soient appliquées avec rigueur.
Pour Chandan Jankee, économiste, la réduction du ratio d’endettement dépendra avant tout du dynamisme de l’économie. « Si la croissance s’accélère, c’est possible. Mais avec un taux autour de 3 %, cela restera difficile », explique-t-il. Selon lui, Maurice doit impérativement stimuler la productivité, créer davantage de richesse et mieux maîtriser ses dépenses publiques.
Il estime aussi que des mesures d’austérité ciblées pourraient être envisagées, tout en recherchant un meilleur équilibre fiscal. « Il faudrait taxer davantage les hauts revenus et les grands projets immobiliers », suggère-t-il, soulignant la nécessité d’une répartition plus équitable de l’effort budgétaire.
De son côté, Tahir Wahab partage l’idée que la cible de 75 % du PIB en trois ans est envisageable, mais ambitieuse. Il estime que le succès dépendra largement d’une reprise solide de la croissance. « Si celle-ci reste faible, la réduction du ratio dette/PIB sera mécaniquement plus difficile », observe-t-il.
Tahir Wahab rappelle que Maurice, contrairement aux grandes économies, ne dispose ni d’une monnaie de réserve ni de marchés financiers profonds, ce qui réduit ses marges de manœuvre. Il plaide pour une discipline budgétaire rigoureuse. Celle-ci serait associée à un soutien accru à l’investissement productif, à l’innovation et aux exportations, afin de maintenir la confiance des marchés.
Selon lui, la dette ne doit pas être diabolisée, mais utilisée de manière stratégique. « Elle peut être nécessaire, mais il faut diversifier les moyens de financement, notamment par des partenariats public-privé pour les infrastructures », explique-t-il.
L’économiste recommande également un suivi strict des plafonds de déficit et de dette, la restructuration des entreprises publiques déficitaires et un meilleur contrôle des projets publics afin d’éviter les dépassements de coûts. « Stimuler l’investissement productif, accélérer la transformation digitale et diversifier les exportations sont essentiels », ajoute-t-il.
Volonté politique
Pour Shaffick Hamuth, économiste et stratégiste, tous les gouvernements ont formulé le même objectif, sans véritable changement structurel. « On s’est endetté pour des raisons économiques ou électorales, souvent sans planification stratégique », déplore-t-il.
Il souligne la nécessité de définir clairement la finalité de chaque emprunt : s’agit-il de financer la consommation, l’administration ou des infrastructures durables ? Selon lui, la volonté politique reste la clé pour atteindre les objectifs fixés. « Dans certains cas, une dette supplémentaire peut être utile. Par exemple, étendre le métro vers Riche Terre, Pamplemousses ou St Pierre renforcerait sa viabilité », indique-t-il. Pour lui, emprunter pour investir n’est pas problématique si cela crée de la valeur à long terme.
Par ailleurs, Gérald Lincoln juge également que la cible des 75 % est atteignable, à condition que l’économie progresse de manière soutenue. Il rappelle que la dette ne diminuera pas en valeur absolue, mais que le ratio par rapport au PIB peut baisser avec la croissance. Il note aussi que les Rs 10 milliards que l’État percevra pour la location de l’archipel de Diego Garcia viendront soulager partiellement le poids de la dette.
Au final, la trajectoire vers un ratio d’endettement de 75 % dépendra de la capacité du pays à conjuguer rigueur budgétaire, relance de la croissance et gestion prudente des finances publiques. Sans un renforcement de la productivité et de la création de valeur, la réduction de la dette risque de rester un objectif difficile à concrétiser.
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