
Entre files d’attente interminables, manque de ressources humaines, conditions de travail décourageantes et lourdeurs administratives, le secteur public de la santé à Maurice se fragilise. Dans ce contexte tendu, l’ancien ministre de la Santé, Anil Gayan, livre son analyse sur les grandes failles du système et les obstacles aux réformes. Il partage aussi sa vision pour un service plus efficace.
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En tant qu’ancien ministre de la Santé, quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’évolution — ou le manque d’évolution — du système de santé mauricien ?
Je pense que l’évolution réside surtout dans la modernisation constante de notre système de santé publique à Maurice. Plusieurs hôpitaux ont été construits sous l’ancien gouvernement. Mais, sans vouloir politiser la situation, il est clair que les lobbys continuent de peser lourdement. Si nous en sommes arrivés à cet état de notre système de santé, c’est principalement à cause de ces lobbys qui perdurent et qui en tirent profit.
À cela s’ajoute la prolifération des cliniques. Au lieu de fonctionner en parallèle avec le service public, elles ont transformé le système de santé public en un véritable terrain de chasse pour attirer les patients. Un médecin qui exerce dans un hôpital public travaille souvent aussi dans une clinique privée, et il doit alors contribuer à la rentabilité de celle-ci. C’est encore un problème lié aux lobbys. Pour y remédier, il faudrait une véritable volonté politique. Mais, malheureusement, trop de médecins du service public entretiennent une proximité avec le pouvoir.
Un autre problème majeur demeure le manque d’expertise. Nous affichons l’ambition de devenir un centre régional des services de santé, mais nous n’avons pas encore le degré de spécialisation ni l’expertise nécessaires pour relever ce défi.
Quels sont, selon vous, les plus grands défis auxquels un ministre de la Santé est confronté dans un système qui se fragilise ?
Le principal problème de notre système de santé, c’est qu’une grande partie du budget alloué au secteur est absorbée par les salaires, les allocations et divers privilèges du personnel médical. Il ne reste donc que très peu de marge pour investir dans d’autres priorités essentielles.
Je suis également d’avis que tant que nous ne parviendrons pas à professionnaliser l’ensemble des services de santé, il sera difficile pour le pays d’évoluer. Quand je parle de professionnalisation, je fais référence à des standards de niveau international, indispensables si nous voulons réellement progresser.
Il y a toujours eu une lourdeur administrative dans les hôpitaux publics. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela freine l’efficacité du système de santé ?
Il existe, en effet, une lourdeur administrative dans nos hôpitaux. La digitalisation n’a pas été mise en place au moment opportun, et la bureaucratie a tiré profit de cette lenteur pour éviter d’offrir les services nécessaires aux patients.
Lorsque j’étais ministre, j’avais proposé que la gestion administrative des hôpitaux soit confiée à des administrateurs et non à des médecins. Il est essentiel de séparer les responsabilités : l’administratif d’un côté, le médical de l’autre. Aujourd’hui, dans un hôpital où le chef est un médecin, celui-ci n’est pas formé pour l’administration. Ce n’est pas pratique ni efficace que les services médicaux soient en même temps chargés de prendre des décisions médicales et administratives.
Je suis convaincu que si nous permettons aux administrateurs de prendre en charge la gestion afin que les médecins puissent se concentrer uniquement sur leur mission médicale, cela constituerait un réel bénéfice pour le système de santé.
Parlons du projet E-health dans le service de santé publique. Cela réglera-t-il des lacunes dans notre système actuel, selon vous ?
Ce projet existe depuis très longtemps, mais il est resté en suspens. Il y a une véritable réticence de la part des bureaucrates à intégrer le système E-health, car il rendrait tout traçable. Or, la traçabilité constitue un problème majeur dans le système médical : personne ne veut prendre la responsabilité de ses actes.
Le E-health permettrait pourtant d’apporter des améliorations significatives. Il contribuerait à pallier le manque de personnel et offrirait un meilleur suivi des patients. Mais au-delà de la technologie, il est indispensable de continuer à spécialiser et à former notre corps médical. Tant qu’il n’y aura pas une véritable honnêteté intellectuelle et professionnelle au sein du service médical, nous continuerons à faire face aux mêmes problèmes.
Quelles seraient vos recommandations prioritaires pour moderniser le système de santé mauricien ?
Une autre grande lacune, qui fait souvent la Une des journaux, ce sont les allégations de négligence médicale. Cela traduit un certain relâchement du professionnalisme dans notre système de santé. Il n’est pas normal d’entendre autant d’accusations de négligence. Ce que je préconise, c’est un véritable changement de système : il faut mettre en place un organisme ou une structure indépendante capable de traiter ces cas très rapidement après chaque incident.
Par ailleurs, il est urgent de mieux encadrer les cliniques privées. Celles-ci sont devenues de véritables « vaches à lait ». Combien de patients, après avoir cherché de l’aide dans le privé avec l’espoir d’obtenir un traitement de qualité, se retrouvent finalement contraints de revenir vers le service public ? Il faut donc instaurer une professionnalisation accrue, une réglementation stricte, un contrôle rigoureux et un suivi systématique de toutes les décisions prises dans le secteur privé.

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