Société

Allégations de négligence médicale: Une guerre perdue d’avance ?

Les cas de négligence médicale font souvent la Une des médias. Pour les présumées victimes, les poursuites légales sont synonymes de fastidieuses procédures. Certaines n’hésitent pas à s’y lancer pour obtenir réparations du préjudice subi ou simplement une réponse des autorités. Alors que l’on fait appel aux compétences des professionnels des établissements de santé pour des soins, certains se retrouvent, après consultations médicales, avec davantage de complications. Voire pire. Les cas de négligence médicale sont souvent évoqués, tant dans les journaux, sur les radios privées ou sur les réseaux sociaux. Récemment, le décès de Suzette Aza, atteinte d’un cancer, a fait couler beaucoup d’encre. Les proches de Suzette estiment que son décès aurait pu être évité. « Les médecins ont failli à leur tâche », clament-ils. Pour éviter que d’autres Mauriciens connaissent le même sort tragique, une marche pacifique s’est tenue dimanche 15 mai à Beau-Bassin, en sa mémoire et celle de toutes les victimes de négligence médicale. Pour ceux et celles qui se retrouvent dans une telle situation, difficile de mettre de côté les émotions pour tenter d’avoir une réponse. Ces cas ne sont pas propres à Maurice. Dans d’autres pays, en Inde et aux États-Unis, les erreurs médicales seraient la troisième cause de décès, derrière les maladies cardio-vasculaires et les cancers. Bien qu’il existe un cadre légal (voir hors-texte), certaines victimes abandonnent toute idée de poursuites légales. Selon Me Germain Wong, plusieurs raisons expliquent ce renoncement. « La famille a besoin de beaucoup de temps pour faire son deuil. Très souvent, elle se refuse à aller de l’avant pour éviter de se remémorer ces instants douloureux. Beaucoup de personnes ignorent également qu’elles ont droit à une compensation », précise l’avocat. D’autres victimes renoncent à obtenir justice, en raison des procédures légales longues et coûteuses. « Nos Cours de justice sont déjà débordées. Les procédures légales sont contraignantes et il y a ce délai de deux ans pour engager des poursuites contre un médecin du secteur public. Certaines actions sont logées après ce délai et la Cour est obligée de les rejeter », dit-il. Pourtant, engager des poursuites n’est pas une vaine procédure, comme témoigne Jean-François Favory. Il est allé jusqu’au bout, pour une question de principe. Il encourage tous ceux qui s’estiment victimes d’injustice à chercher réparation (voir son témoignage plus loin).

Le Dr Amah Charya Gujjalu: «Difficile de prouver une négligence médicale dans le contexte mauricien»

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"17711","attributes":{"class":"media-image alignleft size-full wp-image-30094","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"310","height":"391","alt":"Dr Amah Charya Gujjalu"}}]]Quand parle-t-on de négligence et d’erreur médicale ? Une négligence médicale est considérée comme une faute condamnable en Cour. C’est lorsque la négligence du médecin met en danger la vie du patient. Il y a eu des cas où les interventions chirurgicales n’ont pas été faites correctement ou même des cas où des instruments ont été oubliés dans le corps du patient. Cela peut provoquer de graves infections qui peuvent être fatales. Il s’agit là de cas typiques de négligence médicale. D’autre part, on parle d’erreur médicale quand le diagnostic est approximatif ou le traitement médical n’est pas approprié. Il arrive que le médecin oublie de faire une radiographie ou sectionne la mauvaise artère durant une opération. Ces erreurs médicales ne sont pour autant pas condamnables en Cour. Comment prouver s’il y a eu négligence ? Il est possible d’ouvrir une enquête en se basant sur les affirmations du patient dans le cas où celui-ci s’estime victime de négligence médicale. La première chose à faire, c’est d’examiner les doléances de la présumée victime. Ses allégations seront ensuite vérifiées à la lumière de son dossier médical. En cas de décès, il est possible de vérifier les allégations par une contre-autopsie. Le médecin doit pouvoir garder son sang-froid et ne pas se laisser aller aux émotions. Il est tout à fait normal de se sentir perdu lors du décès soudain d’un proche et de crier à l’injustice. Le rôle du médecin est d’affirmer s’il y a eu ou pas négligence médicale. Normalement, les plaignants réclament le dossier du patient, par l’intermédiaire d’un avocat, afin d’effectuer une contre-autopsie et trouver de possibles failles. Pour obtenir une deuxième autopsie, il faut obtenir l’autorisation des magistrats et du ministère de la Santé. Pourquoi certains plaignants ne vont-ils pas au bout ? Tout se passe généralement à huis clos. Dans certains cas, le plaignant finit par accepter une compensation dérisoire, car il n’a pas le courage d’aller jusqu’au bout. Le fait de devoir payer pour une contre-autopsie et d’engager des procédures légales contraignantes et coûteuses décourage les plaignants. De plus, un médecin ne dénoncera jamais son confrère. Les avocats, eux, n’ont pas les connaissances médicales requises. Ce qui explique qu’ils ne travaillent pas toujours le dossier comme il faut.

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Infection après une prise de sang: L’épouse du patient renonce malgré elle à des poursuites

Il y a quelques semaines, Kavita, 39 ans, emmène son mari à l’hôpital, car il souffrait des douleurs abdominale. Elle estime que ce dernier a été victime de négligence médicale : « Les infirmiers stagiaires devaient lui faire une prise de sang. En les observant, j’ai eu l’impression qu’ils s’acharnaient sur les bras de mon mari. Ce dernier souffrait le martyre, mais ne pouvait rien dire. » Quelques jours après, le bras du malade a commencé à enfler et à changer de couleur. « Nous sommes retournés à l’hôpital, on m’a fait comprendre que les infirmiers lui auraient endommagé une veine. Depuis, il souffre de douleurs au bras et d’engourdissement. Les médecins lui ont simplement prescrit des antidouleurs », fustige-t-elle. Mais Kavita n’engagera pas de poursuites légales compte tenu de sa situation et de ses responsabilités.
 

Que dit la loi ?

Contrairement à La France où il existe un Code de la santé publique, il n’existe, à Maurice, aucune loi liée spécifiquement à la négligence médicale. Selon Me Germain Wong, en cas de négligence médicale, la victime ou ses proches peuvent intenter une action en civil pour les préjudices causés sous l’article 1382,1383 et 1384 du Code civil mauricien. Cela découle du principe de la réparation de la « faute causée à autrui ». Cette notion englobe aussi tout acte de négligence ou d’imprudence. L’avocat précise que notre Code pénal ne prévoit pas de délit spécifique de négligence médicale : « En cas de décès de la victime, la police peut poursuivre le médecin sous une charge d’homicide involontaire sous l’article 239 (1) du Code pénal. S’il est trouvé coupable, il risque une peine de prison maximale de 10 ans et une amende n’excédant pas 150 000 roupies. » Quelles sont les démarches à enclencher ? Selon Me Germain Wong, la victime ou ses proches doivent rapporter le cas à la police pour qu’une enquête criminelle démarre. « Une mise en demeure sera servie au médecin qui opère dans une institution publique. Ce n’est qu’un mois après que la victime pourra loger l’affaire en Cour. Tout cela doit se faire dans les deux ans qui suivent une négligence médicale alléguée, sinon aucune poursuite au civil n’est plus envisageable. Cela est précisé dans le Public Officiers Protection », explique l’avocat. Pour poursuivre un médecin du privé, la victime dispose d’un délai de 10 ans. Un médecin trouvé coupable de négligence médicale peut être radié par le Medical Council.
 

Du côté du Medical Council

L’article 17(4) de la Medical Council Act mentionne les diverses sanctions applicables à un contrevenant. Le Conseil détermine si les accusations portées contre un praticien ont été prouvées avant de rédiger son rapport à la Public Service Commission. Le Dr Keshaw Deepchand, Registrar du Medical Council of Mauritius, précise que le Conseil peut appliquer des mesures disciplinaires telles qu’un avertissement sévère, une suspension de pratique pour une période n’excédant pas 12 mois ou radier le médecin du Conseil. « Selon l’article 5, lorsque la peine infligée par la Public Service Commission est le licenciement, le Conseil détermine si le nom de la personne doit être rayé du registre. À noter que huit cas ont été référés à la PSC, suite à un rapport défavorable du Medical Disciplinary Tribunal. Les sanctions de la PSC ont été variées : suspension sans salaire pour quatre jours, rétrogradation, pas de hausse de salaire durant deux deux ans (voir Infographie) », dit-il. [[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"17715","attributes":{"class":"media-image aligncenter size-full wp-image-30098","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"960","alt":"medical council"}}]]

Témoignages

Jean-François Favory: «Ne jamais abandonner malgré les contraintes»

En une fraction de seconde, sa vie a basculé. Jean Favory, 34 ans aujourd’hui, souffre de paralysie partielle causée par une négligence médicale, alors qu’il avait sept ans. Souffrant de fièvre, il a été transporté d’urgence à l’hôpital. Un membre du personnel soignant lui a fait une injection à la hanche. Après cette injection, il ne sentait plus ses jambes. Après qu’il eut passé trois mois à l’hôpital, ses proches ont réclamé des réponses à leurs questions. En vain. Ils ont alors décidé d’engager des poursuites légales. Le jeune homme se remémore douloureusement ces événements qui ont marqué à jamais son existence. « Grâce à l’aide de notre avocat et d’un médecin en internat à Maurice, nous avons appris que la piqûre avait été mal administrée. Elle avait touché les nerfs qui relient mes jambes à mon cerveau. Par ailleurs, le produit administré ne serait pas de bonne qualité et avait pour contre-indication la paralysie momentanée », dit-il. Le couperet est tombé après 10 ans de lutte acharnée pour obtenir réparation. Les enquêteurs ont confirmé les allégations de négligence médicale. Le personnel soignant a été trouvé coupable et Jean-François Favory a bénéficié d’une compensation. « L’argent ne m’a pas rendu l’usage de mes jambes. Je conseille toutefois à toute personne qui s’estime victime de négligence médicale d’aller de l’avant pour dénoncer ces actes. Même si les poursuites légales sont contraignantes, il ne faut jamais abandonner. »

Hogans Azie: «L’état de santé de ma fille a empiré…»

C’est le flou total chez la famille Azie depuis plus de deux ans. Pour Hogans Azie, le temps s’est arrêté depuis que sa fille, aujourd’hui âgée de 3 ans, arrive à peine à marcher. « On m’a appelé à plusieurs reprises pour me dire que je devais emmener ma fille au dispensaire pour son vaccin de première année. Or, l’état de santé de ma fille a empiré depuis. Elle a eu une forte fièvre et n’arrêtait pas de pleurer. Elle ne bougeait plus ses jambes. Nous sommes retournés au dispensaire pour comprendre ce que lui arrivait. On nous a expliqué que l’injection n’aurait pas dû être effectuée de la manière dont on l’a faite. À l’hôpital, le traitement qu’on nous a prescrit était inhumain : d’abord, c’est l’assistant du pédiatre qui est venu nous voir. Ce dernier ne faisait nullement attention à ma fille qui souffrait alors qu’il l’examinait. Le pédiatre, lui, s’est contenté de prescrire des calmants. » Depuis cet incident, affirme Hogans Azie, il a dépensé plus de Rs 27 000 pour le traitement de sa fille dans le privé. Il a sollicité les services d’un avocat et a porté plainte. « Le médecin du privé a confirmé mes doutes : le vaccin n’a pas été administré correctement. Cependant, ce dernier m’a informé qu’il ne pouvait le certifier, car il travaille aussi pour l’État. À chaque fois que je réclame des informations sur l’enquête, on me répond que mon dossier est à l’étude. Avec tous ces problèmes, je ne peux plus accomplir mon travail correctement, et cela a eu un impact sur mes revenus. Je me sens comme une marionnette entre les mains des autorités qui veulent étouffer l’affaire », lance-t-il. Hogans Azie soutient vouloir aller de l’avant dans les procédures légales.

 

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