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Abdool Firaas Ah Seek, président du Collectif Arc-en-Ciel : «Je me sens un peu plus libre d’être la personne que je suis»

Le mercredi 4 octobre 2023, la Cour suprême a jugé que l’article 250(1) du Code pénal, sanctionnant la sodomie entre adultes consentants du même sexe, est discriminatoire et anticonstitutionnel. Elle a souligné que cette disposition de la loi porte atteinte aux droits fondamentaux, indépendamment de l’orientation sexuelle. Ce dimanche, Abdool Firaas Ah Seek, courageux défenseur de cette cause qu’il a portée devant la Cour suprême le 6 septembre 2019, partage son combat pour une île Maurice plus inclusive et respectueuse de la diversité humaine dans Le Dimanche/L’Hebdo.

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Dites-nous en un peu plus sur vous.
Je m’appelle Abdool Firaas Ah Seek. J’ai 33 ans. J’habite à Rose-Hill. Je suis banquier au sein d’une banque internationale et je suis également animateur en magasin à temps partiel. Depuis 2022, je suis le président du Collectif Arc-en-Ciel (CAEC) et je suis membre du comité exécutif depuis 2016.

Pourquoi avez-vous porté cette affaire devant la Cour suprême, sachant que la loi criminalisant la sodomie est en vigueur à Maurice ?
C’est la conviction intérieure de me battre pour les droits humains. En même temps, cette loi avait un impact direct sur ma vie personnelle. Elle était véritablement discriminatoire. J’ai ressenti la nécessité de mener ce combat pour faire de l’île Maurice, un endroit beaucoup plus inclusif où chacun peut se sentir libre de vivre sa vie privée comme il l’entend, avec le consentement mutuel de son partenaire.

Comment avez-vous vécu tout le processus, compte tenu du contexte juridique ?
Il y a eu des moments difficiles où je me suis posé des questions et où j’ai ressenti le poids des regards, étant exposé dans les médias et sur les ondes des radios. Cela m’a mis sous le feu des projecteurs. Mon cercle familial, mes amis, mes collègues, mes voisins étaient au courant de ce qui se passait. Cependant, j’ai dû être plus résilient. Cela dit, j’ai également reçu un soutien massif, notamment de la part des membres fondateurs et du conseil d’administration du CAEC et d’une grande partie de ma famille et de mon entourage. 

On dit que Maurice est une nation arc-en-ciel, mais il est temps de faire briller l’arc-en-ciel»

Et le contexte social ?
Sur le plan social, chacun a le droit de penser ce qu’il veut, mais je n’ai pas été menacé. Il est vrai que j’ai été critiqué et affronté parfois, particulièrement sur les réseaux sociaux et dans les articles de presse. Cependant, je ne prends pas à cœur les commentaires négatifs qui s’attaquent à ma personne sans vraiment me connaître. 

N’empêche que les commentaires sont quand même dérangeants…
Absolument, cela peut être perturbant. Il est blessant de se faire traiter de « cochon », de « démon » ou d’entendre des absurdités du genre « Akoz li kinn gagn inondasion dan pei ». C’est un peu ridicule. Si j’avais vraiment le pouvoir sur la nature, je contrôlerais la température, la pluie et tout le reste. On n’aurait pas à faire face à la sécheresse et aux changements climatiques (rires). 

Je respecte l’opinion de chacun, mais j’ai également appris d’un événement majeur, soit l’annulation de La Pride, en 2018, en raison de l’opposition de près de 400 personnes de manière très virulente. À ce moment-là, j’étais très actif sur Facebook et je lisais chaque commentaire même s’il ne m’était pas directement adressé. Cela m’a beaucoup affecté. J’ai décidé d’arrêter.

Cela peut être difficile et parfois je me sens un peu découragé mais je respecte le droit de chacun de s’exprimer.

Avez-vous été confronté à des défis particuliers pendant cette période ?
Les changements ont été principalement positifs, avec un soutien grandissant de nombreuses personnes et des questions respectueuses de la part de mon entourage. 

Dès le premier jour, on m’a dit que je marquais l’histoire de mon pays et que je me battais pour une cause juste. Cela est maintenant officiel. Cependant, j’ai les pieds sur terre et j’agis en accord avec mes principes.

Qu’est-ce qui a été le plus dur ?
Je dirais que c’est l’audience au tribunal. Témoigner de ma vie privée et personnelle devant la cour, les avocats et être face aux juges de la Cour suprême n’était pas une tâche facile. Chaque mot et chaque phrase que j’ai prononcés a été jugé et questionné en lien avec ma vie privée. Cela a été sans aucun doute le plus grand défi. 

Y a-t-il eu des répercussions personnelles ?
Malgré tout le processus, je n’ai pas réellement subi de répercussions personnelles majeures. J’ai remarqué des changements chez certaines personnes, un léger éloignement peut-être, mais cela ne représente qu’une minorité. Je m’entoure de personnes qui me soutiennent, m’apprécient et me respectent pour ce que je suis. Le respect est essentiel. 

Comment votre partenaire a-t-il vécu ce procès ?
Malheureusement, environ une ou deux semaines après le début du premier procès, en 2021, mon partenaire et moi avons décidé de nous séparer. Il y avait d’autres raisons en jeu, en plus de tous mes engagements liés au tribunal qui me demandaient beaucoup de temps et d’attention. 

Y a-t-il un moment significatif du procès qui vous a marqué et que vous aimeriez partager ?
Le moment marquant, je dirais que c’était la veille du procès. J’étais dans tous mes états. J’avais des frissons, surtout la veille car je savais que c’était le jour J. Je savais que je ne pouvais pas me permettre la moindre erreur. 

Quand j’ai entendu mon nom être appelé : « Abdool Firaas Ah Seek is being called at the Witness Box », ce moment où je me suis levé du banc devant toute l’audience… c’était quelque chose, vraiment ! Ce n’était pas parler d’un crime ou d’un délit, mais de ma vie privée ouvertement, depuis le moment où j’ai compris que j’étais gay en passant par comment je l’ai vécu et tout ce que j’ai traversé dans la vie quotidienne. 

Répondre à toutes les questions était très difficile. Pour moi, c’était vraiment le moment décisif, mais bien sûr, il y a eu le second moment important : le jour où le jugement a été prononcé, soit le mercredi 4 octobre. 

Respectez l’humain que je suis et ne vous limitez pas seulement à mon orientation sexuelle»

La visibilité médiatique de cette affaire a-t-elle eu des conséquences sur votre vie quotidienne ? 
J’ai été propulsé sur le devant de la scène. Ce qui m’a particulièrement touché, ce sont les messages de remerciements. Quand je vois des jeunes et des personnes de mon âge qui me disent : « Merci, tu as fait cela pour moi, tu as fait cela pour nous », cela me touche d’une manière indescriptible. 
Certains vont même plus loin en me disant que je suis leur héros, qu’ils sont mes fans. Moi, je tiens à dire que je ne suis qu’humain comme tout le monde mais, j’ai pris sur moi la responsabilité de porter ce fardeau et d’essayer de le conduire vers la lumière. 

Sincèrement, cela a provoqué un changement. J’ai ressenti un impact positif. Sur Facebook, dans les différents articles de presse, j’essaie de garder la tête haute et de ne pas me laisser emporter par les commentaires négatifs. 

Comment percevez-vous la réaction du public face à ce jugement, et quelle est votre réponse à ceux qui pourraient ne pas être d’accord avec cette décision ?
Je remarque qu’une grande partie des Mauriciens adoptent une ouverture d’esprit. Pour ceux qui ne sont pas d’accord, je respecte leur opinion, mais il est crucial de respecter la vie de chacun. Respectez simplement la personne que je suis, l’humain que je représente et respectez mon choix de me battre pour mes convictions.

Dans sa défense, l’État a déclaré ne pas être « insensible » aux préoccupations des membres de la communauté LGBT, mais que bien qu’un amendement à l’article 250(1), qui criminalise la sodomie, soit à l’étude, cela reste « une question très sensible à Maurice », en raison du tissu socioculturel et religieux délicat de la société mauricienne. L’État a aussi ajouté qu’un tel amendement ne pourra être introduit au Parlement que lorsque « les conditions nécessaires seront présentes ». Que répondez-vous à cet argument ?
S’il faut attendre que tout le monde soit prêt et sur la même longueur d’onde, cela n’arrivera jamais. Nous sommes en 2023, il est temps pour nous de lutter pour nos droits. Je ne dis pas cela seulement pour la communauté LGBTQIA+, mais pour tout le monde. Chacun a sa place dans ce monde. Lorsque nous constatons une discrimination, il est impératif de prendre position et de dire : « Nous voulons les mêmes droits que tout le monde ».

En ce qui concerne les aspects socioculturels et religieux, certes, Maurice bénéficie d’une population multiculturelle. Cependant, nous ne pouvons pas utiliser la religion comme prétexte pour empêcher d’autres personnes de vivre leur vie. Nous ne pouvons pas non plus utiliser la dimension socioculturelle pour maintenir une prétendue paix tandis que d’autres souffrent en silence. 

Je respecte la religion. Mais ce n’est pas parce que je suis gay que je ne fais pas partie de la société socioculturelle et religieuse. Je fais partie de ce pays et je contribue à son progrès. Des impôts sont prélevés sur mon salaire chaque mois, je paie la TVA et tout cela contribue à l’avancement de mon pays. 

À mon avis, il n’y a pas de raison valable pour refuser des droits à certaines personnes tout en permettant à d’autres de vivre pleinement.

On dit que Maurice est une nation arc-en-ciel. Votre point de vue ?
Exactement. On dit que Maurice est une nation arc-en-ciel, mais il est temps de faire briller l’arc-en-ciel. Soyons francs, l’homosexualité existe depuis bien avant que ce fameux volcan n’éclate et forme Maurice.

De quelle manière pensez-vous que cette affaire a eu un impact sur la perception globale de la justice et de l’égalité à Maurice et notamment des membres de la communauté LGBT ?
Au niveau global, grâce à ce jugement de la Cour suprême le mercredi 4 octobre, un immense raz-de-marée de soutien s’est manifesté. Même moi, je n’avais pas imaginé une telle vague. 

À 20 h 30 le jeudi 5 octobre, j’ai eu un entretien en direct avec BBC Africa. En même temps, je crois que cela promeut l’image d’une île Maurice véritablement inclusive et respectueuse. Une île Maurice qui incarne véritablement la notion de nation arc-en-ciel. 

Pour ce qui est de la communauté LGBTQIA+, je ressens une excitation palpable chez tous. Pour les jeunes d’aujourd’hui et ceux de demain, pour ces jeunes qui se poseront des questions sur leur sexualité dans un pays qui dit être paradisiaque, je pense qu’il faut travailler ensemble pour en faire réellement un paradis.

Comment envisagez-vous l’avenir en ce qui concerne les droits LGBTQ+ à Maurice ? 
Nous avons encore un long chemin à parcourir. En tout cas, j’espère que cette avancée va inspirer non seulement la communauté LGBTQ+, mais aussi chacun d’entre nous à connaître vraiment ses droits, à s’aimer sincèrement et à s’accepter tel qu’il est. Chacun mérite sa place ici. 

Beaucoup de personnes de la communauté LGBTQIA+ pensent quitter Maurice, pas parce qu’elles veulent aller ailleurs, mais parce qu’elles veulent vivre leur vie en toute liberté. Ici, elles ne peuvent pas vivre leur vie en toute liberté, même tenir la main de leur partenaire en marchant dans la rue.

Ce jugement de la Cour suprême est-il un début pour l’acceptation de la communauté LGBTQIA+ et le mariage pour tous (mariage homosexuel) à Maurice, selon vous ? 
Croisons les doigts. Lorsque nous parlons du mariage des personnes du même sexe, c’est aussi pour reconnaître que chaque individu a les mêmes droits et opportunités, non seulement en matière de mariage mais aussi en ce qui concerne le travail. Que l’on me juge sur mes performances et mes compétences et non pas sur mon orientation sexuelle. 

Mon homosexualité fait partie de ma personnalité, mais j’ai d’autres attributs. Je suis le fils de ma mère, l’oncle de ma nièce, le collègue de mes collègues au bureau. Je suis un ami et un soutien pour beaucoup de gens. Donc, respectez l’humain que je suis et ne vous limitez pas seulement à mon orientation sexuelle.

On a tendance à penser que nous réclamons des droits spéciaux et des privilèges, mais nous demandons simplement les mêmes droits et les mêmes opportunités»

Pensez-vous que ce jugement puisse avoir un impact sur la société mauricienne ? 
Chaque jour, je prie pour que les gens ouvrent réellement leur esprit et se rendent compte qu’être gay, lesbienne, transsexuel ou hétérosexuel n’est pas un crime. Nou pa pe amen lapli ni inondasion dan pei, comme le prétendent certaines personnes. J’espère qu’il y aura un changement de mentalité mais aussi d’attitude. 

Je connais des personnes qui ont peur de sortir afin de ne pas se faire agresser. Vous êtes dehors, vous vivez normalement et vous entendez quelqu’un, parce qu’il est homophobe, vous traiter de tous les noms en public devant ses amis. En plus, il va s’assurer de vous dire les paroles vous blessant au plus profond de l’âme.

Des exemples ?
Par exemple, on vous traite de « pécheur ». Je préfère éviter les jurons qui sont proférés envers la communauté LGBTQIA+, mais être traité de 
« pécheur » parce qu’il y a eu une inondation et des personnes ont perdu la vie, ce n’est pas rien… J’ai une multitude d’exemples. 

Il est temps de réaliser que nous sommes en 2023 et non pas au 18e siècle. Nous avons déjà vu une évolution technologique, utilisons tout cela pour comprendre et éduquer sur la communauté. D’ailleurs, le CAEC propose des services pour surmonter beaucoup d’épreuves et c’est gratuit. Au lieu de pointer du doigt, l’acceptation de l’autre, indépendamment de son orientation sexuelle, est nécessaire.

Ainsi, selon vous, il est nécessaire de mettre fin à cette hypocrisie. 
Exactement. En même temps, on peut ne pas avoir envie de s’éduquer ou de comprendre et c’est acceptable. On peut aussi ne pas avoir envie d’accepter, c’est compréhensible, mais au moins, respectons les choix de chacun. 

Au niveau législatif, j’aimerais que nos décideurs se disent qu’il est temps d’instaurer l’égalité à Maurice. Beaucoup de nos droits datent de l’époque coloniale. Il est temps d’apporter les changements nécessaires.

Quelle est la prochaine étape de votre combat ?
Pour l’instant, je prends un moment de répit. Ce combat contre l’article 250 du Code pénal a été une étape majeure. La prochaine étape est de faire avancer la discussion vers une île Maurice inclusive où toutes les lois soient justes pour tout le monde. 

Souvent, on a tendance à penser que nous réclamons des droits spéciaux et des privilèges, mais ce n’est pas le cas. Nous demandons simplement les mêmes droits et les mêmes opportunités.

Comment avez-vous vécu, si on peut le dire ainsi, cette « victoire » ?
J’assimile encore tout cela. Je travaillais chez moi. Vers 11 heures, je reçois un message disant que le jugement a été rendu. On ne me dit pas si nous avons gagné ou perdu. Ces quinze minutes d’attente ont semblé être les plus longues de ma vie… Quand j’ai reçu ce petit message disant que nous avions gagné, j’ai été stupéfait. Je ne pouvais pas y croire. J’ai ressenti une immense satisfaction. 

Cela me donne l’espoir et le courage de croire en une île Maurice équitable et inclusive pour tous. Peut-être que cela se fera petit à petit et nous nous disons qu’il y a enfin eu justice pour cette injustice qui perdurait. Dans ma tête, je me sens un peu plus libre d’être la personne que je suis sans cette peur constante qui m’oppressait. 

Qu’espérez-vous à terme ?
Il y a 18 ans, des amis et moi avons eu cette idée folle de créer le CAEC contre la discrimination envers la communauté LGBTQIA+. Je pense que cette « victoire » est un pas en avant pour mener notre combat pour nos droits. Je remercie également tous ceux qui ont rejoint nos rangs, plus nous sommes nombreux, plus nous sommes forts, que ce soit OUT, Young Queer Alliance et autres ou toute personne contribuant vraiment à faire avancer les droits humains dans la bonne direction.

Et après ce jugement, qu’en est-il de cette épée de Damoclès ?
C’est un soulagement de se dire que tant que je ne porte pas préjudice à autrui, que je respecte tout un chacun, que je vis ma vie de façon privée dans ma chambre avec un consentement mutuel, je me sens libre. Savoir que cette loi ne plane plus comme une menace au-dessus de ma tête, c’est un poids en moins. 

En matière légale, un changement peut-il modifier les mentalités ? 
J’ose espérer que oui. Je ne suis pas ici pour imposer une façon de penser, mais je suis un Mauricien comme tous les autres. Il faut donc une société multiculturelle où chacun a le droit à la liberté d’expression et d’être. 

Cette affaire ayant été médiatisée, craignez-vous pour votre sécurité ?
J’espère ne jamais avoir à craindre pour ma sécurité. Bien que je m’exprime beaucoup sur les réseaux sociaux, je ne cherche en aucun cas à provoquer qui que ce soit. La menace est toujours présente. 

Ce jugement ne fait que confirmer qu’il va progressivement transformer la crainte de la communauté de subir des violences. Qu’est-ce qui va se passer ensuite ? Pour le moment, tout semble bien se passer et il y a des commentaires positifs. Cependant, il reste aussi des commentaires négatifs, mais cela fait partie du jeu.

Quel est votre message aux Mauriciens qui vous liront ce dimanche ?
Tout d’abord, merci à tous ceux qui m’ont soutenu de près ou de loin. Mon message serait le suivant : soyons tolérants, unis et respectons chaque individu dans sa diversité. Car il y a de la place pour tous sur cette île. Il y a des opportunités pour chacun. Il suffit de donner la chance à tous. Quant à la communauté LGBTQIA+, je vous dirais toujours : « Aimez-vous tels que vous êtes et ne baissez jamais les bras ».

 

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