Un an après la victoire de l’Alliance du Changement, l’air du renouveau tarde à se transformer en oxygène. La promesse est là, mais l’impact se fait attendre sur le quotidien.
Shaistah Imambaccus, jeune diplômée : une génération en quête de sens

À 23 ans, Shaistah Imambaccus vient tout juste d’obtenir son diplôme. Après une première expérience dans le milieu corporate – exigeante, souvent écrasante, et peu conciliable avec la vie personnelle – elle a décidé de changer de cap. Aujourd’hui, Research Assistant à l’Université de Maurice, elle incarne cette génération de jeunes diplômés mauriciens qui refuse de se contenter d’un travail sans âme et cherche à redonner du sens à son engagement professionnel.
Un an après la victoire de l’Alliance du Changement, son constat est sans appel : « La structure du marché du travail demeure largement inchangée. » Les secteurs traditionnels – tourisme, services financiers – continuent de dominer l’économie, tandis que « très peu d’efforts sont faits pour encourager l’émergence de nouveaux domaines comme les industries créatives, artistiques ou culturelles ».
Le décalage est frustrant : les jeunes Mauriciens sortent de l’université avec des compétences pointues dans ces secteurs, mais « faute d’une véritable stratégie pour valoriser la créativité et transformer ces savoir-faire en opportunités économiques, beaucoup de ces talents restent inexploités », regrette Shaistah. Selon elle, « le pays gagnerait à investir davantage dans ces secteurs d’avenir, capables de créer des emplois durables ».
Ne considérez pas la jeunesse mauricienne comme impuissante ou désengagée. Quand il faudra se mobiliser à nouveau, elle le fera.»
Elle reconnaît toutefois quelques progrès. « On sent une volonté de moderniser le monde du travail », note-t-elle, citant l’instauration d’une semaine de 40 heures dans les secteurs non essentiels ou le congé menstruel. « Ces mesures vont dans le bon sens, surtout pour le bien-être et l’équité au travail. » Mais sur le terrain, la réalité reste plus nuancée : « Ces réformes demeurent pour l’instant à l’état d’annonce. »
Son diagnostic est clair : « La promesse est là, mais l’impact tangible sur la vie quotidienne des diplômés reste partiel. Il faudra que l’Alliance du Changement passe de la phase d’annonce à celle d’exécution. »
Le parcours de Shaistah illustre les tensions qui traversent le monde du travail mauricien. Dans le corporate, elle a découvert « un rythme intense, très peu d’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, et une motivation qui s’érode face à un coût de la vie sans cesse croissant ».
Elle décrit un sentiment d’épuisement : « On travaille dur, souvent plus que ce que l’on gagne, et malgré cela, on a le sentiment de courir sans arrêt derrière quelque chose d’inatteignable. » Tout en reconnaissant « c’est la logique du monde corporate » – performance, objectifs, rentabilité –, elle constate : « Mais à force, on en vient à fonctionner comme des robots, sans réel espace pour la créativité ni pour l’épanouissement. »
C’est ce constat qui l’a poussée vers la recherche. « La recherche, pour moi, c’est une façon de retrouver du sens, de comprendre ces déséquilibres, de proposer des solutions et, surtout, de contribuer autrement au pays, avec du recul, de la passion et une volonté sincère de changement. »
La promesse est là, mais l’impact se fait encore attendre»
Pour Shaistah, le problème est structurel : « Le système forme plus qu’il n’intègre. » Chaque année, des centaines de diplômés arrivent sur le marché, mais celui-ci « ne s’est pas transformé. Les mêmes secteurs dominent, les mêmes postes se répètent, et les nouvelles compétences – numériques, environnementales, artistiques ou créatives – trouvent peu d’écho dans les offres d’emploi. »
Au-delà de l’inadéquation formation-débouchés, elle pointe un malaise plus profond : « La perte de sens. » Dans un monde où tout s’accélère, « beaucoup de jeunes ne veulent plus simplement ‘travailler’ ; ils veulent contribuer, créer, innover. » Son appel est direct : « Si le pays veut réellement avancer, il faut repenser la jeunesse non pas comme une main-d’œuvre à absorber, mais comme une force de transformation capable d’ouvrir de nouveaux marchés, de redéfinir la productivité et de redonner du sens au travail. »
Sa conclusion sonne comme un défi : « Ce qu’il manque aujourd’hui, ce n’est pas la jeunesse prête à innover, c’est un système prêt à l’écouter. »
Quand on lui demande ce qu’il faudrait pour impliquer davantage les jeunes, Shaistah ne mâche pas ses mots : « Il faut avant tout redonner du sens à la participation des jeunes. Trop souvent, on les consulte sans réellement les écouter. Les jeunes ne veulent pas seulement ‘être inclus’, ils veulent faire partie de la décision, de la création, de la transformation. »
Elle appelle à un changement de regard : « Il faut changer le récit : arrêter de voir la jeunesse comme un problème à encadrer et commencer à la considérer comme une ressource à libérer. Cela passe par des espaces où l’on peut entreprendre, créer, expérimenter sans peur de l’échec ni lourdeurs administratives. »
Pour restaurer la confiance, elle estime qu’il faut « des signes concrets d’équité, un marché du travail plus juste, une reconnaissance du mérite, et une politique publique qui parle autant aux diplômés qu’aux jeunes en quête de sens ». Son verdict est sans appel : « Les jeunes Mauriciens ne manquent ni d’idées ni de courage… ils manquent simplement de portes ouvertes. »
À l’adresse des décideurs, son message est grave et clair : « Je dirais aux décideurs de ne pas sous-estimer la jeunesse mauricienne. Si les jeunes ont voté pour le changement, c’est parce qu’ils ont senti que leur liberté et leur avenir étaient menacés. C’était un signe fort que ma génération n’est pas endormie. »
Elle insiste sur la conscience politique de sa génération : « Ma génération observe, comprend et agit au moment juste. Nous ne sommes pas silencieux, nous sommes patients mais conscients. » Son avertissement final : « Alors, ne la considérez pas comme impuissante ou désengagée. Et quand il faudra se mobiliser à nouveau, elle le fera. »
Yaaseen Edoo, Disability Activist : Pour une inclusion qui dépasse les discours

« L’inclusion doit dépasser les discours et devenir une réalité quotidienne. » Cette phrase de Yaaseen Edoo résume à elle seule le combat qu’il mène depuis des années. Militant pour les droits des personnes en situation de handicap et lui-même utilisateur de fauteuil roulant, il observe avec lucidité le décalage persistant entre les intentions affichées et la réalité vécue par les personnes concernées à Maurice.
Un an après les élections générales, Yaaseen Edoo dresse un constat paradoxal. D’un côté, des signaux encourageants : le gouvernement a manifesté sa volonté de réformer le système des pensions d’invalidité, en adoptant une approche plus nuancée qui prend en compte non seulement le taux d’invalidité, mais aussi les capacités fonctionnelles et sociales de chaque personne. Plus significatif encore, cette réforme s’inscrit dans une démarche participative.
« Ce nouveau gouvernement veut s’aligner sur le principe ‘Rien pour nous sans nous’, en impliquant des représentants des personnes en situation de handicap dans les comités d’évaluation, ce qui traduit une volonté de justice sociale différente de la part du gouvernement », explique-t-il.
Mais de l’autre côté, « dans le concret, je ne vois aucune amélioration à ce jour dans la vie quotidienne des personnes en situation de handicap ». Ce décalage entre les annonces et leur traduction concrète illustre le cœur du problème. Les politiques existent, les lois sont votées – comme le Protection and Promotion of the Rights of Persons with Disabilities Act qui doit encore entrer en vigueur – mais « ces politiques restent souvent sur papier », regrette l’activiste.
Pour lui, « elles doivent impérativement s’accompagner d’un changement culturel profond et d’une meilleure allocation des ressources ». Toutefois, conscient que les transformations prennent du temps, il nuance : « Il faut toutefois laisser du temps au gouvernement pour pouvoir le juger équitablement. »
Si l’on veut mesurer l’inclusion réelle, il suffit d’observer l’accessibilité au quotidien. C’est là que le discours se heurte au concret. « Les transports publics, à l’exception du Metro Express, les bâtiments publics et le monde de l’emploi ne sont pas encore pleinement accessibles ni inclusifs », constate Yaaseen Edoo. Les exemples sont nombreux : « Il y a toujours un manque d’installations adaptées, comme les toilettes ou les trottoirs accessibles. »
Mais l’accessibilité ne se limite pas aux infrastructures physiques. Elle concerne aussi la participation à la vie collective dans toutes ses dimensions. « Les mesures pour encourager la participation politique et sociale des personnes en situation de handicap sont quasi inexistantes », déplore-t-il. Comment parler d’inclusion quand les personnes concernées ne peuvent pas pleinement participer à la vie démocratique et sociale de leur pays ?
Il faut laisser du temps au gouvernement pour pouvoir le juger équitablement»
C’est dans le domaine de l’emploi que le décalage entre l’intention et la réalité apparaît peut-être le plus clairement. Yaaseen Edoo reconnaît qu’« on observe une certaine progression, notamment à travers des mesures visant à combattre la discrimination et à favoriser l’inclusion grâce à des campagnes de sensibilisation menées par certaines ONG ». Mais cette progression reste limitée : « Les emplois restent principalement concentrés dans le secteur privé, et très peu dans le secteur public. »
Or, l’État devrait montrer l’exemple. « J’ai d’ailleurs, à maintes reprises, attiré l’attention du gouvernement précédent sur la nécessité d’étendre le quota de 3 % au secteur public pour recruter des personnes en situation de handicap, comme le stipule le Training and Employment of Disabled Persons Board Act pour toute entreprise comptant 35 employés ou plus. »
Pour Yaaseen Edoo, « le véritable défi reste la mise en œuvre effective des lois et l’acceptation sociétale ». C’est bien là le nœud du problème : tant que la société dans son ensemble n’intègre pas profondément le principe d’inclusion, les lois resteront des coquilles vides.
Face à ces constats, Yaaseen Edoo ne baisse pas les bras. Ses priorités sont claires et s’articulent autour d’un objectif central : transformer en profondeur le regard que la société porte sur le handicap. « Faire évoluer les mentalités pour que la société comprenne mieux les besoins et les droits des personnes en situation de handicap, promouvoir une véritable inclusion sociale et professionnelle, et assurer une meilleure accessibilité », tels sont ses axes de travail.
Il insiste particulièrement sur un point : « Le plaidoyer pour une collaboration plus étroite entre le gouvernement et les organisations représentatives des personnes en situation de handicap est également essentiel. » Cette collaboration n’est pas qu’une question de forme ou de consultation symbolique. Elle est la condition même d’une politique efficace, car qui mieux que les personnes concernées peut identifier les vrais besoins et les vraies priorités ?
Malgré la lucidité parfois sévère de son analyse, Yaaseen Edoo n’a pas perdu espoir. « Ce qui maintient l’espoir dans ce combat, c’est la prise de conscience croissante de la société mauricienne et les engagements récents du gouvernement à réformer et améliorer les conditions de vie des personnes en situation de handicap », confie-t-il, avant d’ajouter immédiatement : « À condition que ces engagements se traduisent par des actions concrètes. »
C’est dans la participation des personnes en situation de handicap elles-mêmes qu’il voit le signe le plus encourageant : « La participation active des personnes en situation de handicap à la conception des politiques publiques est un signe encourageant et un indicateur fort d’espoir pour une société réellement inclusive. » Le principe « Rien pour nous sans nous » n’est pas qu’un slogan. C’est la reconnaissance que l’expertise du vécu est irremplaçable et que l’inclusion ne peut pas se construire sans ceux qu’elle concerne.
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