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[Blog] Perspectives : «Chindia», pure chimère à présent

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La guerre commerciale lancée par les Etats-Unis d’abord contre la Chine et désormais contre l’Inde semble provoquer un séisme dans le paysage géopolitique mondial. Mais gare aux illusions

Par Ram Etwareea

Alliée traditionnelle de Washington, notamment au sein du Quad* et de l’I2U2**, mais sanctionnée récemment par l’imposition d’une surtaxe douanière de 50% sur ses exportations aux Etats-Unis, New Delhi vient de négocier un virage inattendu : elle s’est rapprochée avec le frère ennemi chinois. L’entente cordiale démontrée par le premier ministre indien Narendra Modi et son hôte le président chinois Xi Jinping en marge du 25e Sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai qui s’est tenu à Tianjin du 31 août au 1er septembre, a secoué le statu quo dans les relations internationales qui dure depuis la fin de la Seconde guerre.

Les deux géants asiatiques, l'Inde et la Chine, s'entendent déjà bien dans les forums internationaux. Lorsqu'ils s’expriment d’une seule voix, celle-ci pèse de tout son poids dans la prise des décisions. Par exemple, lors de la 5e Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce en 2003 à Cancún, les deux pays, avec le Brésil et l'Afrique du Sud, tous d’habitude dociles face aux puissances traditionnelles, avaient refusé de céder à une exigence des négociateurs américains et européens. La conférence était alors partie en eau de boudin. Mais un nouveau dynamisme était né ; il a favorisé l’éclosion de l’association des pays dits BRICS qui de cinq pays émergents en 2009, ont passé à 11 depuis le début de l’année.

L’Inde et ses amis occidentaux

Le rapprochement Inde-Chine peut modifier fondamentalement le paysage géopolitique et diplomatique mondiale. Parce qu’en dépit d’appartenir au club des pays émergents, l’Inde a développé des amitiés puissantes avec ses partenaires occidentaux. Pour nombreux observateurs politiques, les administrations américaines successives ont fait les siens l’adage de « l’ennemi de mon ennemi est mon ami» et subrepticement alimenté l’inimitié historique indo-chinois née de la défaite des forces indiennes lors des affrontements dans les Himalayas en 1962. En s’associant avec Pékin, New Delhi vient de se démarquer avec Washington qui naturellement n’a pas caché sa nervosité face au rapprochement du Dragon et de l’éléphant.

En décidant de renouer avec les liaisons aériennes, en ouvrant trois passages terrestres à leurs frontières communes – les annonces ont été faites à Tianjin-, les deux voisins semble vouloir ouvrir un tout nouveau chapitre dans leurs relations bilatérales. En réalité, alliés naturels et voisins, les deux pays connaissent des enjeux, intérêts et défis communs, notamment en termes de développement économiques. En dépit d’une progression significative de leur richesse nationale ces vingt dernières années, une grande partie de leur population respective vivent toujours en-dessous du seuil de la pauvreté. Le Produit intérieur brut (PIB) d’un Chinois par année s’élève à 10 000 dollars et d’un Indien à moins 2900 dollars. A titre de comparaison, c’est 60 000 dollars pour un Américain. Les deux pays souffrent de déficit d’investissement et d’infrastructure. L’un comme l’autre est exposés aux défis du changement climatique et gagnerait de plus de coopération que d’adversité.

Après son tête-à-tête de plus d’une heure avec Xi Jinpin à Tianjin, Narendra Modi a parlé de « paix et de stabilité retrouvées » et a appelé à une « intensification des relations ». « Notre coopération répond aux intérêts de 2,8 milliards de personnes dans nos deux pays, a-t-il poursuivi, ajoutant qu’elle ouvrira également la voie au bien-être de toute l’humanité.» La Chine et l'Inde ont tout pour devenir des partenaires économiques de plus en plus importants. Inévitablement, les échanges et les investissements entre les deux pays sont voués à croître.

Leadership américain contesté

Sur le plan international, la Chine et l’Inde ont de quoi peser sur les grandes décisions. Ensemble, les deux géants augmentent leur influence et leur pouvoir de négociation ainsi que les moyens de donner une nouvelle orientation à la gouvernance mondiale***. Dans la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, les Américains ont imposé leur décision de façon unilatérale, même si l'économie chinoise a montré une forte résilience. Pékin a notamment cherché des alternatives aux relations commerciales avec les États-Unis. Aujourd’hui, c’est l’Inde qui se voit imposer l’unilatéralisme américain.

Si l'Inde rejoint la Chine, les États-Unis seront moins agressifs, non seulement envers eux-mêmes, et seront contraints de mettre fin à leur tactique d’intimidation envers tous les autres pays.

Il est évident que le leadership historique des États-Unis est « contesté » par l’Asie en matière économique. L'Inde devrait contribuer à relever ce défi. Un monde unipolaire dominé par les États-Unis n'est bon ni pour la Chine, ni pour l'Inde. En fin de compte, il ne s'agit pas que la Chine et l’Inde deviennent les nouvelles grandes puissances, mais de se faire respecter à l’ONU ainsi que dans les institutions internationales.

Pour leur part, es États-Unis veulent à tout prix conserver leur toute-puissance militaire, technologique et économique. C’est ainsi qu’ils ont du mal à accepter l'émergence d'entreprises technologiques chinoises (Alibaba, Tencent, Baidu, Xiaomi), concurrentes des géants américains tels que Google, Amazon, Apple et Facebook. Les Etats-Unis n’aiment pas la concurrence. Huawei, leader de la technologie 5G, illustre parfaitement l'incapacité des États-Unis à relever le nouveau défi posé par la Chine. Le jour où les entreprises indiennes prospéreront, elles rencontreront le même antagonisme aux États-Unis. La suspicion est déjà forte à l'égard des entreprises informatiques de Bangalore, d’Hyderabad ou de Chennai opérant aux États-Unis.

Concurrents et complémentaires

Il ne s’agit pas de faire de l’Asie le nouveau centre du monde, mais de défendre et de promouvoir le multilatéralisme. Mais il faut aussi corriger les injustices et anomalies dans les relations internationales. Par exemple, il est impensable qu’au 21e siècle, les Etats-Unis jouissent d’un droit de véto sur les décisions prises au Fonds monétaire international. Tout comme, il n’est pas admissible que les Etats-Unis et l’Union européenne se partagent les postes de dirigeants au sein du FMI et de la Banque mondiale. La « tradition » veut qu’un ressortissant américain soit toujours le directeur du FMI et un Européen à la tête de la Banque mondiale. En matière de monnaies, il a souhaitable d’en finir avec la suprématie du dollar dans les échanges internationaux.

Toujours est-il que 'Inde reste méfiante envers la Chine, ce qui a freiné les relations bilatérales. Cela s'explique par l'animosité persistante après la guerre sino-indienne de 1962. Il est impératif de changer les mentalités et de tourner la page. On ne choisit pas ses voisins. Quand la maison brûle, c’est le voisin vient en premier au secours. Les décideurs indiens devrait reconnaître que la Chine est un pays immense, doté d'une histoire et d'une civilisation millénaires, et qu'elle est également une formidable puissance économique. Si la Chine poursuit sa croissance, c’est l’Inde et toute l’Asie qui en profiteront. Et vice-versa.

Il s'agit maintenant de savoir comment les deux pays pourront se développer ensemble à l'avenir. Ils peuvent être concurrents, mais ils sont aussi très complémentaires. La jeunesse de l'Inde constitue une aubaine pour la Chine où la population vieillissante pose déjà des défis en matière de main-d’œuvre.

L'Inde et la Chine pourraient geler tous les différends frontaliers pendant 90 ans et consacrer les dividendes de la paix au développement. Les deux pays sont en plein essor, mais des millions de personnes de deux côtés de l'Himalaya restent pauvres. Depuis des décennies, de précieuses ressources sont dépensées en dépenses militaires, en vain. Certes, les frontières sont une question de fierté nationale. Mais il n'est pas si urgent de tracer des lignes dans ces montagnes arides, froides et inhospitalières. La question des frontières pourra être soulevée ultérieurement. Les enjeux pourraient être différents à long terme. Le sens des priorités doit prévaloir. Une bonne dose de bonne foi est nécessaire de part et d'autre pour y parvenir. Instaurer la confiance est le point de départ. La bonne nouvelle est que le protectionniste et l’unilatéralisme américains vient de donner une impulsion à la nouvelle camaraderie.

Un hic

Il y a toutefois un hic aux fiançailles du Dragon à l’Eléphant et à la concrétisation de «Chindia». Les Etats-Unis ne supporteraient pas l’idée de perdre une alliée traditionnelle comme l’Inde. Le président Trump a parié sur une stratégie qui apparemment échoué. Dans son livre The Art of the Deal (1987), l’homme d’affaires Trump affirme qu’en négociation, il faut affaiblir la partie adverse, la mettre à genoux et ne lui offrir aucune alternative que de se soumettre. C’est ce qu’il a fait en imposant les surtaxes de 50% sur les importations indiennes. Or, l’Inde n’a pas cédé et cherché à nouer une nouvelle alliance qui peut mettre un terme à l’influence américaine dans le monde.

On peut imaginer maintenant que Washington fasse volte-face. Malgré les insultes répétées ces derniers jours de la part des dirigeants américains, le président américain a lui-même donner des signes de vouloir rattraper le coup. Bref, ces prochains jours seront déterminants pour savoir si la belle idée de «Chindia» poursuivra son chemin ou non. (FIN)

NOTES

*Le « Quad » (Quadrilateral Security Dialogue) regroupe les Etats-Unis, l'Inde, le Japon et l'Australie. Il vise à à renforcer la coopération militaire dans l’Indo-Pacifique, pour affirmer sa puissance face à la Chine.

Les États-Unis et l'Inde collaborent de plus en plus dans l'océan Indien dans le cadre du Quad et entendent contrer l'influence chinoise dans la région.

** Le I2U2 (Inde, Israël, Émirats arabes unis et Etats-Unis) veut approfondir la coopération technologique et militaire et à relever les défis transnationaux dans des domaines comme l'eau, l'énergie, les transports, l'espace, la santé et la sécurité alimentaire.

*** Why India and China should stand together. By Ram Etwareea. Chennai Centre for China Studies (Juin 2019)

Ram Etwareea, ancien journaliste, membre du think-tank Friends of Multilateralism (Genève), membre du Bureau politique du MMM et député de l’Alliance du changement.

 

 

 

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