
Maurice intensifie sa lutte contre la traite humaine, en adaptant ses stratégies face aux nouvelles formes numériques. Malgré des avancées, de nombreux défis persistent, exigeant coopération, ressources et vigilance accrue.
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Àl’ère du numé-rique, la traite humaine se transforme, adopte des méthodes plus sophistiquées et échappe de plus en plus aux mécanismes de détection traditionnels. Bien que quelques progrès aient été enregistrés, le pays peine encore à répondre efficacement à ce fléau moderne. C’est dans cette optique que le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) a réuni, le vendredi 25 avril 2025, une centaine de participants à l’hôtel InterContinental, à Balaclava, pour un séminaire axé sur les défis actuels et les réponses à apporter.
Face à un auditoire composé de représentants des forces de l’ordre, d’ONG, de membres du secteur privé et d’observateurs internationaux, le DPP, Me Rashid Ahmine, a dressé un constat sans détour : Maurice a encore du chemin à faire dans la lutte contre la traite humaine. « La traite humaine constitue une atteinte grave aux droits fondamentaux. Elle prive les victimes de leur dignité pour des raisons financières », a-t-il déclaré, soulignant l’urgence d’une approche plus musclée pour combattre ce crime.
Le DPP a notamment évoqué le rapport 2024 du Département d’État américain, qui souligne les lacunes persistantes du pays : peu de poursuites judiciaires, une protection insuffisante des victimes et un recours à des chefs d’accusation moins sévères que ceux prévus pour la traite humaine. Pour répondre à ces critiques, le bureau du DPP a initié plusieurs mesures concrètes, dont la mise en place d’un Taskforce réunissant la police, le ministère du Travail et d’autres parties prenantes. « Nous sommes passés de zéro à quelques poursuites. Des condamnations ont été enregistrées, et d’autres dossiers suivront », a précisé Me Ahmine.
Cependant, les obstacles demeurent nombreux. Le manque de ressources au sein de l’unité de lutte contre le trafic d’êtres humains de la police, l’absence de structures d’accueil adaptées, notamment pour les victimes masculines, et une sensibilisation encore trop limitée compliquent la lutte au quotidien.
Actuellement classée en « Tier 2 » par les États-Unis, Maurice est reconnue comme un pays qui fait des efforts, mais qui n’atteint pas encore les standards requis pour éradiquer ce fléau. Me Rashid Ahmine s’est toutefois montré optimiste quant à une amélioration de ce classement. Il a lancé un appel à la mobilisation : « Nous devons tout faire pour stopper ce crime à Maurice. »
Des victimes souvent silencieuses
Parmi les intervenants, l’assistant surintendant de police (ASP) Danraj Goolaup a rappelé une réalité particulièrement préoccupante : la majorité des victimes étrangères recensées à Maurice sont des ressortissantes malgaches, souvent impliquées dans le commerce du sexe. Selon lui, ces femmes montrent une forte réticence à coopérer avec les autorités. « Ce sont généralement des personnes à faible revenu, avec peu de liberté de mouvement et dans bien des cas, elles sont venues à Maurice pour fuir une situation compliquée dans leur pays », explique-t-il.
Leur priorité reste de rentrer chez elles au plus vite, ce qui rend difficile la poursuite des trafiquants. « Plusieurs victimes ont exprimé leur frustration face aux délais prolongés dans le traitement de leur situation. L’attente imposée avant qu’elles ne puissent quitter Maurice représente une souffrance supplémentaire pour celles qui souhaitent tourner la page », ajoute le policier.
Dans ce contexte, une meilleure collaboration entre les autorités mauriciennes et malgaches s’impose pour faciliter le traitement des dossiers et protéger les victimes, tout en permettant à la justice de faire son travail.
Un appui des États-Unis
Présent au séminaire, l’ambassadeur des États-Unis à Maurice, Henry Jardine, a rappelé les efforts déployés par son pays pour renforcer la lutte contre le trafic humain. Il a insisté sur l’importance de la coopération entre les États-Unis, les agences fédérales, les organisations internationales et la société civile.
Grâce à la formation de plus de 40 enquêteurs spécialisés et à des financements octroyés à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), Maurice a pu améliorer ses dispositifs. Ces avancées expliquent en partie son classement en « Tier 2 », a précisé l’ambassadeur, tout en soulignant que beaucoup reste à faire.
Parmi les défis persistants : la collecte de preuves solides pour les poursuites judiciaires, et l’insuffisance de ressources allouées aux centres d’accueil des victimes. Pour Henry Jardine, l’accès aux données est fondamental pour mieux comprendre les dynamiques du trafic humain et orienter les politiques publiques de manière plus efficace.
« Le trafic humain alimente la criminalité, la corruption et la violence. Il affecte les travailleurs, distord les économies, et se trouve lié à d’autres crimes transnationaux comme le blanchiment d’argent, le trafic de drogue ou la pêche illégale », a-t-il rappelé. Avec quelque 27 millions de victimes estimées dans le monde, les États-Unis réaffirment leur engagement pour une réponse globale à cette forme contemporaine d’esclavage.
Un phénomène en mutation constante
Autre intervenante de la journée, Pooja Bissoonauthsing, Legal Officer auprès de l’United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC), a, quant à elle, mis l’accent sur l’évolution du phénomène post-COVID. Elle observe une recrudescence du trafic humain, qu’elle attribue à des facteurs socio-économiques aggravés par la corruption. Elle a également mis en avant les nouveaux modes opératoires des réseaux criminels, qui exploitent les technologies pour se rendre plus invisibles.
« Le trafic humain est un phénomène en constante évolution. Avec le développement des technologies, les réseaux criminels ont adopté de nouveaux modes opératoires : publicités dissimulées, recrutement en ligne, exploitation à distance et transfert de profits issus d’autres activités illicites. Les trafiquants collaborent depuis différents endroits simultanément, créant ainsi des réseaux complexes et organisés », a-t-elle expliqué.
Face à cette menace protéiforme, elle préconise une approche pluridisciplinaire, combinant droits humains, justice accessible, soutien psychologique aux survivants, et recours à l’intelligence artificielle pour détecter et démanteler ces réseaux.
L’enjeu est clair : minimiser la victimisation et maximiser l’efficacité des interventions. Car derrière les statistiques, ce sont des vies humaines qui basculent dans l’ombre.

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