Interview

Sangeet Jooseery: «Le privé doit devenir plus ‘gender-sensitive’»

En ce jour où la femme est célébrée à travers le monde, Sangeet Jooseery, président de l’Association pour la population et le développement (APD), estime qu’il faudrait aborder le développement dans une perspective du genre. L’APD lancera bientôt un projet visant à lutter contre la violence sexuelle entre partenaires intimes. Pourquoi cette initiative ? Déjà, le fait de parler de sexe est tabou dans la société mauricienne. La violence sexuelle au sein du couple l’est davantage. Notre association intervient beaucoup sur la violence, qu’elle soit domestique ou qu’elle concerne le genre. Les récents chiffres du Bureau central des statistiques indiquent une hausse des cas de violence entre partenaires intimes et d’abus sexuels. À travers ce projet, nous proposons une approche globale et intégrée visant la prévention, la protection et la réhabilitation. Notre stratégie d’intervention s’articule autour de cinq axes majeurs : l’information et l’éducation, la formation, le plaidoyer, le marketing social et l’assistance médiatique.
Sur quoi vous basez-vous pour affirmer que la violence entre partenaires intimes existe dans la société mauricienne ? Les statistiques le prouvent. Malheureusement, aucune étude n’a été faite sur le sujet. Pourtant, cela existe. Il ne faut pas se voiler la face. Qui sont ceux qui sont les plus touchés par les délits sexuels ? Les femmes et les jeunes filles évidemment. D’après des récentes statistiques (2014), 91 % des victimes sont de sexe féminin, 63 % ont moins de 16 ans et 64 % sont des étudiants. 65 % des cas d’abus sexuels sont perpétrés au sein de la famille et 23 % des victimes ont un lien familial avec les auteurs.
[blockquote]« Pour  atteindre des objectifs durables, il faut autonomiser les femmes. Pour y arriver, il faut l’égalité des genres »[/blockquote]
Ces chiffres donnent froid dans le dos… Et comment ! Nous avons un sérieux problème. Il est grand temps d’en tenir compte. De 455 cas enregistrés en 2012, les délits sexuels sont passés à 535 en 2013 pour atteindre 625 en 2014. Qu’est-ce qui explique cette hausse ? On dénonce plus aujourd’hui. Les campagnes d’explication et de conscientisation ont porté leurs fruits. Il ne faut plus rester les bras croisés. Notre projet impliquera tous les partenaires concernés, y compris le ministère de tutelle et les chefs religieux. N’était-ce pas au ministère de la Protection de l’enfance de venir avec une initiative comme la vôtre ? Je ne le pense pas. Tout citoyen a le devoir et la responsabilité d’aider à assainir une situation. De plus, l’État ne peut pas tout faire. Notons que nous bénéficions, dans le cadre de cette initiative, du soutien financier et logistique du ministère concerné à travers le Special Collaborative Programme for Women and Children in Distress. Le gouvernement compte amender la « Protection from Domestic Violence Act » afin que la violence domestique soit considérée comme un « aggravated offence ». Qu’en pensez-vous ? C’est une excellente décision que j’accueille favorablement. La violence domestique est ancrée dans la société mauricienne. Il faut un programme stratégique, structuré et planifié pour la combattre. Il faut en finir avec les interventions sporadiques et adopter une approche holistique et scientifique. Est-ce ce qui manque actuellement ? Les programmes lancés antérieurement pèchent par un manque de suivi. À chaque changement de gouvernement, le programme aussi change ! Souvent, des projets importants se retrouvent dans des tiroirs pour des raisons inexpliquées. À ce rythme, on reculera au lieu d’avancer. Il faut que les décideurs se rendent compte qu’on ne peut pas faire de la politique sur un sujet aussi sensible que la violence domestique. Ce mardi 8 mars, on célèbre la Journée internationale de la femme. Y a-t-il enfin égalité entre l’homme et la femme à Maurice ? Si on compare Maurice avec les pays subsahariens, on peut dire que nous avons fait pas mal de progrès dans ce domaine. Nous avons même amendé certaines législations pour permettre une plus grande inclusion de la femme dans les activités professionnelles et politiques. Cependant, on aurait pu faire plus. Quoi par exemple ? C’est le gouvernement qui milite le plus pour l’égalité des chances et des opportunités entre hommes et femmes. Mais le secteur privé suit-il le mouvement ? Malheureusement, il est davantage orienté vers les profits. Son agenda diffère de celui du gouvernement. Le privé doit devenir plus gender sensitive et permettre à davantage de femmes d’accéder à des postes à responsabilités, comme c’est le cas dans le secteur public. Quid de la vision 2030 du gouvernement ? Je dois malheureusement dire que la vision 2030 n’est pas gender-sensitive. Que voulez-vous dire ? Il n’y a pas d’accent sur la promotion de l’égalité des genres dans la vision 2030 du gouvernement. La priorité, telle que décrite dans le document, est la relance de l’économie et la réalisation du deuxième miracle économique. L’essentiel a été oublié : l’apport et l’importance de la femme dans cette vision. Pour  atteindre des objectifs durables, il faut autonomiser les femmes. Pour y arriver, il faut l’égalité des genres. Que devrait faire le gouvernement ? Je ne critique ni ses programmes ni sa vision. Je dis simplement qu’il faut corriger certaines imperfections, inclure le composant « genre » dans les propositions économiques. Avec une vision qui occulte l’importance des femmes, on ne peut s’étonner qu’il y ait une féminisation de la pauvreté et du chômage. Je souhaite que le Plan Marshall aborde à ce problème de même que toutes les questions relatives avec une perspective de genre, quitte à porter des gender lenses. Il n’y a rien que l’on peut faire si les hommes ne sont pas engagés et acquis à la cause féminine.
 

Spécialiste du genre

Âgé de 63 ans, Sangeet Jooseery a été durant 15 ans à la tête de la Mauritius Family Planning and Welfare Association (MFPWA). En 2006, il a démissionné pour occuper le poste de directeur exécutif à Partners in Population and Development, à New York. De retour au pays, il a lancé l’Association pour la population et le développement. Il travaille beaucoup sur les questions de genre et la promotion de la femme dans la société.
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