
Un déplacement à Maputo, censé boucler une opération de rapatriement, a fini par révéler les failles d’un système. Un mois après le déclenchement de l’enquête « Reward Money », la Financial Crimes Commission a inculpé quatre officiers de police, dont deux Assistant Commissioners of Police. À la clé : plus de Rs 250 millions de fonds publics suspectés d’avoir été détournées.
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Cela fait environ un mois que la Financial Crimes Commission (FCC) a enclenché sa machinerie judiciaire dans l’affaire Reward Money. Un voyage d’enquête à Maputo, au Mozambique, lui a permis de comprendre un peu mieux le « modus operandi » de ce détournement de fonds présumé. Cette mission, menée dans le cadre d’une coopération inter-agences, constitue désormais le point de bascule de toute l’investigation.
Quatre hauts gradés de la police se retrouvent aujourd’hui sur le banc des accusés : deux Assistant Commissioners of Police (ACP) – Lilram Deal et Dunraz Gangadin –, un Assistant Superintendent of Police (ASP) Faraaz Mooniaruth, ainsi que le sergent de police Yeshdeo Seeboruth. D’autres arrestations sont attendues.
L’enquête de la FCC pointe un système structuré qui aurait permis à ces officiers de détourner des sommes colossales. Elle tente encore d’identifier l’Ultimate Beneficiary de ces fonds et d’établir s’il y a eu plusieurs bénéficiaires.
L’ACP Dunraz Gangadin aurait vu Rs 160 392 000 transiter sur son compte bancaire personnel dans une banque commerciale.
Le sergent Yeshdeo Seeboruth a, lui, réceptionné sur son compte Rs 76 millions, dont Rs 14 millions retirées en espèces, à raison de Rs 1 million par jour, entre le 18 octobre et le 7 novembre 2024. L’ASP Mooniaruth aurait, lui, réceptionné Rs 3 millions sur son compte, tandis que Lilram Deal aurait bénéficié de Rs 5 millions, dont Rs 4,5 millions en lien direct avec le rapatriement de Navind Kistnah depuis Maputo.
C’est justement dans le cadre de ce dossier que la FCC s’est rendue à Maputo pour une mission conjointe avec les autorités mozambicaines. L’objectif : mieux comprendre les conditions de l’arrestation de Navind Kistnah, le 31 mars 2017, et son rapatriement à Maurice le 15 avril de la même année. La FCC a découvert plusieurs zones d’ombre entourant les circonstances de cette interpellation.
À l’époque, c’est l’équipe de l’ACP Lilram Deal, alors responsable de la Counter Terrorism Unit (CTU), qui s’était rendue sur place. Elle était accompagnée d’une équipe de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (Adsu). Cette mission visait à rapatrier Navind Kistnah à Maurice. C’est à l’issue de cette mission que Lilram Deal aurait perçu sa part du Reward Money, soit Rs 4,5 millions.
Au niveau de la FCC, plusieurs cas de saisie de drogue ayant donné lieu au versement de Reward Money ont été passés au peigne fin. Un exercice mené avec la coopération des Casernes centrales. Si dans certains dossiers tout semble clair et avoir été fait dans le respect des normes, dans plusieurs autres, de sérieuses anomalies ont été détectées.
Dans le cadre de son enquête, la FCC a interrogé plusieurs personnalités-clés jusqu’ici : Navind Kistnah, l’ex-commissaire de police Mario Nobin, et l’ancien patron de l’Adsu, Choolun Bhojoo. Tous avaient été autorisés à rentrer après leurs auditions respectives, à l’exception de Navind Kistnah, toujours incarcéré depuis son arrestation.
Si ces premières auditions ont permis de reconstituer certains rouages du système, l’attention des enquêteurs se porte sur d’autres protagonistes, à l’instar de l’ACP Dunraz Gangadin. Depuis son arrestation le 24 juillet, ce haut gradé est confronté aux questions des enquêteurs du Réduit Triangle.
Accompagné de son avocat, Me Yash Bhadain, il a expliqué avoir été en charge de trois unités spécialisées mises sur pied par l’ancien CP Anil Kumar Dip et désormais dissoutes : la Police Headquarters Special Support Team (PHQSST), la Force Crime Intelligence Unit (FCIU) (incluant les antennes de la Divisional Crime Intelligence Unit) et la Special Intelligence Cell (SIC).
Il a soutenu qu’il était en charge de l’administration de ces diverses unités et a désigné Anil Kumar Dip comme celui qui commandait leurs activités. Selon Dunraz Gangadin, c’est l’ex-CP qui supervisait directement les opérations de saisies de drogue réalisées par ces défuntes unités de police.
Dans cette affaire, l’ACP est accusé de blanchiment d’argent. Dans un communiqué émis vendredi soir, la FCC indique avoir des motifs raisonnables de croire que des fonds retrouvés sur son compte bancaire sont des produits d’activités criminelles. Sont concernés des montants totalisant Rs 102,200,000 crédités sur son compte entre janvier 2023 et mars 2024, ainsi que des montants totalisant Rs 58,192,000 crédités entre juin 2024 et octobre 2024. Ce qui fait un total de Rs 160 392 000. Quant à Faraaz Mooniaruth et Yeshdeo Seeboruth ils resteront en détention jusqu’au 31 juillet.
Retraits suspects : Rs 14 M en espèces juste avant les élections
Autre volet troublant de l’enquête : 14 retraits d’un million de roupies en liquide, soit Rs 14 millions, auraient été effectués sur le compte bancaire de l’ACP Dunraz Gangadi entre le 18 octobre et le 7 novembre 2024, soit peu avant les élections générales. Ces retraits ont eu lieu les 18, 21, 22, 23, 24, 25, 28, 29, 30 octobre, ainsi que les 1er, 4, 5, 6 et 7 novembre. Les enquêteurs de la FCC ont aussi appris que durant la période s’étalant du 13 janvier 2023 au 30 novembre 2024, pas moins de 214 retraits ont été effectués sur le compte de l’ACP pour un total de Rs 83,5 millions.
Versements douteux de Rs 18,3 millions sur le compte de Dunraz Gangadin
Du 1er janvier 2018 au 12 août 2024, le compte bancaire de l’ACP Dunraz Gangadin affichait un solde de Rs 26,6 millions. La FCC a axé un volet de son enquête sur 15 chèques versés sur ce compte entre le 18 juin 2019 et le 24 juin 2024, pour un montant cumulé de Rs 18,3 millions.
Quelques exemples de versements interrogent les enquêteurs : Rs 2 millions le 30 mai 2022 ; Rs 1,6 million le 28 juin ; Rs 1,5 million le 21 septembre 2022 ; Rs 3,2 millions le 28 octobre 2022 ; et Rs 9 millions le 11 novembre 2022, entre autres.
Ces dépôts, considérés comme potentiellement issus de « suspicious funds », font actuellement l’objet d’un traçage financier. De plus, des dépôts en espèces totalisant Rs 306 000 ont été enregistrés pendant la période s’étalant de septembre 2018 au 3 février 2023.
Affaire Navind Kistnah : controverses autour de la réclamation de la prime
Une coopération inter-agences, notamment avec les autorités mozambicaines, a permis à la FCC de déceler plusieurs zones d’ombre. Selon l’enquête, une équipe de l’Adsu, sélectionnée par le quartier général de la brigade antidrogue d’alors, avait été dépêchée au Mozambique pour rapatrier Navind Kistnah, qui avait été arrêté par la police mozambicaine.
Mais une controverse persiste : la prime (Reward Money) pour cette opération a été demandée – et accordée – à l’ACP Lilram Deal de la Counter Terrorism Unit (CTU), bien que ce ne soit pas cette unité qui ait mené l’intervention. Recherché dans le cadre de la saisie record de Rs 180 millions de drogue en mars 2016, Navind Kistnah avait fui Maurice pour se rendre en l’Afrique. Il avait transité par plusieurs pays du continent africain avant d’être finalement arrêté au Mozambique.
Alertée, l’Adsu avait alors envoyé une équipe pour le ramener à Maurice. Sauf qu’après cette opération, c’est le CTU qui avait fait la demande de Reward Money. Au total, l’ACP Lilram Deeal aurait perçu Rs 4,5 millions au titre du Reward Money Scheme dans le cadre de diverses enquêtes liées à la drogue. La FCC a donc initié des démarches pour clarifier les conditions exactes de cette opération sur le territoire mozambicain.

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