L’épisode de tensions au sommet de l’Alliance du Changement est officiellement clos, mais les séquelles politiques demeurent. Après avoir ébranlé la population, les dirigeants doivent désormais retisser la confiance et avancer sur les dossiers prioritaires attendus depuis un an.
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Les choses reviennent à la normale. C’est ce qu’a assuré Paul Bérenger, lundi, après la réunion du comité central du MMM. Deux semaines de tensions intenses au sommet de l’État ont alimenté les interrogations sur la solidité de l’Alliance du Changement, au pouvoir depuis à peine un an. La crise ayant fortement ébranlé la population, l’heure est désormais à la reprise en main des priorités nationales.
Ce climat politique houleux a été au cœur de l’émission « Au Cœur de l’Info », animée par Patrick Hilbert lundi 17 novembre sur Radio Plus. Sur le plateau : le député travailliste Ehsan Juman, l’ancien ministre MMM Motee Ramdass et le journaliste et observateur Bernard Saminaden.
Eshan Juman reconnaît que cette crise est tout sauf anodine. « Je dois être honnête : nous avons beaucoup de travail à accomplir et la population a beaucoup d’attentes », déclare-t-il, rappelant l’urgence d’agir.
Bernard Saminaden estime pour sa part que les Mauriciens ont été « traumatisés » par cette démonstration publique de rivalité politique. Il évoque « pressions, héritages de l’ancien régime et frictions inévitables dans une alliance au pouvoir dans un pays multiculturel ». Selon lui, « la diplomatie et le dialogue doivent redevenir la règle ».
Même son de cloche chez Motee Ramdass, qui parle d’un peuple « meurtri » après « dix ans de pillage » sous l’ancien gouvernement. À 82 ans, il dit espérer voir Maurice « respirer » et renouer avec « un véritable mauricianisme ».
S’exprimant sur la déclaration de Navin Ramgoolam, samedi — le Premier ministre confiait qu’un départ de Paul Bérenger l’aurait « rendu triste » — Ehsan Juman rappelle que cette alliance est le fruit « d’années de lutte commune », et qu’elle doit continuer à servir « le pays avant tout ». Il admet un malaise mais assure que cette secousse a rendu l’alliance « encore plus soudée ».
Pour Bernard Saminaden et Motee Ramdass, un changement de fonctionnement s’impose : tant que le pouvoir reste trop concentré, les risques de « surchauffe » demeurent. Ils appellent « à un réel partage des responsabilités dans une logique de ‘nation building’ ».
Peu avant 18 heures, la fumée blanche est sortie : Paul Bérenger annonce que les tensions sont « réglées ». Avec Navin Ramgoolam, un accord a été trouvé sur plusieurs dossiers prioritaires : réforme électorale, National Crime Agency, Air Mauritius, drogue, prisons et police. Maintenir le MMM au gouvernement, insiste-t-il, relève du mandat « confié par le peuple ».
Ehsan Juman salue une décision « bonne pour la démocratie et la population », tandis que Bernard Saminaden affirme que Navin Ramgoolam a encore démontré qu’il était « un homme de compromis ». Motee Ramdass souligne, lui, que les deux leaders ont une responsabilité historique quant à l’héritage qu’ils laisseront.
La question est posée en deuxième partie d’émission : encore quatre ans ? « Oui, s’il n’y a pas de fauteurs de troubles », répond Bernard Saminaden.
Le géopoliticien Shafick Osman, intervenant au téléphone, met en garde : l’alliance « ne tient qu’à un fil ». Pour lui, le véritable gagnant de cet épisode reste Navin Ramgoolam, qui a « tenu l’alliance » et ramené Paul Bérenger à la table. La population, impatiente, jugera sur pièces. Et comme le rappelle Motee Ramdass : « C’est le peuple qui doit sortir gagnant, pas un camp. »
La base mauve respire enfin
L’annonce du maintien de l’alliance politique a suscité un vif intérêt et une diversité de réactions parmi les partisans présents à Rose-Hill hier. Entre soulagement, fidélité au leadership et prudence face à la suite des événements, chacun exprime son ressenti après plusieurs jours de tensions et d’incertitudes.
Brigitte Roussety, 59 ans, habitante de La Tour Koenig : « Nous sommes très contents de ce qui s’est passé aujourd’hui. Nous étions confiants que notre leader ne nous abandonnerait pas. Nous avons combattu avec lui malgré le stress de la semaine dernière. »
Chloé Husseiny, 20 ans, habitante de Beau-Bassin : « C’est la première fois que j’assiste à un meeting. La décision de Paul Bérenger est adéquate, car il reste uni avec le Parti travailliste. Il ne tourne pas le dos à l’alliance. »
Samuel Bernon, 23 ans, habitant de Beau-Bassin : « On verra bien ce que ça va donner. Nous restons dans l’attente. »
Gaëtan Vencatasamy, 75 ans, habitant du no 18 : « Je suis un militant depuis 1969. Je suis content qu’il y ait une alliance pour sauver le pays. Nous devons accepter que tout ne se passe pas toujours bien. Il y a deux leaders, deux grandes personnalités. Ils ont fait beaucoup pour le pays. Nos deux leaders sont ensemble maintenant. »
Vishua Soobramaney, 72 ans, habitant de Stanley : « Je soutiens mon leader. On continue comme cela. »
David Grenade, 65 ans, habitant de Pointe-aux-Sables : « Je suis content que les choses reviennent à la normale. C’est un plus pour nous. La suite, on verra. »
Ambal Mootoosamy-Grenade, 48 ans, habitante de Pointe-aux-Sables : « Je suis très contente. Il faut continuer. Il faut penser que certains ont besoin d’aide. »
Loganaigee Soobramaney, 65 ans, habitante de Trèfles : « Nous avons voté pour eux ensemble. Ça aurait été triste si ça n’avait pas marché. On les laisse faire leur travail maintenant. »
Réactions
Nando Bodha : « Un mauvais cinéma politique »
Le leader du Rassemblement Mauricien, Nando Bodha, porte un regard sévère sur cet épisode politique. Il estime que cette séquence a nui au pays plus qu’elle ne l’a servi. « Le peuple est le dindon de la farce. Après une trahison envers ce même peuple, il y a aujourd’hui une trahison interne au sein de l’Alliance », affirme-t-il.
Pour lui, le renouvellement du contrat du commissaire de police a été « un acte de provocation » qui a contribué à alimenter la crise. Il reproche au leader du MMM d’avoir priorisé la survie de son parti plutôt que l’intérêt de la population.
Selon Nando Bodha, la crise n’est peut-être pas terminée. Il rappelle que Navin Ramgoolam semble déjà avoir envisagé l’éventualité d’une rupture. « Le fait d’avoir accédé à la demande du MMM concernant la réforme électorale en dit long. Tout le monde sait que Navin Ramgoolam n’a jamais soutenu une réforme qui ne serait pas favorable au Parti travailliste », souligne-t-il. Il estime que les tensions internes pourraient resurgir dès que d’autres dossiers sensibles seront remis sur la table.
Patrick Belcourt : « Spectacle affligeant »
Le leader d’En avant Moris, Patrick Belcourt, fustige une nouvelle fois les tensions au sein de l’Alliance du Changement, qu’il qualifie de « spectacle affligeant » offert aux Mauriciens. « Voilà le cadeau que les dirigeants de l’alliance donnent au pays pour leur première année au pouvoir », lance-t-il, rappelant successivement les récents épisodes impliquant Arianne Navarre-Marie et Anishta Babooram, puis Shakeel Mohamed et Ehsan Juman, avant le dernier en date opposant Paul Bérenger à Navin Ramgoolam. « C’est la cerise sur un gâteau bien amer. »
Patrick Belcourt estime que ces querelles détournent le gouvernement de ses responsabilités essentielles. « Pendant que nous assistons à ce feuilleton politique, qui s’occupe du coût de la vie que subissent les Mauriciens ? Qui s’occupe de la lutte contre la drogue ? Qui s’occupe des féminicides? » interroge-t-il. Il regrette que, malgré les fêtes de fin d’année qui approchent et le versement du 13e mois, « les citoyens doivent continuer à porter leur sac de clous » face aux difficultés quotidiennes. « C’est triste, c’est affligeant », conclut-il, donnant « rendez-vous pour le prochain épisode de Paul et Navin ».
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