Erickson Mooneeapillay, avocat pénaliste, est aussi responsable de Dis-Moi Maurice. Dans cet entretien, il nous parle de l’impact du projet pro bono de son expérience de militant des droits de l’homme et de la crise qui frappe une partie de la police mauricienne.
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Le projet pro bono a-t-il vraiment décollé ? Avez-vous l’impression que les citoyens mauriciens sont au courant des services que vous offrez ?
Le projet pro bono est un véritable succès et a dépassé nos attentes. À ce jour, il y a eu plus d’un millier de bénéficiaires de nos services gratuits. Quoiqu’on savait qu’il y avait une demande pour ce service, cela nous étonne toujours de savoir combien de personnes nécessitent une assistance légale.
Nous avons à ce jour une vingtaine de collaborateurs sur une base flexible. Nous faisons de notre mieux pour disséminer l’information, mais je dois dire que nous sommes victimes de notre succès puisqu’il existe malheureusement maintenant une attente qu’on essaie tant bien que mal à réduire.
Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement de ce service ? Est-ce que n’importe quel citoyen peut venir vers vous pour n’importe quel service ? Si je suis un mari violent par ex et que je suis sous le coup d’un protection order en faveur de mon épouse et que je n’ai pas de moyens, puis-je venir solliciter vos services gratuitement ?
Écoutez, notre priorité ce sont les personnes vulnérables de la société : les femmes battues, les seniors citizen, les autrement capables. Mais il existe aussi des cas quand des personnes ont été injustement accusées. Donc il est important de garder un esprit ouvert. Nous ne sommes pas là pour juger et nous ne pratiquons certainement pas de discrimination.
L’aveu arraché par la torture est toujours difficile à prouver devant la cour."
De manière générale, êtes-vous satisfait de la façon dont la justice fonctionne à Maurice ? Quels sont les problèmes que vous rencontrez dans votre métier d’avocat ?
Non, je ne suis pas satisfait. Je parle là du droit pénal.
Une refonte en profondeur est nécessaire. Les projets de loi tels que la Police and Criminal Evidence Act, la Coroners Act et l’Immigration Tribunal Act, entre autres, se font attendre. La religion de l’aveu est toujours vue dans nos lois comme la meilleure preuve que la poursuite puisse présenter. Ce qui explique pourquoi la torture, l’intimidation et la ruse sont utilisées afin d’avoir un aveu.
L’accusé en absence d’un bon avocat spécialisé est perdu. J’ai l’impression qu’on traite un accusé comme présumé coupable jusqu’à preuve de son innocence. Il existe une érosion graduelle et rapide de ses droits civiques et c’est dangereux.
Nos magistrats et juges semblent agir en toute indépendance mis à part de rares cas, le bureau du directeur des poursuites publiques est une machinerie bien huilée qui dépend du travail de la police. Mais la chaine judiciaire semble être problématique, en raison de graves manquements du premier chainon : la police. Que se passe-t-il au sein cette institution selon vous ?
Le parquet est aussi fort que le dossier qu’il plaide. Si le dossier est bien ficelé, c’est normal que le travail s’avère plus facile. Mais si l’enquête de la police est fébrile, incomplète, partisane, il devient difficile de plaider le dossier à charge. Sauf quand il y a un aveu.
Le système d’aveu bénéficie à certains qui retrouvent une facilité au détriment du travail d’analyse scientifique.
Dans le jugement rendu concernant l’ex-journaliste Stenio Antonio, le magistrat parle de sérieux manquements de la police. Avez-vous, durant votre carrière, fait l’expérience d’une telle situation ou est-ce une exception ?
Les manquements de la police sont légion dans les procès. Mais il est rare que la police se fasse rabrouer. Ce que vous devez savoir c’est qu’il existe de grands magistrats à Maurice qui exercent leur profession avec une courtoisie, un discernement et une impartialité exemplaire. Mais la familiarité laisse aussi place à la complaisance...
Le grand défi à relever c’est l’aveu. Car l’aveu arraché par la torture est toujours difficile à prouver devant la cour. Et peut laisser place à des erreurs judiciaires qui sont irréversibles. Et justement, il n’y a pas, à ce jour, de mécanisme pour parer à d’éventuelles erreurs judiciaires comme en Angleterre avec la Criminal Cases Review Commission.
Il faut aussi comprendre que le terme ‘erreur judiciaire’ est un ‘misnomer’ puisque l’erreur découle avant tout de l’enquête policière qu’on cherche à rendre légitime devant la cour.
On pense naïvement que notre système est parfait. C’est tragi-comique.
Et l’affaire Tetree... On vous a décrit comme l’avocat du diable sur les réseaux sociaux en essayant de défendre l’indéfendable.
Je ne défends pas le crime, mais je défends l’humain. Je l’ai dit s’il y a une poursuite, il doit bien y avoir une défense.
Gandhi le disait bien. Il fait haïr le mal, mais ne jamais haïr celui qui a commis le mal. Dans un procès l’accusé a droit à un avocat et il est innocent jusqu’à preuve du contraire.
On défend aussi le droit fondamental au silence de tout citoyen. On défend la dignité de tout être humain d’être jugé par ses pairs. Un procès doit passer irrémédiablement par le débat contradictoire, sinon on ne peut aspirer à la justice.
Et je n’ai pas d’excuse à présenter à qui que ce soit pour avoir fait le travail pour lequel j’ai prêté serment.
Certains pensent qu’il y a un monde de différence entre un criminel et une autre personne. Nous sommes tous faits de chair. Les bien pensants de la société croient qu’ils sont à l’abri d’un crime ou d’un délit. Regardez toute la haine qu’il y a sur les réseaux sociaux c’est une réflexion de notre société. Ceux-là feraient mieux d’aller lire Madame Bovary de Flaubert ou encore l’Étranger de Camus pour comprendre la nature humaine au lieu de cracher leurs venins lâchement derrière leurs écrans.
Et puis c’est à l’État d’assurer la protection des citoyens et d’éliminer les causes du crime au lieu de se focaliser que sur la punition du criminel. Parmi les causes, il y a la pauvreté, la promiscuité, le manque de possibilités, l’alcool et la drogue, entre autres.
Quand on élimine les causes du crime, les victimes deviendront rares.
Justement quel est votre regard sur la situation sociale à Maurice ?
Je pense qu’on va faire face à beaucoup de défis à cause du Covid-19.
Par ailleurs, il y a un malaise post-indépendance qui perdure et auquel aucun gouvernement ne s’est réellement attaqué. Le fossé entre les riches et les pauvres se creusent davantage. Et il y a une perception que ceux qui nous gouvernent sont là pour se remplir les poches. C’est cette perception qui est responsable du désespoir de beaucoup de personnes et qui pousse d’autres à commettre l’irréparable.
Le manque de logement social est aussi à déplorer alors qu’on donne des arpents pour des parcours de golf. On a choisi de détruire avant d’avoir construit. C’est un paradoxe.
Une question personnelle. Qu’est-ce qui vous motive à militer dans une organisation de droits humains ?
C’est avant tout d’œuvrer dans une structure avec des camarades qui ont de l’expérience et une passion pour l’être humain.
L’espoir qu’on peut vivre dans une société meilleure. Redonner la dignité. Repousser toute marée qui voudrait éroder nos droits acquis. Consolider les droits humains et instruire. La motivation est aussi de former les autres.
Le mot de la fin
Le plus grand défi de notre société est l’ignorance de notre passé. Que ce soit sur le plan local ou international, notre histoire a été sanglante. On doit tout faire pour tirer les leçons du passé et éviter que l’histoire se répète. C’est seulement en observant les règles qui respectent la dignité humaine qu’on pourra repousser les tendances et réflexes basiques.
Pour cela, l’histoire et l’instruction des droits civiques doivent faire partie de notre curriculum dès le plus jeune âge.
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