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Pradeep Roopun tire sa révérence : la présidence doit-elle se réinventer ?

La fonction prestigieuse qu’a occupée Pradeep Roopun a souvent été ternie par des critiques pointant un manque d’initiative sur des dossiers essentiels et une absence de positionnement lors de crises importantes.

Ce lundi 2 décembre marque la fin du mandat de Pradeep Roopun à la présidence de la République. Nommé à ce poste en 2019, Pradeep Roopun a occupé une fonction prestigieuse, mais son passage à la tête de l’État a été souvent critiqué pour son manque d’initiative sur des enjeux cruciaux et pour son absence de prise de position durant plusieurs crises constitutionnelles.

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L’un des moments les plus marquants du mandat de Pradeep Roopun fut la crise constitutionnelle qui a opposé le Directeur des Poursuites Publiques (DPP) et le Commissaire de Police. Dans cette affaire, où des questions fondamentales concernant l’équilibre des pouvoirs entre les institutions ont été soulevées, il est resté silencieux. De nombreux observateurs et analystes politiques lui ont reproché de ne pas avoir joué son rôle de garant de la Constitution, un rôle que la Constitution de Maurice confère explicitement au Président. Le manque de réactivité du président dans ce contexte a fait douter de son autorité face aux crises qui secouaient le pays.

Le silence de Pradeep Roopun a également été vivement critiqué lors de l’adoption de la Financial Crimes Commission Act. Cette loi, largement considérée par les juristes comme une atteinte aux droits constitutionnels du Directeur des Poursuites Publiques (DPP), conférait à la Financial Crimes Commission (FCC) le pouvoir d’initier des poursuites, une prérogative normalement réservée, selon l’article 72 de la Constitution, au DPP. En ne réagissant pas, Pradeep Roopun a alimenté les critiques à son encontre, renforçant l’image d’un président manquant de fermeté dans la défense des principes fondamentaux de la République.

L’ancien diplomate Kris Valaydon figure parmi ceux qui critiquent vivement le mandat de Pradeep Roopun, en particulier son inaction lors de la crise constitutionnelle ayant opposé le bureau du Directeur des Poursuites Publiques au Commissaire de Police. Pour Kris Valaydon, cette confrontation, qu’il qualifie de « litige malsain », a marqué une page sombre dans l’histoire institutionnelle du pays.

Selon lui, le rôle de garant de la Constitution, que revêt le président de la République, aurait exigé une intervention décisive pour rétablir l’ordre. « On ne comprend pas comment le Président, garant de la Constitution, n’est pas intervenu pour rappeler à l’ordre le Commissaire de police ou, à défaut, pour discuter avec le Premier ministre. Après tout, selon la Constitution, c’est ce dernier qui donne des directives d’ordre général au Commissaire de police », a-t-il affirmé. Kris Valaydon estime que le Président aurait pu user de son influence institutionnelle pour exhorter le Premier ministre à imposer une directive claire au Commissaire de police, mettant fin à ce conflit qu’il considère comme une menace pour la stabilité institutionnelle.

Répercussions profondes

Kris Valaydon souligne les répercussions profondes de ce litige sur la confiance de la population envers les institutions. « Ce bras de fer a non seulement affaibli la stabilité des institutions indépendantes, mais il a également ébranlé la confiance que les citoyens placent en elles », a-t-il ajouté. 

Selon l’ancien diplomate, la proclamation de la Financial Crimes Commission Act constitue un deuxième épisode marquant du mandat de Pradeep Roopun, reflétant une inaction qui, selon lui, a nui à la protection des principes constitutionnels. Cette loi, qu’il qualifie de « scélérate », visait directement « à affaiblir l’indépendance du DPP ». 

En tant que garant de la Constitution, Pradeep Roopun aurait dû intervenir pour défendre cette disposition fondamentale de la loi suprême, estime Kris Valaydon. « Il aurait dû rappeler que l’indépendance du DPP est protégée par la Constitution et conseiller le Premier ministre d’agir pour préserver cet équilibre institutionnel. Son silence sur cette question a été une faute grave », ajoute-t-il. Cette inaction, selon lui, reflète un échec dans l’exercice des responsabilités présidentielles, particulièrement en période de tensions institutionnelles.

Alors que la fin de son mandat approche, la nomination de Dharam Gokhool, pressenti pour succéder à Pradeep Roopun à la présidence, suscite de vives attentes au sein de la population. Plusieurs voix s’élèvent, espérant que ce changement symbolise un tournant et une rupture avec le style de gestion de Pradeep Roopun. La question est désormais de savoir si Dharam Gokhool saura incarner un rôle plus actif et plus affirmé dans la protection des institutions, et s’il sera en mesure de redonner au poste de président l’autorité et la dignité que la situation exige.

Faizal Jeerooburkhan, observateur politique, estime que pour que Dharam Gokhool puisse réellement marquer une rupture avec l’héritage de Pradeep Roopun, il devra impérativement accroître sa visibilité auprès de la population et adopter une posture proactive sur les grandes problématiques nationales. Selon lui, la fonction présidentielle ne se limite pas à une présence symbolique, mais impose une responsabilité active dans le débat public. « Le Président doit incarner une ligne de conduite qui reflète la dignité de la fonction qu’il exerce », indique Faizal Jeerooburkhan. Il souligne que cette ligne doit non seulement être empreinte d’impartialité, mais aussi de capacité à promouvoir l’unité nationale. Le président, selon lui, doit être un défenseur inébranlable du principe de cohésion nationale, en veillant à ce que le pays demeure soudé derrière la notion de « one people, one nation in peace, justice, and liberty ».

Faizal Jeerooburkhan évoque ainsi l’importance d’une prise de position sur des enjeux cruciaux, notamment le développement culturel et social du pays. Cette démarche s’accompagne, selon lui, de l’impératif de s’attaquer aux fléaux sociaux persistants, tels que l’épidémie de drogue, qui continue de déstabiliser les bases de la société. Un engagement clair contre ces dérives serait, pour Faizal Jeerooburkhan, un moyen de redonner de la substance à la fonction présidentielle et d’en faire un vecteur de changement.

Enfin, l’observateur politique n’élude pas les enjeux environnementaux et plaide pour que le nouveau président prenne une position forte en faveur de la préservation écologique. Dans un contexte où les défis environnementaux se font de plus en plus pressants, il considère que Dharam Gokhool pourrait jouer un rôle clé dans la promotion de politiques écologiques ambitieuses. Ce serait un moyen, selon lui, de projeter la fonction présidentielle dans la modernité et d’affirmer un leadership cohérent avec les défis globaux du XXIᵉ siècle.

Perspectives de rupture

S’exprimant sur les attentes autour du prochain président de la République, dans le contexte de changement de régime, Kris Valaydon nuance les perspectives de rupture en précisant que celle-ci ne passera pas par une révision constitutionnelle pour redistribuer les pouvoirs entre le président et le Premier ministre. Selon lui, la Constitution mauricienne établit clairement que le président exerce l’essentiel de ses fonctions sur recommandation du Conseil des ministres, sauf dans de rares cas où il agit de son propre chef. « Le président, d’autant plus qu’il n’est pas élu directement par le peuple, dispose de pouvoirs très limités », souligne-t-il.

Kris Valaydon observe qu’aucun parti politique n’a évoqué, lors de la récente campagne électorale, une réforme visant à accroître les pouvoirs présidentiels. Par conséquent, la rupture attendue ne concerne pas l’architecture constitutionnelle, mais plutôt le fonctionnement des institutions. « On peut renforcer les institutions démocratiques sans pour autant redistribuer les pouvoirs », avance-t-il, en appelant à une réflexion profonde sur des mécanismes visant à garantir davantage d’impartialité et d’efficacité.

Kris Valaydon insiste finalement sur la nécessité de corriger les pratiques nuisibles qui, selon lui, ont érodé la démocratie mauricienne au cours des dix dernières années. « Nous avons assisté à un délitement de la démocratie, un accaparement des institutions, et même des attaques directes contre des entités indépendantes », regrette-t-il. La priorité, selon lui, doit être de démanteler les pratiques d’ingérence systémique instaurées par l’ancien régime.

 

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