Même s'il dit n'avoir été qu'un spectateur neutre de l'époque pré-indépendance, l'économiste Pierre Dinan souligne qu'il savait que les Britanniques voulaient se défaire de leurs colonies.
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Que représente l'indépendance pour vous ?
Je suis rentré au pays en 1964 après six années d'études en Angleterre. Je n'étais pas partie prenante du mouvement indépendantiste, je n'étais ni pour ni contre. J'étais un spectateur tout en sachant très bien que les Anglais voulaient se débarrasser de leurs colonies. Avec ma formation d'économiste, je savais qu'on était maître chez nous et qu'il fallait savoir gérer.
Y avait-il déjà un plan préétabli économiquement ?
Pendant les années qui ont suivi l'indépendance, j'ai rencontré un certain Hopkins qui a réalisé le premier 4-Year Plan 1971-75. Je me souviens de ce qu'avait dit le Pr Meads qui nous critiquait avec notre surpopulation et le reste. Il avait introduit une taxe de 5 % sur l'exportation de notre sucre pour favoriser notre diversification économique.
Nous étions basés économi-quement uniquement sur le sucre...
Le gouvernement d'alors avait introduit le concept d'Import Substitution et la Mauritius Agricultural Bank (MAB) avait été créée pour financer la culture de la canne à sucre à travers un département au sein de la Developent Bank of Mauritius (DBM), qui a remplacé la MAB.
Quand vous dites diversifier l'économie, c'était vers quoi à part le sucre ?
J'ai été l'un des trois Investment Officers de la DBM. Notre but était d 'étudier les projets que nous soumettaient des investisseurs mauriciens.
Qui étaient-ils?
Je pense au groupe Happy World qui vendait alors des glaces Ice Cream. Il y avait aussi Blendax, Margarine, Moroil, Food Canners, Food & Allied. Cela a duré jusqu'à la fin des années 70. Certaines entreprises ne sont plus là, d'autres en revanche sont bien présentes et ont connu un franc succès. Puis, il y a eu la grande idée de M. Hughnin qui a introduit la Phoenix Beer, car il disait qu'en Afrique, la bière se vendait comme des petits pains. Il nous fallait réduire nos importations et fabriquer localement quelques produits de consommation courante.
Est-ce que ces produits étaient de qualité ?
C'est la grande question. Est-ce que cela a créé de l'emploi ? Avec notre petit marché, le coût de production est énorme. C'était cela le plus gros problème avec le concept d'Import Substitution. Il ne convenait pas pour résoudre le problème économique.
Qu'en est-il de nos exportations ?
Dans les années 70, le gouvernement a proposé une stratégie d'exportation. À titre d'exemple, Gaëtan Duval a poussé l'industrie touristique. Amédée Maingard a converti Le Chaland afin d'accueillir les stewards de Quantas Airways pour qu'ils y passent la nuit, il a converti la Villa de Curepipe en un hôtel. Il y a eu aussi l'apport de José Poncini et du Professeur Lim Fat, qui a eu l'idée de promouvoir l'Export Promotion à travers Micro Jewels.
Peut-on dire que la zone franche n'a pas été une « zone souffrance » ?
Dans la seconde partie des années 70, la zone franche a flanché, on avait un gouvernement faible, des remous politiques, avec la présence du MMM et ses revendications. C'était des wasted years de notre histoire. Des années de gaspillage avec deux dévaluations. Le Fonds monétaire international a dû intervenir et nous a proposé le leitmotiv d'ouvrir notre économie. De pousser la zone franche et de devenir une export promotion only.
La zone franche a quand même permis à des familles de sortir de la pauvreté extrême...
La zone franche a eu ceci de bon : elle a permis à des centaines de familles de mieux vivre économiquement, mais surtout elle a permis à des femmes de travailler et d'être indépendantes.
Peut-on dire que le peuple a connu « lé temps margoze »?
On a connu « lé temps margoze ». Mais durant les années 80, tous les Mauriciens ont contribué au progrès du pays. Ils ont tous accepté de diminuer les jours fériés qui sont passés de 28 à 12. Ils voulaient travailler, travailler et travailler. Les trentenaires d'aujourd'hui ont grandi dans un milieu relativement aisé. Mais, ils sont tentés par tout, tout de suite. Il est vrai que la vie est devenue plus facile pour beaucoup depuis.
Cela allait si mal que cela ?
Un exemple concret : en juin 1979, Maurice n'avait en tout et pour tout que des réserves de six jours d'importation. Sir Veerasamy Ringadoo, alors ministre des Finances, a dû quémander des sous au FMI pour survivre, mais à la fin des années 80, le pays a tout remboursé, on ne devait plus rien au FMI.
Est-ce que l'introduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en 1982 était-elle justifiée ?
L'introduction de la TVA a été une sage décision, mais Paul Bérenger traîne ce boulet jusqu'à aujourd'hui. Mais, attention : il ne faut pas l'augmenter davantage, car ce sont les plus démunis qui seront le plus touchés.
Quel est le souvenir fort qui vous reste à l'esprit durant ces 50 ans d'indépendance ?
La dévaluation d'octobre 1979. On se réveille un matin et on apprend que la roupie a été dévaluée par 29 %. Donc ma roupie ne valait que 71 sous. Puis, en 1981, une deuxième dévaluation. En deux ans, ma roupie ne valait que 45 sous. Je me rappelle comment on s'est battus pour que le gouvernement n'augmente pas la taxe. Car, un jour, le ministre des Finances Ringadoo, dans son discours du Budget, décrète qu'il met une taxe, une surcharge, de 15 % across the board. L'Income Tax passait donc de 80 % à 92.5 % C'était décourageant d'aller travailler.
Le pays avait des filets de protection et cela nous a aidés, ce qui n'est plus le cas...
Les jeunes de nos jours doivent savoir que la période protectionniste est finie depuis 1995, avec la naissance de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC). Le protectionnisme de notre sucre est aussi fini. On vit dans un milieu ouvert et on doit lutter.
Un message pour les jeunes pour ce 50e anniversaire de notre indépendance ?
On vit dans un milieu sans protection et on doit faire avec ce milieu international. On ne peut dicter nos desiderata. Le pays a connu des moments difficiles et on a su les surmonter. Tout a changé. Cessons de dire qu'on va faire des miracles. Apprenons de nos anciens, on a montré ce qu'on peut faire en tant que Mauriciens. On a un devoir de nous réadapter. Sinon, adapt or perish.
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