
À Phoenix et à Valetta, deux hommes ont fait du bonsaï bien plus qu’un simple passe-temps : un art de vivre, une école de patience et une mission de transmission. Portrait croisé d’Assad Tagaully et de Hem Nunkoo, deux gardiens d’un univers miniature où la nature tient dans la paume d’une main.

Le bonsaï, né en Chine sous le nom de penjing avant d’être perfectionné au Japon, fascine depuis des siècles par sa capacité à condenser l’immensité de la nature dans un pot minuscule. Plus qu’une plante, c’est une sculpture vivante, façonnée avec patience, respect et vision.
À Maurice, cet art reste discret. On l’aperçoit parfois sur des stands ou dans des foires, mais rares sont ceux qui en perçoivent la profondeur. Pourtant, certains y consacrent leur vie avec dévouement. Parmi eux, Assad Tagaully et Hem Nunkoo se distinguent par leur maîtrise, mais surtout par leur volonté de partager sans jamais vendre. Pour eux, la transmission vaut plus que la transaction.
Pour Assad Tagaully, tout commence dans la trentaine. Fasciné depuis toujours par les plantes, il découvre le bonsaï comme une révélation. « La première fois que j’ai vu un vrai bonsaï travaillé par un maître, j’ai eu l’impression de voir une montagne dans un pot. C’était irréel. »
Aujourd’hui, sa cour à Phoenix est un écrin silencieux où une cinquantaine de bonsaïs racontent huit ans de passion. Banquier le jour, jardinier-poète le soir et le week-end, il taille, arrose, ligature et rempote avec la minutie d’un artisan.
« Le bonsaï m’enseigne la patience. On ne commande pas un arbre, on l’accompagne. »

Sa collection est à la fois esthétique et symbolique : sapins élégants, ficus robustes, arbres fruitiers miniaturisés – manguiers, citronniers, goyaviers – parfois en fleurs ou portant un fruit minuscule. « Voir une mangue de la taille d’une prune sur un bonsaï, c’est magique », sourit-il.
Chaque arbre garde une mémoire : « Certains sont là depuis mes débuts. Ils me rappellent mes erreurs, mes hésitations, mes progrès. D’autres sont plus récents, des défis techniques. »
Pour perfectionner sa technique, Assad Tagaully suit des cours en ligne avec des maîtres japonais et américains. Il a participé à plusieurs expositions locales, non pour les trophées, mais pour changer les mentalités : « Beaucoup pensent que le bonsaï est un objet décoratif qu’on achète tout fait. Or, c’est un engagement de plusieurs années, voire de toute une vie. L’arbre évolue avec vous, il vous survit même. »
Son rêve : voir émerger à Maurice une communauté de passionnés, où chacun cultive son propre arbre et transmet son savoir. « Le bonsaï n’est pas une mode, c’est une philosophie. »
Le pionnier discret

Hem Nunkoo, lui, a commencé plus tôt, en 1994, alors qu’il était encore collégien à Curepipe. « Je me souviens, j’avais découvert un petit livre illustré sur le bonsaï. J’étais fasciné. J’ai commencé à expérimenter avec les plantes de mon jardin. »
En 1998, il organise sa première exposition… dans son propre collège. Les réactions sont parfois moqueuses. « Les gens me demandaient pourquoi je maltraitais mes plantes en les taillant autant », raconte-t-il en riant. Mais il persévère.
Aujourd’hui, Hem Nunkoo est reconnu parmi les passionnés mauriciens. Sa spécialité : les genévriers, qu’il plie en torsions spectaculaires, tout en explorant des plantes plus exotiques. « Je peux transformer presque n’importe quelle plante en bonsaï : un bananier, un manguier, un flamboyant, même des plantes à fleurs tropicales. »
Sa cour est une galerie vivante où chaque arbre est un compagnon : « Certains m’accompagnent depuis vingt ans. Quand je les regarde, je vois ma propre histoire. »
Autodidacte, Hem Nunkoo a enrichi sa pratique grâce à Internet, des ateliers internationaux et des échanges avec des maîtres japonais et américains. Il refuse de vendre ses arbres : « Je ne vends pas mes arbres. Ce serait comme vendre une partie de moi-même. Mais je donne de mon temps à ceux qui veulent apprendre. »
Son réseau s’étend aujourd’hui dans le monde entier : Europe, Asie, Afrique. « C’est une grande famille internationale. On échange des photos, des techniques, des conseils. Chacun apporte
sa culture. »
Parmi ses plus grandes fiertés : sa sélection pour la 10th World Bonsai Convention à Taïwan, en octobre 2025. « C’est un rêve. Participer à un tel événement, c’est être au contact des meilleurs maîtres du monde. »
L’art de ralentir
Bien qu’ils soient de générations différentes – Assad Tagaully ayant commencé en 2016 et Hem Nunkoo en 1994 –, leurs parcours se rejoignent dans la patience et l’humilité. « On apprend à respecter le rythme de la nature, dit Assad. Ce n’est pas vous qui décidez quand l’arbre va fleurir ou grandir. » « Le bonsaï vous rend humble, complète Hem. Il vous oblige à ralentir. »

Pour eux, l’esthétique n’est pas l’essentiel. Au-delà de la beauté, le bonsaï est un refuge, une discipline spirituelle, une méditation. « Quand je taille ou que j’arrose, j’oublie tout le reste. C’est une méditation », confirme Assad Tagaully. Et Hem Nunkoo de renchérir : « Le bonsaï vous apprend à accepter l’imperfection. Parfois une branche se casse, parfois l’arbre meurt malgré tous vos soins. C’est une leçon sur la vie elle-même. »
Leur engagement dépasse la pratique personnelle. Ils organisent ateliers et démonstrations, parfois gratuits, où curieux et néophytes s’initient. « Quand quelqu’un repart avec la passion, c’est ma plus grande récompense », affirme Assad Tagaully. La même émotion anime Hem Nunkoo : « Le plus beau cadeau que je puisse faire, c’est de montrer à quelqu’un comment transformer une simple plante en œuvre d’art vivante. »

Dans une société où tout va vite, leurs arbres rappellent la constance, la lenteur des saisons, le travail patient de la taille, la promesse d’un arbre qui survivra à son maître. « Le bonsaï, c’est le contraire du monde moderne. Il n’y a pas d’immédiateté. Tout prend du temps », précise Assad Tagaully. « Quand vous regardez un bonsaï, vous regardez 10, 20, parfois 50 ans de patience. C’est un miroir de la vie », détaille Hem Nunkoo.
Le bonsaï trouve une place nouvelle à Maurice grâce à ces deux passionnés. Leur ambition : créer une véritable école locale où les générations futures pourront apprendre cet art millénaire. « J’aimerais qu’un jour, dit Assad Tagaully, on voie dans chaque maison mauricienne au moins un bonsaï, cultivé avec amour. » Hem Nunkoo, lui, rêve encore plus grand : « Je veux que Maurice soit connue sur la carte mondiale du bonsaï. Nous avons la créativité, le climat et surtout la passion. »

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