Le chômage touche plus de 24 000 Mauriciens, dont plus de 16 000 femmes. Mais résumer ce fléau à des chiffres uniquement équivaudrait à ignorer la détresse dans laquelle se trouvent plongées les personnes qui en sont touchées.
Le taux de chômage est estimé à 7,8 % à Maurice. Et la situation ne semble pas prête de s’améliorer. Le constat de Ivor Tan Yan, négociateur de la Federation of Progressive Unions (FPU), est amer : « Le chômage fait désormais partie des fléaux de notre société. »
Ce mal, ajoute-t-il, n’est pas sans conséquence : « Toute personne a des aspirations légitimes. Mais quand elle n’est pas en mesure de les satisfaire, parce qu’elle n’a pu décrocher un emploi, cela débouche sur de la frustration et de la souffrance. Dans le pays, entre 20 et 25 % des jeunes, pourtant diplômés, sont au chômage. Nombre d’entre eux ont même fait des études poussées. Imaginez toute la frustration que cela engendre. »
Le taux de chômage actuel, selon le négociateur syndical, découle de plusieurs facteurs. « En premier lieu, il y a le taux d’investissement dans le pays. La formation des gens pour qui se retrouvent sur le marché de l’emploi est un deuxième facteur. Ensuite, il y a aussi les attentes des employeurs. Ils veulent recruter des jeunes qui ont des diplômes, mais aussi de l’expérience. Ce n’est pas évident. Le jeune diplômé n’a souvent pas d’expérience, tandis que le jeune qui a de l’expérience n’a pas eu l’occasion de faire des études », dit-il.
Perte d’emploi
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Le chômage a pour corolaire la perte d’emploi, un « phénomène douloureux » que vivent de plus en plus de personnes. « C’est une véritable détresse de perdre son boulot », explique le psychologue Sarvesh Dosooye.
Un employé, dit-il, s’identifie à son boulot. Souvent, il est aussi identifié grâce au boulot qu’il fait. « Ainsi, en perdant ce travail du jour au lendemain, c’est une partie de son identité qu’il perd. Cela prend beaucoup de temps pour se reconstruire une identité », ajoute-t-il.
Ivor Tan Yan raconte que le cas d’une employée d’une filiale d’un corps paraétatique l’avait particulièrement ému. « Cette dame y travaillait depuis 1986. Mais en 2015, elle a été licenciée, ainsi que 11 autres personnes. La compagnie avait mandé la police pour leur interdire l’accès à leur lieu de travail. Pour cette femme et ses collègues, le choc émotionnel fut intense. Toute sa vie était dans ce bâtiment où elle n’avait plus le droit d’entrer. Ce fut horrible », dit-il.
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Le négociateur syndical a aussi été touché par les cas des ex-employés de la Road Development Authority et de l’ex-Iframac. « Voilà des personnes qui comptaient au moins 10 années de service. Leur monde s’écroulait. Leur job leur permettait un certain train de vie. D’un seul coup, elles se retrouvent privées de leurs salaires et de leur statut. Puis, il y a l’incapacité d’honorer les dettes. »
Il a aussi évoqué le cas d’une femme qui occupait un poste de direction dans un centre d’appels : « Elle avait la cinquantaine, un âge où il n’est guère évident de trouver un autre emploi. C’est encore plus dur de se reconvertir. La première chose qu’elle s’est demandé était comment elle allait faire pour les dépenses de fin de mois. Elle ne savait comment annoncer cela à son entourage. Elle réalisait qu’elle perdait son statut. »
Une Agence nationale de l’emploi
Le ministre du Travail a annoncé récemment la mise sur pied prochaine d’une Agence nationale de l’emploi, qui remplacera les 14 bureaux du travail à travers le territoire. « La nouvelle institution aura le soutien de Pôle emploi, l’organisme qui s’occupe des demandeurs d’emploi en France. Un accord en ce sens a été conclu » avait déclaré Soodesh Callichurn, qui a aussi annoncé plusieurs mesures afin de diminuer le taux de chômage.Les femmes et les seniors
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Les femmes, selon Ivor Tan Yan, sont les plus touchées par la perte d’emploi : « Celles travaillant dans les secteurs informels sont encore plus vulnérables. Par exemple, nous avons beaucoup de cas de vendeuses de magasin qui sont victimes d’employeurs peu scrupuleux. Ces derniers veulent éviter de les payer durant le congé maternité, en même temps que leur remplaçante. Ils leur imposent des conditions de travail tellement contraignantes qu’elles finissent par quitter leur emploi de leur propre gré. »
Ivor Tan Yan se désole aussi des conditions de travail de beaucoup de personnes âgées : « Pour beaucoup, la pension de vieillesse ne suffit pas pour joindre les deux bouts. Ces personnes sont contraintes de trouver un job. Une aubaine pour les employeurs ! C’est triste de voir des aînés être astreints aux pires conditions de travail. »
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Suggestions: quelques mesures pour aider les chômeurs
[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"18547","attributes":{"class":"media-image aligncenter size-full wp-image-31667","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"720","alt":"Emploi"}}]] Ivor Tan Yan et Sarvesh Dosooye suggèrent une série de mesures pour venir en aide aux chômeurs :- Mise en place d’une structure pour encadrer et soutenir les chômeurs afin de les aider à remonter la pente.
- Recrutement des seniors pour former et épauler les jeunes.
- Révision du Youth Employment Programme afin « d’empêcher les employeurs de licencier les moins jeunes pour recruter des jeunes ».
- Un plan de reconversion à ceux qui sont en passe de se retrouver au chômage suite à la disparition de certains métiers.
- Faciliter la reconversion.
- Révision du système d’orientation professionnelle pour mieux guider les jeunes sur leur plan de carrière.
- Mener une étude pour déterminer les filières porteuses d’emploi à l’avenir et encourager les jeunes à les choisir.
Témoignages
Kane: « J’ai fait une dépression »
Kane, la quarantaine, était manager dans un établissement hôtelier. Après plusieurs années, il a été remercié. « Mon patron disait qu’il n’était plus satisfait de mon travail. Mais avant de me licencier, il s’est mis à me harceler avec des remarques sarcastiques et des critiques acerbes. » Kane est passé par une phase très difficile. « Je gagnais bien ma vie. J’avais donc un certain train de vie. J’ai commencé à puiser de mes économies pour honorer mes dettes. Je suis resté chômeur pendant six mois. Mon mariage n’a pas tenu le coup. » Ne pouvant plus se permettre le traditionnel dîner au resto le vendredi, il s’est graduellement retrouvé exclu de son cercle habituel. « Outre mon job, j’avais perdu mon statut. J’ai fini par faire une dépression. Mon psoriasis s’est aggravé à cause du stress et de l’angoisse », raconte-t-il. Le regard des autres n’a pas arrangé les choses. « On ne cessait de me demander les raisons de mon licenciement. Les gens murmuraient que j’avais dû commettre une faute grave. Comme je poursuivais mon ex-employeur pour licenciement abusif, certaines firmes ont eu peur de m’embaucher. » Mettant son « orgueil de côté », Kane a finalement accepté le poste de représentant funéraire. « Depuis, j’ai pu remonter la pente, grâce au soutien de mes parents ».Veena: « Notre fils est chômeur »
Veena et son époux sont retraités. Leur maigre pension ne suffit plus pour financer les études de leur fils de 22 ans. « Après ses études secondaires, notre fils a cherché de l’emploi. Mais les firmes contactées réclamaient un diplôme et de l’expérience », dit la sexagénaire. Le couple, qui habite Curepipe, a pu réunir assez d’argent pour lui permettre de démarrer des études supérieures. « Nous avions l’espoir qu’il parviendrait à trouver un emploi pour continuer à payer ses cours. Mais il est toujours chômeur. Nous ne savons plus quoi faire. » Tout le monde est affecté : le fils par le fait de ne pouvoir décrocher un emploi et les parents par l’incertitude et l’angoisse par rapport à son avenir.Les jeunes appelés à revoir leur mindset
Rester chez soi pendant plusieurs années en attendant de trouver le job idéal n’est pas la solution ! Tel est l’avis de Sarvesh Dosooye. « Certains jeunes trouvent dégradant le fait d’occuper un poste qui n’est pas équivalent à leurs qualifications. D’autres sont persuadés qu’ils doivent occuper un poste de management et avoir le salaire correspondant. Or, la réalité est tout autre », dit-il. Sarvesh Dosooye explique que, contrairement au passé, un School Certificate ou un Higher School Certificate n’a plus autant d’importance. « Aujourd’hui, les annonces évoquent un degré universitaire et même un master. Mais, il y a un autre aspect très important : les ‘soft skills’. Par exemple, la ponctualité, la discipline et la communication sont essentielles dans le monde du travail. Il faut aussi rappeler que le monde du travail est très différent de l’univers des réseaux sociaux », précise le psychologue.Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !