Lorsqu’une entreprise ou une banque est placée en liquidation judiciaire, cela peut entraîner de lourdes conséquences. Quelles sont les solutions ? Que disent nos lois ? Quid sur les manquements ? Comment y remédier ? Éclairage avec Me Robin Pothiah.
Qu'est-ce que la mise en liquidation judiciaire ?
La liquidation est la procédure visant à mettre fin à une entreprise et à répartir ses actifs entre les créanciers ou les actionnaires. Il s’agit là, d’un événement qui se produit généralement lorsqu’une entreprise n’arrive pas à payer ses obligations à leur échéance. À Maurice, la liquidation d’une compagnie est régie par l’Insolvency Act 2009.
Les employés peuvent-ils continuer à travailler lorsqu’une entreprise est placée en liquidation ?
Non, une liquidation d’une société implique le licenciement automatique de tous les salariés. Dans cette situation, c’est la Workers’ Rights Act 2019 qui va prendre le relais pour protéger et aider les travailleurs licenciés qui tombent sous la définition de « worker ».
Une entreprise peut-elle résister à une telle demande devant la justice ?
Oui, l’entreprise peut faire une requête auprès de la justice pour suspendre ou mettre fin à une liquidation. La cour, après la nomination d’un liquidateur, peut mettre fin à la liquidation, si elle est convaincue que la requête est justifiée.
Il est important de noter que toute personne désignée comme liquidateur, tout créancier, le directeur de l'entreprise ou toute autre personne autorisée par la cour peut faire une telle demande.
Qui prend en charge la responsabilité d’administrer l’entreprise ?
Une fois le liquidateur a été choisi, c’est ce dernier qui prend en charge les affaires de l’entreprise. Ce qui veut dire que les directeurs n’ont plus le pouvoir de contrôler l’entreprise, sauf les devoirs qui sont permis par l’Insolvency Act 2009. Les actionnaires ne peuvent, non plus, exercer leurs pouvoirs en vertu de la constitution de l’entreprise, sauf sous la disposition de l’Insolvency Act 2009.
Quelle est la différence entre la liquidation d’une société et celle d’une institution bancaire ?
Toute liquidation, que ce soit d’une entreprise ou d’une banque, sera guidée par l’Insolvency Act 2009. Toutefois, quand il s’agit d’une banque, celle-ci sera principalement guidée par la Banking Act 2004, car il y a des provisions spécifiques que ladite banque doit suivre pour commencer la liquidation. Par exemple, la Banking Act prévoit que pour toute liquidation volontaire par une banque, celle-ci doit avoir préalablement l’autorisation de la Banque de Maurice (BoM). Si c’est un « compulsory liquidation », c’est toujours la BoM qui va choisir un administrateur judiciaire (« receiver »).
Dans le cas de la liquidation d'une entreprise, la décision sera prise soit par l'entreprise elle-même en cas de liquidation volontaire, soit par une résolution lors d'une réunion décisive, connue sous le nom de « watershed meeting », à la suite d'une demande présentée par les créanciers.
Quelles sont les étapes qui précèdent une mise en liquidation ?
L’Insolvency Act 2009 prévoit trois types de liquidation à savoir : (a) La cour peut émettre un ordre de liquidation judiciaire contre une entreprise, dans le cas qu’une demande est faite par une personne intéressée et que le montant du passif dépasse celui de l’actif ; (b) Par voie de liquidation volontaire initiée par une résolution adoptée par l’entreprise. Dans le cas d’une liquidation intentionnelle, c’est la société (par l’intermédiaire de ses actionnaires) elle-même qui prend cette décision quand celle-ci est solvable et le liquidateur est nommé par l’entreprise et (c) Au moyen d’une résolution des créanciers adoptée lors d’une assemblée décisive. Si l’entreprise est insolvable, la demande de la liquidation se fera par les créanciers. Ces derniers nommeront le liquidateur.
Quelle est la procédure pour les employés dans ce cas ?
La Worker’s Right Act 2019 prévoit le concept de « workforce programme fund ». Ce concept tiendra un compte connu sous le nom de « wage guarantee fund account » qui sera utilisé pour rémunérer les salariés qui n’ont pas été payés en raison de la liquidation de l’entreprise.
Le processus pour faire une demande de salaire impayé pour cause de liquidation est prévu dans la Workers’ Rights Act. Cette requête peut être initiée par les salariés en déposant une plainte auprès d’un « supervising officer » du ministère du Travail. Le liquidateur doit, après la réalisation des actifs : (i) informer le Supervising officer du montant disponible à l’égard du solde de rémunération dû aux salariés (ii) payer le montant dû aux salariés jusqu’à une somme ne dépassant pas Rs 50 000 depuis le « wage guarantee fund account » ; (iii) lorsque des fonds sont disponibles, ils sont ensuite versés aux salariés, selon ce que le Supervising officer peut déterminer.
Peut-elle réclamer un sursis et retarder la mise en liquidation en attendant de régler ses dettes ?
L’entreprise peut aussi faire une requête de sursis ou retarder la mise en liquidation auprès de la cour. Bien sûr, celle-ci doit être convaincue que cette demande est justifiée. Si la cour est satisfaite, elle rendra un ordre en suspendant la liquidation pendant un certain temps. Dans ce cas de figure, le liquidateur cessera de mener toute autre action au nom de l’entreprise à compter de la date fixée par la cour.
Quelles sont les conséquences lorsqu’une compagnie est placée en liquidation ?
Les effets d’une liquidation sont que l’entreprise cesse immédiatement ses activités et les rôles des directeurs prennent fin. Donc, c’est le liquidateur qui a la garde et le contrôle des actifs de l’entreprise. Les salariés sont licenciés et les actifs sont vendus pour payer les créanciers. Par la suite, l’entreprise sera radiée du « Registrar of Companies » et l’entreprise n’existera plus.
Quid pour une institution bancaire ?
Dans le cas d’un « compulsory liquidation », la Banking Act 2004 prévoit que le Board des Directeurs de la BoM peut nommer toute personne comme administrateur judiciaire pour prendre possession de la banque. Par exemple, si le capital de l’institution financière est déprécié ou sa condition est autrement malsaine ; si le rapport entre son capital et son actif total est inférieur à 2 % ; dans le cas où les activités de l’institution financière sont menées de manière illégale, dangereuse ou malsaine.
Au cas contraire, l’administration judiciaire aura la tâche de distribuer les biens de la banque. Cette distribution doit impérativement être réglée dans l’ordre de priorité établi par la Banking Act 2004. Par exemple, cela peut inclure le règlement des frais de l'administration judiciaire, des dépenses engagées, les salaires des employés pour les trois mois précédant la prise en charge par l'administration judiciaire, les impôts dus à l'État et autres frais connexes.
Dans le cas d’une institution bancaire, l’argent des actionnaires et les clients sont en jeu. Comment peut-on protéger les actifs d’une banque pour éviter des préjudices aux actionnaires et aux clients ?
Pour mieux protéger les actionnaires et les clients de l’institution bancaire, il incombe à la BoM de mettre en place des directives strictes. Il doit aussi y avoir une surveillance constante de la part de la BoM. Si cette dernière a des raisons de douter ou de considérer comme nécessaire qu'un établissement financier ait agi contre les intérêts de ses clients ou de ses créanciers, ou encore contre le capital de la banque, elle peut alors nommer un conservateur pour prendre en charge le contrôle et réorganiser les affaires de l’institution bancaire.
Cependant, si la réorganisation de la banque est sans succès, le conservateur peut recommander à la BoM de placer l’institution bancaire sous liquidation judiciaire (« compulsory liquidation »).
Récemment, dans le jugement Nirmal Heeralall v Director General, The Mauritius Revenue Authority, la Cour suprême a remis en question l'état actuel de la loi sur la priorité des créanciers ? Votre opinion ?
Le problème est que la cour a dû faire face, laquelle de ces deux institutions, à savoir la Mauritius Commercial Bank (MCB) et la Mauritius Revenue Authority (MRA) a la priorité pour être remboursée en premier dans le cas où l’entreprise est placée en liquidation.
Certainement, la Cour suprême a eu forte à affaire dans ce cas et a dû jongler avec plusieurs différents textes de loi qui se contredisent ou sont restés silencieux sur cet aspect du problème. Donc, dans cette affaire, la Cour suprême est arrivée à une décision rationnelle. Elle a décidé que la MRA n’aura droit qu’aux impôts payables pendant une période de douze mois, en termes de tous autres montants dus à la MRA, car celle-ci s’est classée après la banque parce qu’elle avait inscrit son privilège après l’inscription de la sûreté de la banque.
Quelles sont Les lacunes dans nos lois ?
Dans le jugement de Heeralall, la Cour a appliqué l'article 204 de l’Insolvency Act. Cette section prévoit que les personnes ayant droit à un paiement sur les biens d'une société en liquidation auront la priorité en vertu de la loi. Malheureusement, aucune directive n'a été prescrite à ce jour.
Que proposez-vous pour remédier à la situation ?
En ce qui concerne l’article 204 de l’Insolvency Act, l’intention du législateur est inconnue. Par ailleurs, dans le cas de Heeralall, la Cour a attiré l’attention sur ce manquement et a envoyé un signal fort aux législateurs, car il incombe à ces derniers d’adopter les règlementations appropriées pour remédier à cette situation.
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