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Maya Sewnath : «Pour les PME, le climat pour les affaires est devenu insupportable»

Le secteur des PME est-il l’éternel laissé pour compte lors de chaque Budget national ? Doit-il rechercher un soutien public et un accompagnement privé afin de pouvoir sortir la tête hors de l’eau ? Détaillant les mesures salariales prises par l’ancien gouvernement, Maya Sewnath, vice-présidente des Small And Medium Enterprises Chambers, dresse un bilan accablant et sans appel. « On est complètement anéanti et on ne sait plus à quelle porte aller frapper. »

Selon vous, quel est le bilan économique et social laissé par le gouvernement sortant en novembre 2024 ?
Il a laissé un bilan très lourd et aujourd’hui, on est au bout du souffle. La dépréciation de la roupie et le manque de devises ont entraîné une augmentation des prix des matières premières, une augmentation de l’électricité, de l’eau, du fuel. L’impact du salaire minimum et de la relativité salariale nous ont mis presque à genoux. La dernière goutte d’eau a été le 14e mois. Comment une PME peut-elle opérer dans un climat avec tous ces problèmes ? On est anéanti et on ne sait plus à quelle porte aller frapper. Le climat des affaires, surtout pour les PME, est devenu insupportable. Il n’y a pas de motivation ni d’encouragement.

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Le gouvernement Trump impose une augmentation des droits de douane sur de nombreux produits importés aux États-Unis. Comment ces taxes touchent-elles l’île Maurice ?
Cette situation est très mauvaise pour les industriels mauriciens et elle est pire pour les PME. Même si le pourcentage pour les exports est minime, l’augmentation de la taxe n’arrange pas les choses. Il y a des PME qui ont pu, avec beaucoup de difficultés, pénétrer le marché des États-Unis et aujourd’hui elles sont dans le flou. On ne sait même pas si leurs clients vont continuer à vendre les produits. Cette décision émanant de Donald Trump a bouleversé le monde des affaires, y compris l’île Maurice. Elle n’encourage pas les entrepreneurs à prospecter le marché américain.

Les consultations budgétaires ont démarré. Qu’attendez-vous du nouveau gouvernement en termes de mesures afin de consolider et de motiver les PME ?
Comme d’habitude, on a déjà notre mémoire qu’on va déposer chez le ministre des Finances. De toute façon, on ne nous donne pas suffisamment de temps pour faire part de nos requêtes, mais on va essayer quand même de transmettre des actions importantes. On verra si nos requêtes seront prises en considération et si le gouvernement propose des solutions concrètes pour soulager les PME.

Les produits ‘Made in Moris’ sont-ils acceptés par les Mauriciens ? Les produits des PME locales sont-ils bien visibles dans les grandes surfaces locales ?
Malheureusement, la marque Made in Moris décolle très lentement. Il faut beaucoup de campagnes de sensibilisation pour faire accepter ces produits. Il y a beaucoup à faire, et si on y parvient, l’impact sera positif pour les PME et pour Maurice. La visibilité des produits locaux est un gros problème. Il n’y a pas assez de places dans les grandes surfaces. Beaucoup de gens se plaignent de ce problème, mais personne ne les écoute.

Le gouvernement doit-il légiférer afin que le secteur des PME ne soit pas saturé en produits similaires, créant ainsi une concurrence déloyale dans un petit marché ?
Il est impératif de légiférer. De cette façon, on n’aura plus de services identiques. Les PME devront innover et venir avec de nouveaux produits. Je pense qu’avec ce type d’encadrement, on pourra booster l’économie et les PME.

Quelle est votre lecture des investissements de la Mauritius Investment Corporation (MIC) depuis 2020 et dans quelle mesure ces investissements ont-ils été positifs ?
On est l’enfant pauvre de la MIC. On a souvent mis en avant cette discrimination. Les PME n’ont pas eu leurs dus.

L’ex-ministre des Finances, face à une potentielle rupture économique et sociale, avait-il d’autres choix que de mettre sur pied la MIC ? Pouvait-il emprunter auprès des organisations internationales – Banque mondiale, banques ou fonds d’investissements – ou encore emprunter sur le marché local ? Quels étaient les risques dans un tel cas ?
Je pense que l’ex-ministre des Finances aurait dû penser comme un patriote et ne pas mettre le pays en danger financier avec ce partage qu’il a fait sans un cadre légal solide. Aujourd’hui, le pays fait face à une situation catastrophique. Il fallait mettre en place des structures légales très solides pour récupérer l’argent qu’ils ont donné. Malheureusement, ils ne l’ont pas fait. Par contre, les PME n’ont pas eu le soutien de la MIC et elles ont dû emprunter auprès de la Development Bank of Mauritius. Et elles ont des problèmes de remboursement.

L’économie de Maurice a-t-elle été suffisamment résiliente face aux conséquences de la double crise de la covid-19 et de la guerre en Ukraine ?
Résiliente ou pas, l’économie mauricienne a pu faire face à de grands défis. Certes, on a été affecté, mais on a essayé quand même d’atténuer les chocs et on essaie de survivre.

Est-ce que vous voyez une rupture du modèle économique depuis l’avènement du gouvernement issu des urnes de novembre 2024 ?
Nos attentes étaient grandes et on croyait qu’il y aurait un grand changement. Malheureusement, nous restons sur notre faim. Il y a beaucoup de choses qui se dessinent dans le futur, mais jusqu’à présent, on ne voit pas grand-chose.

Le Dr Navin Ramgoolam a réitéré son souhait de rompre avec la formule de nombreux économistes qui affirment que c’est la consommation qui est le moteur de l’économie. Êtes-vous d’accord avec le PM ?
Il n’y a pas seulement la consommation, c’est vrai, car l’économie a besoin d’autres facteurs pour l’encourager. Je suis d’accord avec le Premier ministre. Oui, il y a beaucoup de travail à faire.

Quelles sont les décisions les plus appropriées à prendre afin de retenir les compétences locales tentées par l’émigration, surtout au Canada ?
Les mesures suivantes me semblent indispensables : un cadre légal approprié, une aide supplémentaire de financement spécifique aux PME, une aide additionnelle en termes de technologie pour promouvoir l’innovation et la productivité. La formation est également importante pour inciter les jeunes à intégrer le secteur privé et à apporter leurs idées, leurs compétences et leur savoir-faire. La communication est primordiale. Il faut des stages afin de donner une plus grande visibilité de notre économie.

Dans quelques semaines, le nouveau gouvernement présentera son premier Budget. De quelle marge de manœuvre dispose-t-il et quelles doivent être ses priorités ?
Je sais que l’économie ne va pas bien, mais on ne va pas venir compliquer les choses et demander l’impossible. Il faut prendre le taureau par les cornes. Tout le monde doit mettre la main à la pâte et trouver des solutions pour redresser l’économie. Certes, c’est difficile, mais ce n’est pas impossible. Petit à petit, on va y parvenir. Il faut avoir de la patience.

Depuis ces vingt dernières années, et surtout depuis la crise engendrée par la pandémie, la question de consolider nos piliers économiques revient régulièrement. Quels piliers additionnels vous paraissent indispensables ?
Le secteur des PME est un pilier très important qu’il faut consolider. Il englobe l’agriculture, la blue economy, la green economy et la pêche, entre autres. Mais, à mon humble avis, l’entrepreneuriat est la solution parfaite.

La question de la productivité dans les secteurs d’exportation se heurte à nos réalités dans le monde du travail. Faut-il repenser les horaires de travail et déterminer un pacte social État-syndicats-secteur privé ?
À ce propos, il y a un souci de communication. Malheureusement, la productivité ne suit pas les horaires de travail. Les gens ont tendance à travailler peu, sans prendre en considération le fait que la culture du travail manque beaucoup à l’île Maurice.

Quelles sont les mesures à prendre tant au niveau du secteur privé qu’en termes de décisions au niveau de l’État afin de traiter la pénurie de main-d’œuvre à Maurice ?
C’est une réalité avec laquelle il faut composer. Il n’y a pas assez de jeunes pour pallier le manque de main-d’œuvre, et il faut absolument se tourner vers l’importation de ce service. On en parle beaucoup, mais cela n’arrange pas les choses. Le monde est petit et, d’un autre côté, il faut faire tourner l’économie. Alors, la main-d’œuvre étrangère est une nécessité.

Comme le gouvernement d’avant novembre 2024, l’actuel gouvernement semble se fier énormément sur le ‘Diego Deal’ pour ses recettes. Pourquoi ce ‘deal’ est-il si déterminant ?
Je préfère ne pas m’aventurer sur ce sujet, car il dépend de notre diplomatie et du bien-être des citoyens. Je pense que le Premier ministre est mieux placé pour répondre à cette question.

La question relative à l’indépendance de la Banque de Maurice (BoM) a été au centre des débats durant ces dernières années. La BoM peut-elle véritablement fonctionner en toute liberté ?
La Banque de Maurice devrait être une entité séparée, sans l’intervention du gouvernement. Laisser la Banque centrale fonctionner librement aurait engendré un climat plus idéal et sain.

L’État mauricien doit-il faire appel à des compétences étrangères pour administrer certains de ses organismes ou devrait-il faire appel à des compétences locales du privé ?
Ça dépend des secteurs. Parfois, les experts locaux sont compétents. Mais si l’on veut améliorer ou avoir de la valeur ajoutée, je pense que des compétences étrangères peuvent être utiles.

Maurice doit-il mettre à profit ses accords bilatéraux, ses traités avec des pays africains pour s’implanter sur ce continent ? Quelles sont les contraintes, défis et réalités d’une telle ambition ?
Les accords commerciaux et les pays amis sont essentiels. Dans ce marché féroce et compétitif, les négociations et les traités ne nous aident pas beaucoup. L’État et le secteur privé doivent travailler ensemble pour que l’île Maurice soit un pays paisible et harmonieux.
 

 

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