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Lindsay Collen, de Lalit : «Le GM risque de mettre fin à la liberté des partis politiques d’exister»

Lindsay Collen, membre de Lalit, proteste contre certaines propositions contenues dans le Political Financing Bill qui sera, selon elle, un risque réel pour la démocratie, si jamais il entre en vigueur. Elle plaide aussi pour que l’État mauricien tienne la ligne dure contre la Grande-Bretagne sur la question des Chagos, car Maurice est « du bon côté du droit international ».

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Lalit propose une série de changements à la Constitution. Pourquoi pensez-vous que des changements y doivent être apportés ?
Lalit a appris, par l’action et l’expérience sur le terrain, le pourquoi des changements que nous proposons. Chaque changement que nous proposons vise à accroître la démocratie et à donner plus de pouvoir aux classes opprimées. 

Pour la petite histoire, sur la question du droit de manifester, par exemple, les membres de Lalit ont gagné deux affaires devant la Cour suprême, sur des bases constitutionnelles. La première affaire concerne la visite du président américain George W. Bush à Maurice en 2003– il n’est finalement pas venu, car il a commencé sa guerre contre l’Irak. Le commissaire de police s’est opposé à une manifestation prévue lors de cette visite, invoquant l’opposition de l’ambassadeur des États-Unis et le manque d’effectifs policiers. Cependant, ces raisons ont été rejetées comme non valables, et la manifestation a donc pu avoir lieu.

La deuxième affaire concerne une autre manifestation à laquelle le commissaire de police s’est opposé, arguant que nous n’avions pas l’autorisation de la Road Development Authority (RDA) pour marcher sur ses routes. Le juge a qualifié cette raison de ridicule, affirmant que les routes sont faites pour être empruntées. Nous avons donc remporté ces deux affaires et acquis une connaissance approfondie de la loi et de la Constitution. 

De plus, deux de nos membres ont déposé une affaire constitutionnelle avec Playgroups pour contester un programme préscolaire qui supprimait la langue maternelle, le créole. Nous avons également gagné cette affaire. Le ministère de l’Éducation a retiré son programme publié devant la cour, promettant d’en publier un conforme à la Constitution. Mais il a continué à supprimer la langue maternelle en pratique.

Nous avons donc aussi appris les limites des voies juridiques. Et, alors que nos candidats aux élections générales ont procédé au tirage au sort pour remplir nos fiches de candidature, comme nous le faisions depuis les élections de 1983 en guise de protestation contre cette « loi d’apartheid », en 2000, le regretté Yousuf Mohamed a contesté cette méthode de protestation en Cour suprême. 

Nous avons également gagné cette affaire, en ce sens que la Cour suprême a explicitement déclaré qu’il y avait plus de points communs entre les riches de toutes les communautés par leur « mode de vie », tel que la Constitution définit la communauté, qu’entre les riches et les pauvres de chaque communauté par leur « mode de vie ». Elle a ajouté que ce n’est pas aux juges de classer les gens de cette manière, et que la Constitution doit être amendée par les membres élus de l’Assemblée nationale.

Nous avons également contesté la constitutionnalité du Privatization Fund, créé pour retirer les actifs du Département des télécommunications du Consolidated Fund, qui garde les actifs sous le contrôle démocratique de l’Assemblée nationale. Le jugement est allé contre Lalit, mais le gouvernement lui-même a rapidement dissous son propre Privatization Fund.

Et, comme vous le savez, j’ai une affaire contre la Citizen Act (modifiée sous la nouvelle loi sur l’immigration) qui menace les citoyennetés mauriciennes comme la mienne – par mariage avec une personne née à Maurice. Et cela aussi était un défi qui avait bénéficié des enseignements tirés de l’affaire que les membres de Lalit du mouvement des femmes avaient portée devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU, en 1977, contre la loi sur l’immigration de l’époque, une autre affaire que nous avons gagnée. 

Tout cela pour dire que lorsque nous proposons des changements, nous avons une expérience « lor terin ». Chaque proposition est basée sur cette expérience politique.

Les membres doivent surveiller leurs dirigeants de parti. Ce n’est pas au gouvernement de le faire»

Vous souhaitez que la Constitution abolisse la présence de bases militaires étrangères, ainsi que les navires militaires, du territoire mauricien. Est-ce vraiment possible, quand on regarde le contexte politique dans lequel évolue la petite République mauricienne, qui a besoin du soutien géopolitique de grandes puissances ?
Les bases militaires étrangères sont une forme de colonisation qui persiste jusqu’à aujourd’hui. La colonisation actuelle est contestée, en ce moment même, par le peuple palestinien, qui a obtenu le soutien de presque tous les gouvernements du monde, et d’une énorme majorité de personnes dans les pays des « grandes puissances » auxquelles vous faites référence, comme les États-Unis et le Royaume-Uni, qui occupent illégalement les Chagos, et soutiennent Israël dans son génocide. 

Nous, à Lalit, nous avons combattu l’apartheid, et moi personnellement, en tant que jeune, quand j’étais leader à l’université de Witwatersrand dans le mouvement étudiant. Les gens disaient que nous devrions plutôt nous incliner devant les « grandes puissances », mais au lieu de cela, nous nous sommes ralliés contre elles, et les peuples des « grandes puissances » ont entendu notre appel, nous ont rejoints, et l’apartheid a été renversé. 

C’est Lalit qui avait œuvré politiquement dans les rues et dans des rassemblements internationaux, dans des forums - avec, à la clé, des arrestations contre des membres -, dans des pétitions et dans des lettres ouvertes, pour que le gouvernement mauricien porte la question de Diego Garcia et des Chagos devant le système de l’ONU. La Cour internationale de justice et l’Assemblée générale de l’ONU ont déclaré que le Royaume-Uni devait quitter les Chagos, y compris Diego Garcia, et ont donné un délai. 

Donc, votre question est étrange. Devons-nous tous les deux nous incliner devant le pouvoir, comme des esclaves, et le faire quand nous avons raison, et quand nous sommes du bon côté du droit international ? Même lorsque les « grandes puissances » – le Royaume-Uni et les États-Unis – agissent illégalement, et n’ont qu’Israël, la Hongrie et l’Australie votant avec eux ? 
Plaider de manière obséquieuse que nous sommes une « petite République » est abject. En fait, la République de Maurice est, terre et mer incluses, le 18e plus grand pays sur environ 190 pays. Et de toute façon, le Royaume-Uni peut être qualifié d’impérialiste, mais c’est aussi un « petit pays », moins d’un quinzième de la taille de la Chine ou de l’Inde, en termes de territoire ou même de population !

Les deux questions –  Diego Garcia et Palestine – sont les mêmes»

Est-ce que fermer la base de Diego Garcia et expulser Britanniques et Américains est vraiment possible, alors que la subsistance de la base est une condition sine qua non dans les négociations avec les Britanniques pour la rétrocession des Chagos ?
Il est totalement inacceptable d’avoir des conditions illégales dans une négociation, quelle qu’elle soit. Seule la mafia impose des conditions de cette nature aux gens ! Le Royaume-Uni ne peut pas agir illégalement. À long terme, les mentalités coloniales sont vouées à l’échec. La victoire revient à ceux qui ont des principes – dans l’Histoire. 

Le « grand » USA se trouve presque seul maintenant à soutenir Israël, alors qu’il persiste dans la colonisation et l’occupation illégales. Son administration se trouve en opposition au peuple américain, dont les trois quarts veulent, par exemple, un cessez-le-feu en Palestine. 

Les deux questions – Diego Garcia et Palestine – sont les mêmes. Il n’est pas nécessaire de soutenir ce qui est immoral, voire illégal, simplement parce qu’on est perçu comme faible. Avec ce type de raisonnement, l’esclavage serait toujours en vigueur. Nous devons nous lever et faire entendre notre voix. C’est ainsi que Lalit envisage la lutte politique. 

Les opprimés sont nombreux, les puissants peu nombreux. Nous avons besoin d’une organisation basée sur un programme de principes, et alors nous sommes destinés à gagner. Sinon, il est possible que nous nous dirigions vers l’effondrement de la société humaine et une grande destruction de la nature. 

Ces « grandes puissances », si on les laisse faire, sont prêtes à détruire la planète par la pollution et la guerre nucléaire. Pourquoi devrions-nous accepter un tel sort ? La base de Diego Garcia fait partie de cette question plus large. Les pires pollueurs sont les militaires américains.

Vous demandez la publication de l’accord entre l’Inde et Maurice sur Agaléga. Or, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a affirmé au Parlement que l’Inde n’est pas d’accord pour rendre public cet accord. En allant à l’encontre du vœu de l’Inde, ne risque-t-on pas de se mettre à dos ce partenaire important pour Maurice ?
Nous, en tant que peuple, avons élu l’Assemblée nationale actuelle, à partir de laquelle Pravind Jugnauth a été nommé Premier ministre. Nous n’avons pas élu le Parlement indien, ni son gouvernement. Maurice est un pays libre et doit informer les citoyens de ce qu’il fait, d’autant plus en ce qui concerne les questions de souveraineté. 

Le peuple de l’Inde est l’ami du peuple de Maurice – c’est ainsi qu’il faut voir les choses. Le peuple indien mérite également de savoir.

Vous demandez que l’État arrête d’accorder la nationalité aux étrangers qui investissent à Maurice. Pourquoi ?
La nationalité ou la citoyenneté est un droit - par naissance, par résidence prolongée, par mariage, mais pas en échange d’argent. Comment les droits fondamentaux peuvent-ils être achetés et vendus ? Cela ouvre la voie à une nouvelle forme de colonisation, pas différente de la colonisation de la Palestine par Israël. 

Cela doit être un droit constitutionnel pour tous de participer dans la vie politique»

Vous demandez aussi que l’État garantisse un revenu mensuel aux personnes à qui il ne parvient pas à assurer un emploi stable. Comment réaliser cette mesure ?
Déjà, l’État fournit un revenu mensuel aux pensionnés et aux personnes vivant avec un handicap. Si l’État ne peut assurer un emploi stable aux personnes qui n’ont pas accès à la terre pour se nourrir et subvenir à leurs besoins, et qui ont des paiements réguliers pour le loyer et la nourriture chaque mois, le minimum que la Constitution puisse garantir est un revenu régulier pour le logement et la nourriture. L’éducation et la santé, aussi, sont gratuites et devraient être universelles et gérées démocratiquement. Le transport, également, devrait être gratuit. Lalit est le premier parti à avoir proposé cela, depuis 2002.

Pourquoi souhaitez-vous que le divorce devienne une simple procédure ? Certains pourraient objecter en arguant que le mariage est une institution que l’on désacralise en facilitant le divorce. 
Votre question introduit avec précision le terme « désacralise » en parlant du mariage. À l’époque féodale, le mariage était, en effet, géré par des institutions religieuses. Mais l’État laïque moderne ne peut avoir des procédures simples pour lier les destins de deux personnes, puis des processus coûteux, bureaucratiques et absurdes pour leur permettre de se séparer et, s’ils le souhaitent, de se remarier. Cela ne cause que du malheur et des complications. 

Encore une fois, notre expérience à Lalit nous informe. Dans le Muvman Lakaz, de 1992 à 2004, et les comités conjoints que Lalit a dirigés sur la nécessité de remplacer les logements en amiante dans une cinquantaine de cités à travers le pays de 2018 à 2023, l’un des obstacles récurrents est le nombre de personnes incapables de conclure des contrats simples pour acheter une maison ou transférer la propriété, parce que l’un ou les deux partenaires sont techniquement encore mariés à quelqu’un d’autre. Ils vivent souvent une nouvelle relation stable. Les procédures de divorce horriblement coûteuses et bureaucratiques causent de la douleur et de la souffrance.

Lalit demande également des changements dans la définition de « propriété privée ». Pourquoi et comment procéder ? 
L’une des failles du capitalisme est son incapacité à distinguer entre la propriété privée en soi - comme sa propre maison, brosse à dents, manguier, moto, livres, outils de travail – et cette soi-disant « propriété privée » qui est, en fait, « capital social ». Nous disons que c’est du capital social, car il est produit par des générations de travailleurs – sous des lois du travail restrictives comme l’esclavage, puis l’engagisme, et encore aujourd’hui par l’esclavage par le salaire qui reste contraignant – et ce nouveau capital est ensuite constamment exproprié par les propriétaires de l’ancien capital. 
Donc, ce qui doit être protégé par la Constitution – contre la nationalisation ou de la démocratisation – c’est le premier type, la véritable propriété privée d’un individu. Mais nos moyens collectifs de survie – les grandes étendues de terres pour l’agriculture, la mer qui appartient à Maurice et le capital produit par le travail passé – doivent être sous le contrôle démocratique du peuple, et non sous celui d’une petite classe qui le monopolise. Cette petite minorité qui contrôle le capital prend ensuite des décisions ridicules. 

Et puis, même lorsque les guerres, les nouvelles pandémies et le réchauffement climatique nous menacent avec des augmentations massives des prix des denrées alimentaires, cette minorité capitaliste persiste à maintenir la quasi-totalité des grandes étendues de terres sous la canne à sucre ! Même quand nous pourrions tous mourir de faim ! Il n’y a pas de souveraineté alimentaire. Il en va de même pour l’énergie. Nos besoins énergétiques doivent être réduits – en favorisant plus de transports publics et moins de transports privés – et l’énergie doit être convertie aux énergies renouvelables – issues du soleil, du vent et de la mer.

Il est aussi question d’avoir un « contrôle démocratique » sur l’ensemble du gros capital. Pouvez-vous expliquer ? 
Déjà, dans une certaine mesure, les travailleurs de tout secteur font tout le travail – tous seuls. Par exemple, dans les entreprises de logistique, Air Mauritius, les services postaux, les hôpitaux et les cliniques, les écoles, sur les chantiers de construction, et dans les docks, au CEB et à la CWA, les travailleurs font tout le travail. 

Et pourtant, il existe une classe de propriétaires – et dans le cas des entreprises d’État – de gestionnaires qui prennent toutes les décisions, comme s’ils étaient les seuls concernés. Ce genre de hiérarchie d’êtres humains est en contradiction directe avec la véritable démocratie. 

Nos esprits sont légèrement atrophiés par le fait que nous considérons la « démocratie bourgeoise » comme une « démocratie », alors qu’elle assure vraiment à la classe capitaliste son droit d’exploiter le travail des autres et même d’acheter le « kuraz » d’un autre être humain, comme s’il s’agissait d’une marchandise. Elle accorde aux autres classes – la classe ouvrière et les autres classes opprimées comme la petite bourgeoisie confuse – seulement ces droits qui les empêchent de se rebeller contre la prise de décision manifestement injuste sous la démocratie de style capitaliste.

Vous demandez que la liberté d’information et la transparence dans les affaires de l’État soit inscrites dans la Constitution. Est-ce que le modèle scandinave devrait servir d’inspiration ? 
Oui, il y a certainement des idées à prendre des lois très anciennes de la Suède sur l’accès libre à tous les documents officiels. C’est important pour chaque personne à Maurice, ainsi que pour les journalistes de la presse. 

Chez Lalit, nous mettons l’accent sur le fait que les travailleurs d’un secteur devraient également avoir accès à toutes les informations sur les finances et les transactions commerciales de l’entreprise pour laquelle ils travaillent, ou de l’institution dans laquelle ils étudient. 

Notez que le vaste mouvement étudiant, tant aux États-Unis qu’à l’échelle mondiale, exige le droit de déterminer où l’institution dans laquelle ils étudient investit ses fonds et quels projets de recherche elle entreprend. C’est ce dont il s’agit dans le mouvement de désinvestissement contre la colonisation et l’occupation israéliennes : le contrôle populaire pour empêcher l’investissement dans les entreprises bellicistes.

Sur un registre différent, le Political Financing Bill est en circulation depuis près de trois semaines. Est-ce que Lalit a fait des suggestions ? Que pensez-vous du texte de loi ? 
Chez Lalit, nous voulons un contrôle des dépenses électorales. C’est ce qu’il faut corriger. Nous n’avons certainement pas besoin d’un genre de « registre des partis politiques » que le gouvernement propose. Cela agira inévitablement dans l’intérêt du parti au pouvoir. 

Ce dont nous avons besoin, c’est d’un resserrement des dépenses des partis pendant la campagne. Ici, le gouvernement met en place ce qui risque de mettre fin à la liberté des partis politiques d’exister. 

Le problème est du côté des dépenses. Nous ne comprenons pas pourquoi tout le monde est si déterminé à introduire une bureaucratie draconienne qui diminuera la liberté démocratique. Encore une fois, à Lalit, nous avons eu suffisamment d’expérience du Registrar of Associations dans le passé pour réduire les libertés démocratiques de se syndiquer et même de former des associations. Ces pouvoirs ont conduit à la plus grande révolte de l’histoire de Maurice – celle dont Lalit était au cœur –, le mouvement de grève générale d’août 1979. 

Les membres doivent surveiller leurs dirigeants de parti. Ce n’est pas au gouvernement de le faire. En revanche, le principal progrès apporté par la démocratie bourgeoise est le droit pour chacun d’être membre d’un parti politique, d’agir collectivement politiquement et de se porter candidat pour un parti. Ce droit élémentaire n’est pas encore respecté. 

Les fonctionnaires, plus récemment même les employés des organismes parapublics, et les employés de nombreuses entreprises privées sont interdits d’activité politique. Cela doit être un droit constitutionnel pour tous de participer dans la vie politique. Une exception peut être faite pour la haute direction dans les secteurs public et privé.

 

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