Société

Kreol morisien: un débat sans langue de bois

Parlé par plus de 10 millions de personnes dans le monde, le créole diffère d’une île à une autre, issu du mixage de langues et de cultures différentes. Depuis 1983, une Journée internationale, observée le 28 octobre, a été décrétée pour célébrer la langue et la culture créoles. Quelle place occupe le kreol morisien dans notre société ? «Nu fier nu morisien ». Cette phrase revient souvent dans la bouche de nombreux Mauriciens, The Voice Kids. Le kreol, bien que n’étant pas notre langue officielle, fait de plus en plus notre fierté et pousse à la réflexion quant à la place qu’il occupe dans notre société. Cela fait 15 ans que nous célébrons, à Maurice, la Journée internationale de la langue et la culture créoles. Le débat est, une fois de plus, lancé : faut-il introduire cette langue à l’Assemblée nationale ? Ce combat remonte à plusieurs années. Le parti de gauche Lalit est revenu à la charge, la semaine dernière, en demandant l’amendement de l’article 49 de la Constitution de Maurice, afin que le kreol devienne une langue officielle au Parlement. « Le kreol est la langue maternelle de la plupart d’entre nous et c’est dommage de constater que beaucoup de gens n’arrivent pas à suivre les débats et discours des parlementaires, car ils ne comprennent pas l’anglais », explique un membre de ce parti, Rada Kistnasamy. Il est rejoint dans ses propos par Georges Legallant, auteur de recueils et manuels en kreol.Il souhaite de tout cœur que le kreol morisien soit introduit au Parlement le plus vite possible. [[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"3300","attributes":{"class":"media-image alignleft wp-image-4858","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"400","height":"318","alt":"Kreol morisien"}}]]L’idée ne fait toutefois pas l’unanimité. Yvan Martial, observateur politique, est d’avis que la langue kreol parlée est comprise par la majorité, mais que « la lecture et l’écriture reste très difficile. Surtout sur le plan pragmatique, il est préférable de s’en tenir à l’anglais et au français. Le danger avec le kreol, c’est que cela donnera plus facilement lieu à des dérapages verbaux et pourra ainsi rendre la tâche du speaker encore plus difficile », estime notre interlocuteur. Un avis que partage, en partie, l’ancien speaker, Dev Ramnah : « Cette langue peut être utilisée au Parlement cependant, il faudra établir des paramètres au préalable et procéder avec beaucoup de précaution pour prévenir les abus. Au cas contraire, il risque d’avoir beaucoup de problèmes », lance-t-il. Toujours est-il qu’avec son introduction dans les écoles, le kreol morisien est de plus en plus soigné avec un mode standard, argue, pour sa part, le Professeur Arnaud Carpooran, linguiste et président de la Kreol Speaking Union. « Je suis content de constater que nos enfants désormais appartiennent à une génération bien exposée au kreol. Ils apprennent cette langue à l’école et excellent même. En tout cas, ceux qui prennent part aux examens en sont les exemples de cette réussite », soutient-il. Le linguiste se dit heureux que le kreol morisien occupe désormais la place qu’elle mérite. « Nous le voyons à travers les spots publicitaires, entre autres. La langue kreol a tellement été méprisée, ignorée dans l’histoire. Il faut maintenant que les adultes donnent l’exemple, les parents, les enseignants mais également les fonctionnaires et les employés du secteur privé. C’est de cette façon que nous allons faire avancer la langue. Nous devons nous exprimer fièrement en kreol », martèle Arnaud Carpooran. Il est très important, selon lui, de célébrer cette journée : « C’est la langue principale de la République de Maurice. Malheureusement, pendant de nombreuses années, elle n’a pas été reconnue dans notre histoire. Il faut rappeler aux gens l’histoire de la langue kreol, son utilité et ce qu’elle représente dans le monde et surtout ce qu’elle apportera à l’avenir… »

Marousia Bouvery, du Grup Abaim: « Le kreol est une langue poétique »

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/div> Le kreol occupe une place naturelle, car elle est la langue maternelle, indique Marousia Bouvery du Grup Abaim. Pour pouvoir être créatif, ajoute-t-elle, il est primordial d’avoir un vecteur authentique et il n’y a rien de plus authentique que la langue maternelle. « Au sein du Grup Abaim, nous pensons qu’il est important d’utiliser le kreol, au même niveau que les autres langues. C’est une langue poétique. C’est tellement beau de marier le kreol au son de la ravanne et des autres instruments de musique », nous confie-t-elle. Abaim est un groupe de musique qui travaille beaucoup sur la valorisation de notre patrimoine. « Nos albums sont toujours accompagnés de traductions en kreol et des analyses. C’est une langue bien vivante et la majorité des personnes aiment les chansons en kreol car elles permettent de susciter beaucoup plus d’émotions. Seule une poignée de gens continue à penser aujourd’hui que cette langue est une sous-culture... » déplore Marousia Bouvery. [row custom_class=""][/row]
 

Georges Legallant, auteur de recueils et manuels en kreol: « Cette langue n’est pas assez valorisée »

 
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Le kreol morisien a-t-il sa place dans la société actuelle ? Le kreol occupe 95 % de notre vie quotidienne. Nous sommes exposés à cette langue tous les jours, notamment à l’école, dans l’autobus, en chemin, à travers les médias ou même dans les institutions où nous nous rendons, cela même si nous disons ne pas parler le kreol chez nous. Malgré les préjugés, le kreol se fait une place et de nombreuses personnes l’utilisent désormais. Il faut reconnaître qu’il y a eu du progrès, par exemple, dans les écoles. Il est malheureusement dommage de constater qu’au niveau administratif, il reste encore beaucoup de chemin à faire, que ce soit dans le secteur privé ou public. Par exemple, je trouve inacceptable que nous soyons encore obligés d’envoyer une lettre d’application pour un travail en français ou en anglais. Je pense qu’il faudrait donner plusieurs options aux gens et leur permettre de soumettre une lettre en kreol. Un autre exemple, c’est quand nous allons à la banque. Nous devons écrire en anglais, alors que beaucoup d’entre nous ne sommes pas à l’aise dans cette langue. Est-ce que les auteurs qui écrivent en kreol morisien arrivent à se faire connaître ? Le kreol lui-même avance doucement. Ces auteurs ont leur public, mais il est difficile parfois de toucher les autres personnes. Il y a encore des préjugés autour du kreol et certains artistes mauriciens en souffrent. Cette langue n’est malheureusement pas assez valorisée. Pour les auteurs comme nous, il est difficile d’arriver à 1 000 exemplaires, il nous faut la plupart du temps nous contenter de 200 copies de notre ouvrage. Cela, pour la simple et bonne raison qu’il manque dans ce pays des personnes qui croient en cette langue, en son importance et à sa valeur. Il est très difficile de trouver des sponsors pour financer notre ouvrage en kreol. Nous n’obtenons pas de parrainage comme les autres auteurs. C’est vraiment dommage. Il faut plus d’investissements à ce niveau. L’état doit donner l’exemple et investir de façon concrète dans cette langue et offrir toutes les facilités aux auteurs et artistes pour la promotion de la langue kreol. Les institutions gouvernementales peuvent, par exemple, publier leur communiqué de presse en kreol. Il faut que toutes les instances du gouvernement adoptent la Grafi Larmoni comme il a été décidé par l’état. Elles se doivent de respecter cette décision. C’est une injustice que l’on fait à cette langue. J’espère que les personnes qui écrivent en kreol vont continuer à le faire de plus belle. Il faut viser plus loin et continuer à promouvoir cette langue. Vous êtes également enseignant. Qu’est-ce que le kreol apporte de plus aux élèves ? Des résultats positifs. L’introduction du kreol dans les écoles a fait beaucoup de bien aux élèves. À l’heure actuelle, la langue kreol est utilisée seulement comme un médium. Il faudrait qu’elle soit étudiée comme une langue, à l’instar du français et de l’anglais. Il faut aussi avoir des manuels en kreol. Un des bénéfices de la langue kreol dans les écoles, c’est que cela empêche une coupure entre la réalité (et aussi ce qui se passe à la maison et dans notre entourage) et ce qui se fait à l’école. Il est important que les élèves utilisent une langue qu’ils maîtrisent. C’est aussi une façon de ne pas les réduire au silence. Ils se sentent à l’aise, participent en classe et n’ont pas peur de s’exprimer. Avec une langue étrangère, ils doivent d’abord s’adapter et prendre le temps de la maîtriser avant de pouvoir s’exprimer en toute confiance. Ceux qui peuvent écrire en kreol, arrivent également à mieux s’exprimer. Cela développe beaucoup leur créativité. C’est comme une thérapie. Ils arrivent à décrire leurs joies, leurs peines, leurs rêves…
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