Interview

Dr Jimmy Harmon: «La culture et la langue créole continueront leur évolution»

Dr Jimmy Harmon
Directeur du Centre Nelson Mandela, Dr Jimmy Harmon a participé à plusieurs débats dans le contexte de l’introduction du kreol morisyen dans les écoles, devenue une réalité en 2012. Ce dernier, qui est aussi universitaire, formateur et activiste dans le milieu populaire créole, est parmi les intervenants au symposium qui se tient ce jeudi à l’Université de Maurice (UoM)  dans le cadre de l’ouverture de la 10e Edition du Festival Kreol. Dr Jimmy Harmon fait le point sur la langue et la culture créole. Parlez-nous de la situation de la culture et de la langue créole à Maurice. La culture et la langue créole se portent bien. Cette langue et cette culture  ont une double dimension : d’un côté, celle du « marqueur identitaire » des Créoles à Maurice et, d’autre part, une dimension nationale, car, la langue et la culture créoles sont l’ADN des Mauriciens. Le kréol a été, pendant longtemps, considéré comme la langue du petit peuple, des analphabètes, voire ceux qui sont en marge de la société. La situation a-t-elle évoluée ? La langue kreol connaît une évolution rapide, et continuera sur cette lancée, mais aussi dans une grande douleur et profonde blessure. Toutefois, elle a  pu vaincre l’adversité. Avec  le kreol dans le milieu scolaire et son utilisation dans sa forme écrite dans les institutions publiques, on est moins coincé. Il y a une explosion culturelle créole dans ses multiples facettes et ses différents aspects. Langue et culture kreol sont en passe de devenir un ‘Trade mark’. C’est le kreol qui détermine notre identité quelque part. Ainsi, il est important de redonner à la langue, toute son importance. À ce niveau, les Créoles ont un long combat à mener, comparés à d’autres composantes de la société, pour préserver la langue. Le kreol Morisien est une langue reconnue avec un lexique établi. Très peu de personnes parviennent à l'utiliser tant à l'écrit et qu'à l'oral. Quels sont les facteurs responsables de ces difficultés ? Savoir distinguer le kreol à l’oral de l’écrit est fondamental… Toute écriture dans une langue demande un apprentissage. On peut parler bien la français ou toute autre langue sans pouvoir l’écrire. Pour les adultes, cela va être difficile d’écrire en Kreol au début, car on n’a pas étudié le kreol à l’école. Il faut se mettre à l’écriture sur une base régulière. Quant aux enfants, ayant choisi le kreol morisyen depuis 2012, cela ne les gêne pas dans l’apprentissage de l’anglais ou du français. Quelle est votre position par rapport à l'introduction du kreol morisyen au Parlement ? Il existe une crainte, selon laquelle le kreol est trop 'grossier' pour être utilisé dans un contexte aussi formel. Partagez-vous cet avis ? Est-ce que les parlementaires anglais, français, allemands ou espagnols ne disent jamais des mots « grossiers » ? Est-ce que cela voudrait dire qu’on ne peut pas tenir un discours argumenté en kreol ? Dans quelques années, nos enfants vont rire de ceux qui tiennent comme faux prétextes que le kreol est « grossier ». Je pense qu’il ne faut pas croire qu’il faut introduire le kreol pour aider nos parlementaires qui ont de la difficulté à s’exprimer en français ou en anglais. On fait fausse route si on pense mal. Il nous faut avoir des parlementaires de haut niveau, qui maîtrisent leur dossier, mais qui ont un profond respect pour notre langue et culture. Le kreol au Parlement relève du droit de tout citoyen de mieux comprendre les débats sur les sujets qui déterminent son avenir. Par rapport à la culture créole, est-elle réservée qu’aux Mauriciens d'origine africaine qu'on surnomme les 'Créoles' dans le jargon mauricien ? Cette question revient à chaque fois que les Créoles prennent la parole. Un Mauricien d’origine africaine me faisait l’observation suivante la dernière fois à la sortie d’une soirée de formation à La Gaulette : « Eski  nou kapav koz enn bouyon pwason san pwason ? ». « Vous pouvez ajouter d’autres ingrédients mais, le poisson doit y être. » Je dirai que les Mauriciens d’origine africaine ont le droit de s’approprier la culture créole. Pensez-vous que notre culture créole disparaîtra avec l'urbanisation ? Pas du tout. Je crois que la culture créole continuera son évolution. Toute culture créole est capable de s’adapter aux changements dans la société. Ce qui fait qu’elle est créole, c’est qu’elle n’est pas figée dans l’ancestralité. J’ai confiance en l’avenir. Et, la vision du Centre Nelson Mandela ? Le centre a pour particularité l’autonomisation culturelle des Créoles avec la valorisation des cultures africaine et créole. La langue et la culture en sont la colonne vertébrale. Ajoutez à cela que le centre doit réaliser les recommandations de la Commission Justice et Vérité et organiser des levées de fonds pour atteindre ses nouveaux objectifs. Le centre a aussi pour mission de promouvoir et vulgariser l’art africain et la culture africaine et créole, à travers des ateliers de travail, des activités et des expositions. Quels sont les obstacles qui vous empêchent d’atteindre vos objectifs ? L’obstacle majeur reste la position du centre dans la société mauricienne. Selon moi, le seul moyen d’y parvenir est de contrer cet obstacle, et de transformer le Centre Nelson Mandela en un institut. N’ayant pas de reconnaissance internationale, le centre ne peut pas organiser une levée de fonds  auprès des organisations internationales. Des contraintes légales se présentent aussi. Ainsi, nous recherchons l’expertise sud-africaine pour avoir des modèles d’institut. Pour la deuxième édition de la Nelson Mandela Memorial Week prévue en décembre, Dr Matloleng Matlou, directeur d’Afrika Excelsior Consultant, sera en visite à Maurice, une initiative de la Haute commission sud-africaine. Il nous aidera à réfléchir sur ce sujet afin d’aboutir à un projet concret.
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