Interview

Fatima Zahrae, Marocaine passionnée de droits humains : «La situation dans le Maghreb influe sur la géopolitique européenne»

Fatima Zahrae

Fatima Zahrae Touzani est une jeune citoyenne marocaine passionnée de communication, mais tout aussi bien de droits humains. Elle avait aidé Amnesty Maurice dans sa stratégie de communication, il y a dix ans de cela. Native de Rabat, elle adore son pays, malgré ses contradictions et nous livre sa réflexion sur un certain nombre de questions. Fatima Zahrae est aussi une amoureuse de Maurice pour y avoir vécu durant quelques mois et elle aide DISMOI dans son développement.

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Présentez nous votre pays et présentez vous-même Fatimah aux lecteurs du Défi…
Je m’appelle Fatima Zahrae, je viens du Maroc, situé en Afrique du Nord. J’ai fait mes études dans une école de management et me suis spécialisée en Marketing. Une fois le diplôme en poche, j’ai compris que ce qui me poussait, me ‘drivait’ dans la vie, c’était l’impact de mes actions sur l’humain. C’est ce qui donnait du sens à mon quotidien. J’ai alors tout de suite orienté mes choix de carrière vers les métiers du développement humain et de l’enseignement. D’où le petit bout de chemin parcouru avec Amnesty Maurice, en 2010.

Une monarchie au 21e siècle : n’est-ce pas un anachronisme, voire une bizarrerie ? Comment la Marocaine progressiste que DIS-MOI connait concilie-t-elle les droits humains avec un roi omnipotent au Royaume du Maroc?
La monarchie n’est pas un régime, mais un mode de gouvernance qui n’est pas forcément incompatible avec la démocratie. La monarchie marocaine a su évoluer et s’adapter à son temps, la preuve étant la Constitution de 2011 qui a établi une répartition des pouvoirs équitables entre monarque souverain et premier ministre dirigeant.

La citoyenne que je suis ressent ostensiblement l’évolution en termes de droits de l’homme. Certes, il reste beaucoup à faire, mais nous sommes sur la bonne voie.

Au cours de votre jeune carrière, vous avez été partie prenante d’un audit d’un grand projet d’alphabétisation dans des lieux retirés du Maroc. Qu’avez-vous appris sur votre pays ?
Merci de me faire replonger dans ce très beau souvenir ! En effet, en rentrant de Maurice, j’ai intégré un cabinet américain, spécialisé dans les projets de développement humain, dont la mission était la mise en place et le suivi de programmes d’alphabétisation et de formation professionnelle au profit de populations marginalisées. Cette expérience m’a permis de sillonner mon Maroc et d’en découvrir les différentes facettes. Le Maroc est PLURIEL, ses réalités sont multiples, et pour réellement le découvrir et clamer haut et fort sa marocanité, il ne suffit pas d’en connaître les grandes villes (Marrakech, Casablanca, Rabat et autres), même si celles-ci font partie de son identité, mais il faut prendre le temps d’expérimenter sa « face cachée », loin des posters placardés sur les façades des agences de voyages. Cela a permis à la jeune débutante que j’étais de confirmer le constat des inégalités au Maroc : plus de 1,6 million de personnes sont pauvres, et la plupart des gens pauvres et vulnérables résident en zones rurales ! Près du tiers de la population marocaine est analphabète, et en milieu rural, la proportion des femmes analphabètes s’élève à 60%.

L’Éducation est et sera le cheval de bataille et l’unique voie de développement pour les pays du Maghreb.»

Suivez-vous ce qui se passe dans les pays du Maghreb et en Égypte ? Votre analyse de citoyenne maghrébine sur ce qui se passe en Libye?
La Libye est une illustration des déboires auxquels a pu mener la révolution arabe. Les citoyens sont forcés de vivre en exil en Tunisie, avec une dérive autoritaire des pouvoirs militaires rappelant grandement l’autoritarisme de Kadhafi !

Ce printemps arabe était porteur d’espoir pour les citoyens, il a vu sa portée limitée par les réalités. En Égypte, le président élu n’a pas tenu plus d’un an, en Tunisie, les islamistes dominent, et le chaos règne en Syrie (Pour ne citer que ces exemples).

Dans une planète mondialisée, la situation dans les pays du Maghreb influe grandement sur la géopolitique européenne, dans la mesure où cette instabilité facilite le travail des passeurs, provoque des vagues d’immigration touchant l’Europe dans sa globalité, provoquant une panique générale et donc prédominance de l’extrême-droite qui atteint des scores records.

Je ne prétends pas connaître le Maroc, sauf Marrakech que j’ai entrevu il y a 12 ans, durant un séminaire. Ce qui me frappait, c’est l’atmosphère de liberté, des femmes au voile coloré, une forme de tolérance avec des jeunes se tenant par la main. Les islamistes n’ont-ils pas fait de percée ?
Vous savez, il m’arrive assez souvent d’évoquer avec mes parents leurs souvenirs d’enfance. Que de fois, ils me font comprendre qu’en termes de libertés individuelles, le Maroc est en nette régression. Là encore, j’aimerai nuancer ma pensée. Le Maroc, c’est plus de 35 millions d’habitants, 12 régions, étalées sur plus de 440 000 km2. Ce serait se leurrer que de penser que l’atmosphère de liberté est dans tous les coins et recoins. On peut difficilement généraliser ce constat à l’échelle d’une ville/ un quartier/ un Douar (petit village ou groupement d’habitations rurales), encore moins au niveau du pays. Mais en règle générale, nous pouvons partir du principe que le Marocain urbain est plus tolérant que le Marocain rural. Cela s’explique par l’ouverture sur le monde, l’accès à l’éducation pour les hommes ET les femmes, l’évolution des mentalités au fil des années, etc.

Bref, je pense que le combat pour les libertés est encore très long et le chemin parsemé d’embûches.

Quelles sont les principales questions des droits humains au Maroc et au Maghreb en général?
Pour moi, l’Éducation est et sera le cheval de bataille et l’unique voie de développement pour les pays du Maghreb. Sans refonte structurelle du système éducatif, nous ne pouvons aspirer au développement de ces pays.

Vous avez vécu à Maurice pendant plusieurs mois et vous êtes une grande admiratrice de notre minuscule République. Qu’avez-vous apprécié et qu’est-ce qui vous gêne à Maurice ?
Je suis une amoureuse du pays pas du régime.

Depuis que je l’ai quitté, je parle de Maurice comme étant mon pays de cœur ! Tous ceux qui me connaissent connaissent l’amour que je porte pour cette petite île. Je crois que ce sont surtout ses hommes et ses femmes qui me l’ont fait aimer. L’eau turquoise, le sable blanc et la très bonne gastronomie mauricienne aussi.

En quoi le développement de DIS-MOI dans le sud-ouest de océan Indien vous intéresse-t- il?
Je crois en une citation ‘L’union fait la force’, si les régions s’unissent et travaillent dans un même sens, la voie vers le développement sera plus facilement atteinte. J’apprécie à sa juste valeur la méthodologie adoptée par DIS-MOI, laquelle loin des promesses politiques, travaille directement sur le terrain et impacte de manière concrète la vie des citoyens.

Le mot de la fin
Toute révolution suppose une période de KO, les pays du Maghreb la vivent actuellement. Moi, l’éternelle optimiste veux croire en un avenir meilleur. Nous les jeunes devons nous mobiliser, contribuer du mieux que l’on peut. L’engagement des jeunes, tant sur le plan associatif que politique, est la clé de voute d’un monde arabe renforcé et stabilisé. Le vrai mot de la fin : Maurice, je reviendrai.

 

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