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Dépression : un mal qui ronge notre société de l’intérieur

Dépression

Selon un récent rapport publié par l’Organisation mondiale de la santé, plus de 300 millions de personnes dans le monde sont touchées par la dépression. À Maurice, ce trouble mental concerne 16,7 % de notre population. Ce mal est qualifié de « fléau du 3e millénaire » et affecte tout le monde.

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À 24 ans, la vie est pleine de promesses et de projets. Si certains croquent la vie à belles dents, Sarah que nous rencontrons par le biais d’une association, est triste et avachie. Elle passe ses journées à broyer du noir. « Je suis perdue, je n’arrive plus à réfléchir », lance cette jeune femme qui s’efforce de sortir du cercle vicieux de la dépression. Après plusieurs mois, elle décide enfin de consulter un médecin.

« J’étais une personne joviale et surtout très souriante. Mais tout d’un coup, je commençais à me sentir triste, affaiblie et perdue dans mes pensées. J’ai connu des hauts et des bas dans ma vie, comme tout le monde, mais l’état dans lequel j’étais est indescriptible. J’avais constamment mal au ventre, à la tête, je ne pouvais plus manger. J’avais perdu ma joie de vivre. Je ne pouvais plus sortir de la maison ni parler à personne  », explique-t-elle.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) associe la dépression à des perturbations de l’humeur qui ont des causes multiples. Ces perturbations se manifestent sur de longues périodes et entrainent un handicap important dans la vie de la personne atteinte. L’OMS souligne qu’une personne peut être dépressive, sans raison apparente. C’est ce que nous confirme le témoignage de Sarah. «Je me sens triste, je suis déprimée et pourtant je ne comprends pas pourquoi je vais mal. À vrai dire, je n’ai aucune raison d’aller mal. J’ai fait des études, j’ai un bon travail… »

Un vide intérieur

Si Sarah a eu le courage de sortir de l’ombre pour consulter un médecin, la dépression demeure un mal tabou pour d’autres. C’est le cas de Ganesh, un agriculteur de 42 ans qui dit ressentir un vide immense. « Je suis épuisé. J’ai l’impression que mon cerveau ne fonctionne plus. J’ai envie de tout quitter. Je suis face à un mur, il n’y a aucune issue. Je ne suis plus la même personne que j’étais auparavant. Quelque chose s’est déconnectée dans ma tête », dit-il. Selon Ganesh, « il est très difficile de chercher de l’aide, quand on est ainsi perturbé ». En fait, il dit ressentir un profond désir de s’éloigner de ses proches.

« Je n’ai qu’une seule envie : rester seul. Je me suis créé un monde dans lequel je donne libre cours à ma tristesse, sans avoir à m’expliquer. Dès fois, je fais semblant d’aller mieux, mais je sens que quelque chose me ronge de l’intérieur. J’ai peur de craquer», dit-il.

Tous nos interlocuteurs témoignent d’un point commun : le sentiment de vide intérieur, difficile à expliquer. Selon ces personnes, ce vide intérieur se caractérise par des sentiments de peine, de tristesse et le sentiment d’être perdu, impuissant et seul. Une expérience vécue par Rani, 37 ans. Cadre dans une société florissante, elle n’arrive pas à comprendre ce vide qui la ronge depuis quelques mois. « Je ne sais pas si je souffre d’une dépression ou si tout se passe dans ma tête. Récemment, j’ai commencé à me sentir triste et seule. Je me persuade que personne ne m’aime et que la vie est injuste. Je n’ai que des regrets. Pour comprendre ce que je ressentais, j’ai fait des recherches. Je me suis rendue compte qu’il y a effectivement un problème. J’ai tout ce dont une personne a besoin pour être heureuse : une belle maison, une famille, un travail. Mais il y a toujours ce manque  », dit-elle. Elle s’efforce d’aller mieux pour son enfant, même si c’est plus facile à dire qu’à faire. « On peut certes être entouré, avoir toutes les richesses du monde, mais si on n’est pas en paix avec soi-même, cela ne sert à rien. »


Ailleurs dans le monde : la dépression a progressé entre 2010 et 2017

Selon une étude du Bulletin épidémiologique hebdomadaire, la dépression a progressé en France. Elle touche notamment les femmes, les chômeurs, les étudiants, les personnes à faibles revenus et les moins de 45 ans. Le sondage portant sur 25 319 personnes révèle qu’un adulte de 18 à 75 ans sur dix avait déclaré avoir vécu un épisode dépressif caractérisé par le ralentissement des activités habituelles. L’épisode dépressif ne correspond pas à la déprime passagère qui gagne tout un chacun. Il s’agit d’une période de 15 jours au moins de tristesse ou de perte d’intérêt, associée à trois facteurs secondaires : baisse ou hausse du poids, difficultés de sommeil, pensées suicidaires, etc. L’étude française révèle que le trouble touche deux fois plus de femmes, soit 13 % contre 6,4  % pour les hommes. L’écart peut s’expliquer par la différence de position sociale selon le sexe, ou par le fait que les hommes sont moins enclins à admettre la dépression.


Anwar Husnoo, ministre de la Santé : « Les maladies non-transmissibles sont notre priorité »

« Les maladies non-transmissibles (diabète, cholestérol) et la dépression sont des priorités pour le ministère», précise le ministre de la Santé, Anwar Husnoo. Ce dernier inaugurait, le 6 octobre dernier, le Women Health-A-Ton organisé par l’ambassade américaine au Caudan. « Les autorités prennent très au sérieux les maladies non transmissibles (MST). Nous travaillons surtout sur la prévention et enchaînons les campagnes de sensibilisation. Si les MNT sont dépistés à temps, le pire peut être évité », soulignait-il.


Conséquences et effets de la dépression

Les statistiques liées au suicide à Maurice interpellent de nombreux professionnels. La psychologue Karuna Rajiah se dit consternée par la hausse en flèche du nombre de suicides chez nous, surtout parmi les jeunes. Elle invite les psychologues et professionnels de santé à œuvrer de  concert pour aider les personnes atteintes par ce  fléau social. « Ils pourront identifier les personnes qui souffrent en silence et les aider. Le suicide est la conséquence la plus dramatique de la dépression.

Selon une étude de l’Académie de médecine, 5 à 20 % des patients déprimés se suicideraient. Il importe de noter que les personnes qui se suicident n’ont pas pour objectif premier de mourir, mais de mettre fin à leur souffrance qu’elles estiment insupportable. Le suicide apparaît comme le seul moyen pour faire taire leur souffrance. Les pensées suicidaires font parties des symptômes de la dépression, il faut les prendre très au sérieux lors du traitement », explique Karuna Rajiah. « Le risque suicidaire ne doit pas être sous-estimé. Les signes ne sont pas faciles à repérer. » Selon la psychologue, il faut être alerté par :  

  • l’évocation d’un départ ou de rejoindre les disparus ;
  • les dons d’objets qui ont une valeur affective ;
  • la mise en ordre dans ses affaires personnelles ou la prise de décisions testamentaires ;
  • un apaisement ou un soulagement soudain sans raison apparente ;
  • l’évocation de la mort.

Samcoomar Heeramun, psychothérapeute : « C’est le mal du 3e millénaire et tout le monde peut être concerné »

Samcoomar Heeramun

À quoi associez-vous cette montée en flèche de la dépression ?
Avant de vous répondre, il convient d’expliquer ce que c’est que la dépression. On ne parle pas ici de petites peines de cœur, de tristesse passagère liée à un événement de la vie. Nous parlons ici d’un véritable mal qui ronge notre société de l’intérieur. La dépression qui inquiète les autorités de la santé est relative à un vide intérieur, un profond sentiment de tristesse. Cet état mental survient quand le niveau de stress dépasse la limite qu’un humain peut supporter. La personne perd alors tout contrôle de ses émotions et sombre dans la dépression. C’est le mal du 3e millénaire et tout le monde peut être concerné. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte, mais nous ne pouvons ignorer que notre société est affectée par toutes sortes de fléaux. Les parents ne jouent plus leur rôle et les enfants sont en perte de repères. Sur le plan général, le chômage, la précarité de l’emploi, l’insécurité grandissante et les crimes horribles qui font la une de l’actualité sont autant de facteurs qui peuvent expliquer cette montée en flèche de la dépression à Maurice et dans le monde.

Avec toutes ces avancées technologiques, ne devrions-nous pas nous sentir mieux ?
Bien au contraire, les avancées technologiques ont modifié les bases de notre société. Je ne suis pas contre ces avancées, mais il faut se rendre à l’évidence. Les gens sont de plus en plus isolés avec leur portable connecté aux réseaux sociaux. Ils passent des milliers d’heures à parler à des personnes virtuelles et ignorent celles qui sont physiquement proches d’eux. Ces outils technologiques sont censés élever notre niveau de vie. C’est vrai dans certaines situations, mais dans d’autres, ils ont modifié nos habitudes. La société devient de plus en plus individualiste et nous perdons nos repères.

Quel est le remède pour ce mal qui ronge notre société ?
Il n’y a pas de remède miracle. Les autorités doivent prendre au sérieux les problèmes qui rongent notre société. Certaines actions ont été prises, mais il reste beaucoup à faire. Il faut aussi éduquer la population et aider ceux qui souffrent à réaliser que la dépression est une maladie qui se soigne. Il existe une multitude d’approches : médicaments, soutien psychologique...

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