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Débat : police et droits humains, sont-ils incompatibles ?

La police a été au cœur de multiples débats ces derniers temps. Une pluie de critiques s’est abattue sur cette institution et certains ont même parlé de crise au sein de la force policière. Cependant, qu’on le veuille ou non – la crise sanitaire présente nous le démontre – la police demeure un des services essentiels de la République de Maurice et on ne peut qu’espérer que ce malaise soit conjoncturel et non structurel. Avec la nomination du nouveau Commissaire de police Khemraj Servansing, c’est une nouvelle ère qui s’annonce. Après les tristes années sous le règne de Nobin, l’espoir a refait surface que ce soit auprès des défenseurs des droits humains ou de la POSU, syndicat de police.

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Dis-Moi a trouvé que le moment était propice pour organiser un débat entre l’inspecteur Jaylall Boojhawon, le Président de la POSU (Police Officers Solidarity Union) et Lindley Couronne, Directeur Général de Dis-Moi. L’ambiance était cordiale et malgré quelques désaccords inévitables, tous deux sont unanimes sur l’urgence de poser les conditions pour une meilleure police.

Dis-Moi : La dernière fois que vous vous êtes rencontrés au sujet d’un débat à la radio sur la brutalité policière, Lindley Couronne a effectué un « walk out ».  Il vous a accusé de manquer d’objectivité et il n’a pas apprécié le fait que vous avez pris fait et cause pour certains policiers qui ne le méritent pas. De votre côté, vous avez parlé de « police bashing », pourtant aujourd’hui, vous avez accepté l’invitation de Dis-Moi. Pourquoi ?
J.B :
D’abord, je tiens à remercier Dis-Moi d’avoir organisé ce débat. Je suis avant tout un démocrate et comme tel, j’accepte le fait qu’il y a plusieurs points de vue. Moi, je suis intéressé par l’avancement de la police et je suis prêt à discuter de l’avenir de cette institution avec n’importe qui.

LC : Je rassure l’inspecteur. Nous le disons assez souvent dans nos cours d’éducation aux droits humains. La police pour Dis-Moi est une institution essentielle dans un État de droit. Sans la police, ce serait la loi du plus fort qui aurait régné et les policiers sont, de par leur profession, des ‘frontliners’ des droits humains. Dis-Moi se bat contre les mauvaises pratiques de certains policiers, pas contre la police.

Dis-Moi : La période de l’ex-Commissaire  Nobin a été marquée par un laisser-aller et un manque criant de direction. Certaines mauvaises langues disaient qu’on pouvait mettre « une statue pour diriger la police et que ce serait la même chose ». Que pensez-vous de la nomination du nouveau Commissaire de police ?
JB : Khemraj Servansing était le « senior-most » au sein de la hiérarchie policière et je suis content que la méritocratie ait primé. Savez-vous que je n’ai jamais obtenu un seul rendez-vous avec l’ancien Commissaire de police, alors que j’ai rencontré M. Servansingh en l’espace de trois jours  et qu’il a été à l’écoute. J’ai découvert quelqu’un qui a réellement la volonté de travailler en équipe et d’écouter les griefs formulés par tous les policiers. J’ai surtout aimé le fait que c’est un homme qui, comme moi, a une vision de la police et de ce qu’elle devrait être. J’espère sincèrement que les années de médiocrité sont derrière nous. Je lui ai remis un document de plusieurs pages qui contient les préoccupations majeures de la force policière.

LC : Je note que l’inspecteur Boojhawon et moi sommes sur la même longueur d’onde. C’est déjà un bon début ! Une délégation de Dis-Moi a demandé et obtenu une rencontre avec le nouveau commissaire. Personnellement, il m’a impressionné. C’est un homme avec une très haute vision de la force policière et qui est fier d’être policier, un peu à l’ancienne, mais je ne dis pas ces mots dans un sens péjoratif !

Certes, nous avons aussi rencontré Nobin, mais sans suite réelle et sans volonté sincère de collaborer. En revanche, je peux déjà annoncer au public que la  collaboration entre Dis-Moi et la police a déjà commencé à porter ses fruits et je pèse mes mots… Évidemment, les problèmes structurels ne vont pas se résoudre d’un coup de baguette magique et il faudra donner au nouveau Commissaire le temps de mettre en place ses idées. En tout cas, je félicite le Premier ministre d’avoir mis « the right man in the right place ». 

Usage de force proportionnelle / Excès de la police

Les problèmes structurels ne vont pas se résoudre d’un coup de baguette magique.»

Dis-Moi : Nous aussi, à Dis-Moi, nous avons une haute idée de la police comme institution. Au service de la population. Vigilant et sans excès. Cependant, la perception au sein de la société civile d’une police abusant de son pouvoir et de ses prérogatives demeure.
JB :
D’emblée, il faut préciser que pour tous les corps de métier, que ce soit enseignants, infirmiers, éboueurs, et j’en passe, il y a les procédures et les bonnes pratiques, mais aussi parfois les faiblesses humaines. Ce que je veux dire, c’est que j’ai parfois l’impression que la société demande plus à la police qu’aux autres corps de métier ! Est-ce qu’il n’y a pas de journalistes, de commerçants et de médecins qui violent l’éthique de leur profession ? Je suppose que c’est parce que nous sommes les plus exposés aux yeux du public. À chaque coin de rue et dans certains quartiers plus que d’autres, le danger nous guette. Nous vivons dans un monde de plus en plus violent et il y a des bandits armés jusqu’aux dents.

Dis-Moi : Oui, mais on peut vous faire remarquer que c’est votre travail Inspecteur et c’est votre choix.
JB : Évidemment. Je ne me plains pas, loin de là. Ce que je veux faire comprendre au public, c’est la nature de notre travail. Nous sommes habilités par l’État à nous servir de la force pour protéger la vie d’autrui et la société en mettant notre propre vie en danger. Toutefois, pour revenir à notre point, il est évident que chaque policier doit agir selon les normes, les procédures et les « standing orders » de la police. 

Dis-Moi : Absolument, mais il y a eu des cas où la police a même tué un citoyen comme dans le cas de Bhavish Rosun, un citoyen d’Henrietta.
LC : Là je voudrais intervenir. J’entends ce que dit l’inspecteur sur la complexité de son métier et la difficulté parfois de respecter au sens strict les procédures. La police peut évidemment faire usage de la force, mais de manière proportionnelle. On n’arrête pas une brute de 120 kg qui terrorise son voisinage avec des fleurs quand même ! En ce qu’il s’agit de Bhavish Rosun, même si on déplore la mort d’un être humain, indépendamment de ce qu’il a fait, je ne peux pas condamner ce constable qui là, selon moi, a fait son métier du mieux de ses possibilités. L’homme était armé d’un sabre et avait déjà infligé des blessures à son fils de 9 ans, je crois, et il refusait de se rendre. Le constable a jugé la situation et pris sa décision. Moi, quand je parle de violence policière, il n’est pas question de cela, mais de violence gratuite et de la volonté d’humilier, comme le cas notoire de David Gaiqui. Là, pour moi, ce ne sont pas des policiers, mais des bandits en uniforme. Je pense sincèrement que le nouveau Commissaire doit faire comprendre qu’il ne va pas tolérer les excès de ce genre.

JB : Ah ! Je note la position de Lindley Couronne sur ce drame, car c’est un drame.

LC : Que croyiez-vous alors ? Que nous condamnons juste pour condamner ou critiquer la police ? Dis-Moi se bat pour la justice et pour les droits humains et dans ce cas, les droits humains ont été bafoués. Rosun avait le droit de vivre, mais sa femme et son enfant aussi et il y avait un risque immédiat de mort !

JB : Je rappelle que la POSU avait tout de suite pris position et donné son support au constable. Cela n’est jamais facile d’ôter la vie d’une personne et je me mets à la place de ce jeune homme. Dans ce cas précis, il a sauvé la vie de deux personnes vulnérables qui était à la merci d’un homme sous influence d’une substance nocive et armée d’un sabre. Cet épisode est l’illustration de la difficulté de notre travail. Croyez-nous, il y a des dizaines, voire des centaines de cas, semaine après semaine où le besoin d’une intervention immédiate et musclée est nécessaire. C’est bien facile, assis dans son fauteuil de critiquer l’action de la police, mais le public doit comprendre que notre travail est difficile dans une société de plus en plus violente et complexe.

Tortures et brutalités

LC : Je vous entends inspecteur et je vous suis dans ce raisonnement. Néanmoins, vous noterez que quand Dis-Moi intervient à la radio et dans des communiqués par rapport à la police, c’est pour dénoncer les excès, comme le prisonnier qui est déjà à terre et qu’on frappe et qu’on filme ou encore celui qu’on torture pour extorquer une confession. Combien y a-t-il de prisonniers innocents et qui ont avoué par peur de représailles ? Vous devez aussi accepter que ce n’est pas cela la justice et condamner, tout comme Dis-Moi, ces actions qui ne font pas la fierté de votre corps de métier. Comment peut-on travailler pour la loi et être hors-la-loi ?

Je voudrais faire comprendre au public que la police subit d’énormes pressions pour régler un crime.»

JB : Je suis d’accord avec vous sur ce point. Voyez-vous, je connais M. Servansingh  et je suis sûr qu’il prônera la tolérance zéro par rapport à ces types d’excès. Rassurez-vous, si je suis convaincu qu’un policier a commis des choses inacceptables, je ne pourrais pas l’accepter, et ce, malgré le fait que je sois un syndicaliste, mais attention ! La réalité est parfois plus complexe. Certains avocats, et je dis bien certains, se servent des droits humains et prétendent que leurs clients ont été battus pour les faire acquitter. Est-ce cela la justice ? En tant que policiers, nous sommes formés pour traquer des hors-la-loi et les amener  à payer pour leurs crimes.

LC : Oui, mais notre système judiciaire basé sur la confession seulement est dangereux et ouvre la voie aux brutalités et autres tortures pour faire avouer le détenu. Il est impératif que les enquêtes policières soient régies par une législation pour prévenir justement ces abus. Pour Dis-Moi, le « Police and Criminal Evidence Act » doit vite devenir une réalité.

JB : Ce n’est pas nous qui faisons la loi, M. Couronne. Nous essayons de l’appliquer du mieux de nos possibilités, mais si je peux revenir sur la problématique des brutalités policières, comme vous dites, je suis convaincu qu’elles ont diminué drastiquement. Voyez-vous, même si elles ont pris du temps, les choses ont changé. Il y a des caméras dans toutes les stations de police. 

LC : Oui, mais pas dans les chambres d’interrogatoire, j’allais dire les salles de tortures ! (rires).

JB : Je ne dis pas qu’on ne peut pas contourner la loi, mais c’est difficile. Ce que je veux faire comprendre, c’est qu’il y a maintenant l’IPCC (Independent Police Complaints Commission) et des policiers qui, eux-mêmes comprennent que cela ne sert à rien « d’extorquer des confessions » comme vous dites. Une enquête, cela prend du temps, beaucoup de temps. Nous faisons avec le peu de moyens dont nous disposons et là, je lance un appel au nouveau commissaire afin qu’il donne enfin à la force policière les équipements et le matériel nécessaire pour nous permettre d’être en conformité avec la société moderne. Les bandits eux-mêmes se modernisent, et nous ne pouvons pas rester en arrière. Encore une fois, je voudrais faire comprendre au public que la police subit d’énormes pressions pour régler un crime. Prenons le cas de Michaela McAreavey née Harte, une personnalité très en vue qui  a été assassinée dans un hôtel de Maurice. Je suis d’avis que l’enquête a été bâclée pour suivre la demande politique, avec les résultats que l’on sait. Dans ce cas, il est triste de penser qu’un ou plusieurs meurtriers sont toujours en liberté. Tout le monde est coupable, la police, la politique et la société dans son ensemble. Je le redis : une enquête doit être effectuée minutieusement et être bien ficelée et surtout sans pression. En tout cas, je conseille aux policiers de faire leur enquête « by the books » comme on dit. Il ne faut pas oublier que derrière chaque cas, il y a une ou plusieurs victimes, il y a des parents. Ces derniers ou même les victimes qui sont encore vivantes sont en quête de justice. Mal faire son enquête et se servir de raccourcis, ce n’est pas rendre service aux victimes.

Dis-Moi : Je vois messieurs qu’on avance dans le débat. Inspecteur, Dis-Moi croyait que vous étiez là pour défendre envers et contre tout les policiers, quoi qu’ils fassent et nous voyons que vous vous dissociez des pratiques inacceptables. De plus, j’espère que vous avez aussi compris que Dis-Moi n’est pas une organisation anarchiste qui refuse même l’existence de la police et pratique la critique systématique !
JB : Je le redis. Notre mission est très difficile. Nous acceptons d’être critiqués et nous ne nions pas le fait qu’il y a certaines brebis galeuses au sein de la force policière. Cependant, je le répète, il y en a dans chaque corps de métier. N’y a-t-il pas des professeurs qui se servent de la punition corporelle alors qu’ils n’en ont pas le droit ? N’y a-t-il pas des journalistes qui acceptent un voyage pour écrire sur telle ou telle compagnie ?  La liste est longue. Moi, en tant que syndicaliste, je suis là pour que les policiers sentent qu’ils ont un support et pour qu’ils gardent le moral envers et contre tout dans ce travail difficile qu’ils font. La POSU n’est pas là pour défendre l’indéfendable.

Je précise que nous intervenons à la demande des policiers et nous les défendons après avoir fait nous-mêmes une enquête discrète. 

Dis-Moi : Le mot de la fin de Lindley Couronne.
LC : Je suis sincèrement satisfait que le débat s’est déroulé dans une excellente atmosphère et un climat apaisé. J’espère avoir convaincu l’inspecteur que Dis-Moi se bat, pas contre la police, mais pour l’idéal de l’État de droit. La perfection n’existe pas, mais si l’État signe et ratifie des Conventions, à l’instar de la Convention contre la Torture, et permet ensuite aux agents de l’État d’être des tortionnaires, ce n’est pas bon pour la démocratie. Merci à l’Inspecteur d’avoir accepté notre invitation. 

Finalement, Dis-Moi travaille déjà activement avec le DPP et l’Ombudsperson for Children pour le bien de la population. Nous sommes convaincus que la collaboration entre le nouveau commissaire, notre organisation et même la POSU sera utile pour la société.

JB : Vous m’excuserez, mais je voudrais conclure ce débat par trois choses. D’abord, dans cette période nouvelle où nous avons un nouveau Commissaire de police qui veut vraiment améliorer les choses pour le meilleur, je lance un appel à nos 13 000 policiers en leur demandant de faire honneur à l’uniforme qu’ils portent  pour être encore plus professionnels et disciplinés. Ensuite, ils doivent être  conscients que la force policière est en permanence sur le devant de la scène. Je tiens aussi à remercier le nouveau Commissaire d’avoir fait ce qu’il a dit. Il parle de travailler en équipe, mais il agit également. Il a aboli le « hot spot policing », tant décrié par les policiers. 

Finalement, je demanderai aux policiers de faire preuve d’un peu de patience. Bientôt, il y aura un nouveau « shift system » qui soulagera nos collègues par rapport au nombre d’heures de travail et du temps de repos entre les différents « shifts ». 

Enfin, je dis un grand merci encore une fois à Dis-Moi de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer. Vous noterez que je n’ai pas effectué de « walk out » ! (rires).

 

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