
Le pays se retrouve au cœur de la crise malgache : l’atterrissage d’un jet privé, la présence d’investisseurs et le gel de comptes soulignent des enjeux autant diplomatiques qu’économiques.
En moins d’une semaine, Maurice s’est retrouvé acteur involontaire dans la politique malgache. Dans la nuit du samedi 11 au dimanche 12 octobre à 00 h 44, un jet privé atterrissait discrètement à l’île Maurice. À bord, l’ancien Premier ministre malgache Christian Ntsay, l’homme d’affaires Maminiaina (Mamy) Ravatomanga – actuellement admis en clinique – et leurs épouses. Trois jours plus tard, le vendredi 17 octobre, le colonel Michaël Randrianirina prêtait serment comme nouveau président de la Grande île. Entre ces deux dates s’est jouée une crise qui remet en question les fondements de la stabilité régionale et expose les fragilités de Maurice face à ses responsabilités diplomatiques et légales.
Le 12 octobre, au petit matin, l’arrivée du jet privé devient virale sur les réseaux sociaux. Le Premier ministre par intérim Paul Bérenger exprime son malaise face à ce qu’il qualifie de « circonstances à peine croyables ». Une enquête est initiée. Il s’avère que le jet a atterri à Plaisance sans autorisation préalable du Département de l’Aviation civile, ni dépôt de plan de vol. Entre-temps, l’Acting Director of Civil Aviation a transmis le dossier à la police, estimant qu’une infraction pourrait avoir été commise.

La colère du gouvernement mauricien est justifiée. Christian Ntsay et Mamy Ravatomanga sont des proches collaborateurs d’Andry Rajoelina, le président déchu de Madagascar. Leur arrivée à Maurice plaçait le pays dans une position diplomatiquement inconfortable. Non seulement elle pouvait être perçue comme une forme de soutien à l’ancien régime, mais elle survenait à un moment où la géopolitique régionale se réorganisait.
À Madagascar, les événements se sont accélérés de façon chaotique. Une faction de l’armée, autrefois favorable à Andry Rajoelina, s’était progressivement ralliée aux manifestants de la génération Z. Les affrontements ont duré trois semaines, faisant plus d’une vingtaine de morts. Sous la pression, Andry Rajoelina a disparu du territoire. Selon Radio France Internationale, il aurait été exfiltré par un avion militaire français depuis l’île Sainte-Marie, vers La Réunion. Laissant derrière lui une situation politique confuse.
En effet, Andry Rajoelina n’a jamais démissionné officiellement, compliquant davantage la crise constitutionnelle. Cependant, les institutions malgaches ont trouvé la solution. La Haute cour constitutionnelle a publié un document reconnaissant la vacance du poste de président de la République. Elle a invité « l’autorité militaire compétente incarnée par le Colonel Michael Randrianirina à exercer les fonctions de chef de l’État ».
Parallèlement, l’Assemblée nationale malgache, dominée par les députés du parti d’Andry Rajoelina, a voté sa destitution pour abandon de poste, avec 130 votes favorables. Le nouveau président de l’Assemblée nationale, Siteny Randrianasoloniaiko, autrefois proche du régime, s’est transformé en opposant politique.
Le vendredi 17 octobre, le colonel Michael Randrianirina a ainsi prêté serment comme nouveau président en présence de diplomates, dont l’ambassadrice des États-Unis. Il a promis de mettre en œuvre « la bonne gouvernance, la culture de la redevabilité et l’efficacité », ainsi qu’« une politique d’austérité pour éviter les dépenses ostentatoires ». Un nouveau gouvernement, avec un Premier ministre civil, était attendu.
Le casse-tête Ravatomanga
Cependant, c’est à Maurice que les vraies complications se sont accumulées. Mamy Ravatomanga, l’homme d’affaires qui a atterri sur le territoire mauricien le 12 octobre, se trouve au cœur d’une controverse qui n’a cessé d’enfler.
Au départ, un mandat d’arrêt international aurait circulé contre lui, attribué au Pôle anti-corruption d’Antananarivo. Mais le 18 octobre, le Parquet général du Pôle anti-corruption a publié un démenti, qualifiant ce document de « faux mandat d’arrêt diffusé sur les réseaux sociaux » et affirmant qu’il « ne remplit aucune des conditions légales ni formelles d’authenticité ».
La situation à Maurice s’est cependant complexifiée. Des ressortissants malgaches ont déposé une plainte auprès de la Financial Crimes Commission (FCC) mauricienne. Selon le communiqué émis vendredi, la FCC avait obtenu des « renseignements crédibles indiquant que M. Ravatomanga avait transféré une forte somme d’argent à Maurice, avec l’intention de déplacer ces mêmes fonds vers une autre juridiction et de quitter le territoire mauricien ».
Sur la base de ces éléments, la FCC a obtenu une Criminal Attachment Order (ordonnance de saisie pénale) sur les comptes bancaires de Mamy Ravatomanga, de son épouse et des sociétés qui lui sont liées à Maurice.
Son avocat mauricien, Me Siddhartha Hawoldar, a déclaré à la presse que son client était « un habitué de Maurice » et n’avait « nullement l’intention de quitter le pays avant de s’expliquer ». Nous avons tenté d’obtenir plus de précisions, mais en vain.
Écosystème économique souterrain
Mais au-delà du dossier Ravatomanga, c’est toute une dynamique économique qui est en jeu. Selon un analyste financier et conseiller en investissements transfrontaliers consulté sur la question, Maurice doit éviter les « réactions instinctives » qui lui font courir le risque de « se mettre à dos des investisseurs qui, jusqu’ici, ont été favorables ». Cet expert, qui s’exprime sous le couvert de l’anonymat en raison de la sensibilité du dossier et des enjeux en jeu, livre une analyse sans détour de la situation. « Qu’on apprenne à éviter les réactions instinctives ! Tout départ ou arrêt des investisseurs serait ressenti dans le segment bancaire, secteur des services financiers et même l’immobilier », avertit-il.
L’expert contextualise ensuite le cas Ravatomanga. Oui, concède-t-il, l’homme d’affaires est ou a été un proche collaborateur du président Andry Rajoelina. C’est un richissime homme d’affaires ayant effectué des investissements à Maurice. Il est propriétaire d’une villa haut de gamme. En amont de cette acquisition, il a dû fournir toute la documentation nécessaire incluant la source de ses fonds. « Donc, aux petites heures de dimanche, c’est un investisseur et détenteur d’un permis de résidence qui regagne Maurice. Point barre ! » résume l’expert.
C’est toutefois sur la question du gel des comptes que l’expert émet ses plus graves préoccupations. « La Financial Crimes Commission a obtenu le gel des comptes bancaires de Mamy Ravatomanga pour des besoins d’enquête. Pendant combien de temps ? Quel message envoyons-nous aux investisseurs de la Grande île ? »
L’expert souligne ensuite un phénomène largement méconnu : la présence discrète d’une importante communauté d’investisseurs malgaches à Maurice. « Les investisseurs malgaches ayant posé leurs valises à Maurice ou utilisant la juridiction financière mauricienne sont nombreux, mais discrets. C’est une tendance qui se confirme depuis plusieurs années déjà. Loin du battage médiatique associé à d’autres investissements, ils acquièrent de l’immobilier, deviennent actionnaires dans des entreprises et firmes – et même dans la santé privée –, effectuent des levées de fonds à partir de notre territoire. Ils utilisent leurs passeports français. » C’est un écosystème économique souterrain, mais solide que Maurice risque de fragiliser par ses décisions hâtives, prévient-il.
La crise malgache expose les tensions inhérentes à la position de Maurice. En acceptant l’atterrissage du jet privé, Maurice a risqué de paraître alignée avec l’ancien régime. Pour bien saisir l’ampleur de cet embarras, il faut revenir quelques mois en arrière. En mai dernier, Andry Rajoelina accueillait les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de la Commission de l’océan Indien. Le Premier ministre mauricien Navin Ramgoolam y participait. L’invité de marque était le président français Emmanuel Macron.
En août, Madagascar était le pays-hôte du sommet de la Southern African Development Community, avec Navin Ramgoolam présent. Andry Rajoelina venait d’être conduit à la présidence du bloc régional pour un an. Et voilà que quatre mois plus tard, Maurice accueillait les proches collaborateurs de ce même régime, alors qu’il s’effondrait.
En gelant les comptes de Mamy Ravatomanga, Maurice envoie un signal à la nouvelle administration malgache, mais au risque de refroidir des investisseurs qui ont longtemps participé à la vie économique de l’île. C’est un équilibre précaire, où chaque décision comporte ses propres conséquences. Pour le gouvernement mauricien, le retour au pays du Premier ministre Navin Ramgoolam devrait apporter des clarifications. Notamment sur le fonctionnement de Jet Prime, la filiale d’Airports Holdings dédiée aux voyages en jet privé.
Reste la question : comment Maurice naviguera-t-elle entre ses intérêts diplomatiques, ses obligations légales et sa capacité à accueillir les investisseurs qui, discrètement mais solidement, ont construit une part de son économie ?
Gilbert Noël présent à Plaisance « en [sa] capacité professionnelle »
Son nom a été cité lors de la conférence de presse de Paul Bérenger, mercredi. L’avoué Gilbert Noël explique la raison de sa présence à Plaisance, dimanche dernier : « Je me suis rendu au lounge de Jet Prime en ma capacité professionnelle et personnelle, le fils de Mamy Ravatomanga étant un ami. J’y étais en tant que visiteur uniquement, comme tant d’autres Mauriciens qui y accueillent leurs amis et pairs au pays. Ma présence n’a rien à avoir avec mes fonctions de membre des conseils d’administration de Jet Prime et d’Airport Holdings. »
Ravatomanga, un habitué de Maurice
Des recoupements d’informations révèlent que l’homme d’affaires Maminiaina (Mamy) Ravatomanga est un habitué de Maurice. Il visite le pays mensuellement, en jet privé, depuis plus d’une décennie. Sa fille, son épouse et ses petits-enfants – dont l’un est né dans le pays – sont des résidents permanents.
Sur le plan des affaires, on précise qu’il a effectué des investissements à Maurice et à l’étranger, via des structures financières agréées et réglementées par la Financial Services Commission et la Banque de Maurice.
Fondé en 1990, le groupe Sodiat est considéré comme l’un des leaders de l’économie malgache, avec une vingtaine d’entreprises opérant dans une dizaine de secteurs et employant plus de 4 000 personnes. Selon un document consacré au groupe, les dix secteurs sont : l’automobile, le transport, l’hôtellerie et le tourisme, la distribution, le BTP et la maintenance pétrolière, les médias, la santé, le négoce international et l’import-export, l’agriculture et l’immobilier.
« Depuis sa création, le groupe a su se développer de manière progressive et durable, tout en conservant une gouvernance familiale qui assure son indépendance. Aujourd’hui, avec plus de 4 000 collaborateurs, Sodiat est un acteur majeur de l’économie de Madagascar et joue un rôle clé dans la croissance économique et le développement social du pays », est-il souligné.
La SADC joue le rôle de médiateur
La Southern African Development Community (SADC), dont Maurice et Madagascar sont membres, a exprimé sa volonté de jouer un rôle de médiateur et a approuvé une mission dans la Grande île.
Un sommet extraordinaire, composé des chefs d’État de la Troïka de la SADC, a noté « la nécessité impérieuse de restaurer un climat de sérénité et de promouvoir un environnement propice à un dialogue constructif ». Dans la foulée, cette instance a souligné l’importance de mener sans délai un dialogue pacifique, avec la SADC agissant comme médiateur dans les négociations.
« Le Sommet a approuvé une évaluation complète de la mise en œuvre de la feuille de route de sortie de crise à Madagascar, laquelle sera menée par les États membres de la Troïka avec le concours du Comité des sages, le soutien du Groupe de référence pour la médiation ainsi que celui du Secrétariat de la SADC, afin d’identifier les questions en suspens et de définir les formes de soutien nécessaires pour permettre à Madagascar de mettre pleinement en œuvre les recommandations formulées dans ladite feuille de route », est-il indiqué dans un communiqué du 16 octobre.

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