Accumulant des pertes depuis plusieurs années, de plus en plus de compagnies sucrières sont au bord du précipice. Si Bel Air Agricultural et la Compagnie de Beau-Vallon qui, avec 3 500 hectares est une des principales du pays, se trouvent dans l’obligation de dégraisser les effectifs, elles ne peuvent le faire pour des raisons légales. Tout comme de nombreuses autres. Ainsi, des réformes drastiques sont demandées pour la survie du secteur.
Constat de Michael Rountree, directeur général de Bel-Air Agricultural Ltd : « Nous opérons à perte depuis quatre ans. D’autres parviennent à compenser leurs pertes par la diversification de leur portefeuille d’activités. Ce n’est malheureusement pas notre cas en raison de plusieurs contraintes géographiques et économiques. »
Compagnie de taille moyenne, elle possède des terres dans le Sud, dans une région peu développée. « Si nous avions pu convertir une partie de nos terres pour vendre des lots résidentiels, nous l’aurions fait. »
Le fait est que ces terres trouvent difficilement preneur par manque d’intérêt pour cette partie de l’île. En sus, cela coûte cher d’aménager des espaces résidentiels et des routes et d’étendre le réseau du CEB et de la CWA vers ces terrains.
Opérer à perte
Comme toutes les autres, Bel-Air Agricultural Ltd fait pousser de la canne à sucre à perte. Alors que le seuil de rentabilité est de Rs 16 000 par tonne de sucre, les planteurs ne reçoivent que Rs 8 700 par tonne en 2018. Cette année, ils ne récolteront que Rs 9 300 par tonne. Donc, très loin du chiffre qui permet de renouer avec les profits.
L’option de diversification agricole est la plus viable pour Bel-Air Agricultural Ltd, afin de limiter ses pertes, est de cultiver la pomme de terre, la carotte et d’autres légumes vendus sur le marché mauricien. Une option prise par l’entreprise depuis plusieurs années déjà. Cependant, les coûts et les risques qu’entraînent cette stratégie ne la rendent applicable que sur une petite superficie. Sur une plus grande superficie, il n’existe pour le moment aucune alternative à la canne à sucre. Avec 40 employés, les opérations ne sont plus soutenables pour le département de la canne. Il faudrait réduire les effectifs au moins de moitié pour espérer continuer dans cette industrie.
Au niveau de la Compagnie de Beau-Vallon, on appelle au bon sens des syndicats. Sa direction les « invite à négocier les conditions d’une réduction de la main-d’œuvre en raison de la situation critique qui prévaut dans le secteur sucrier ». L’incertitude créée par la Sugar Industry Efficiency Act, entrée en vigueur à une période où le secteur n’était pas encore en crise, retarde la résolution de cette situation de crise. Cette loi préconise l’application du Voluntary Retirement Scheme (VRS) si une compagnie du secteur veut dégraisser son personnel. Néanmoins, la conjoncture économique actuelle ne permet plus aux entreprises d’implémenter le VRS qui était, jusqu’en 2015, financé en grande partie par l’Union européenne dans le cadre de la réforme du secteur sucre.
« Nous ne sommes plus dans la même conjoncture. Les quotas ont disparu, tout comme les prix garantis, explique Jacqueline Sauzier, secrétaire général de la Chambre d’agriculture. Le marché mondial est hyperconcurrentiel avec de gros producteurs comme le Brésil et l’Inde qui font la loi. » Le VRS exige trois mois de salaire par année de service et un lopin de terre équipé des aménités de base pour compenser la perte d’emploi du travailleur du secteur sucre. Même si elles contribuent au Workfare Programme, les compagnies sucrières ne peuvent en tirer bénéfice. C’est uniquement un accord avec les syndicats et les employés qui peut les soustraire de ces obligations. Cependant, les syndicats font la forte tête.
Nous demandons à être traités comme les entreprises de tous les autres secteurs."
Jacqueline Sauzier ajoute : « Nous demandons uniquement à être traités comme les entreprises de tous les autres secteurs. Avec 4 500 employés, le secteur ne peut survivre. Alors que les prix du sucre chutent, les salaires montent davantage que dans les autres secteurs. » Dans l’industrie sucrière, outre la compensation salariale annuelle, tous les quatre ans, des accords sur les négociations collectives, datant de plusieurs décennies, font que les salaires augmentent tous les quatre ans pour refléter l’inflation.
Aux yeux de la Chambre d’Agriculture et des compagnies sucrières, il faut impérativement revoir la masse salariale mais c’est difficile pour un gouvernement d’éliminer les acquis des travailleurs même si c’est tout un pan de l’économie qui est en danger. Cela essentiellement pour des raisons politique. « Il faut enlever le côté émotionnel et irrationnel, lance Jacqueline Sauzier. Tout le monde devrait s’asseoir autour de la table pour trouver des solutions, car certains sont au bord de la faillite. »
Au niveau du gouvernement, l’on botte en touche. Lors de la Private Notice Question du 18 juin dernier, le ministre de l’Agro-industrie, Mahen Seeruttun, a indiqué que le gouvernement attend le rapport de la Banque mondiale sur l’industrie cannière qui sera rendu public en mai 2020 pour voir plus clair. Le secteur compte environ 80 compagnies ayant plus de 10 hectares (29.5 arpents). Cinq d’entre elles (Terra, Omnicane, Medine, Alteo, ENL) dominent largement et ont beaucoup diversifié leurs opérations (production d’électricité, Smart City, hôtellerie, centres commerciaux…).
Toutefois, leur cluster sucre va très mal. Avec des pertes de Rs 153 millions pour l’activité sucre pour l’année financière 2018 comme arrière-plan, Medine ferme son usine de production de sucre. Omnicane, Terra et Alteo sont les seuls qui en produisent encore. En 2018, le segment sucre et éthanol d’Omnicane a accusé des pertes de Rs 365,8 millions contre des pertes de Rs 318,2 millions l’année d’avant alors que le cluster canne d’Alteo a enregistré des pertes opérationnelles de Rs 271,9 millions pour l’année dernière.
« Après des années de déni, une pression continuelle sur le prix du sucre et un manque de coopération entre les différentes parties prenantes, la réalité économique nous a finalement rattrapés », commente René Leclézio, président de Medine, dans le rapport financier de 2018. Dans le rapport annuel du groupe pour 2018, Arnaud Lagesse, président d’Alteo, plaide pour « une réforme en profondeur de l’industrie cannière, autrefois considérée comme pilier de l’économie mauricienne, qui est la clé de sa survie à long-terme ».
Superficie sous canne à sucre : Baisse de 29 670 hectares en 30 ans
La superficie consacrée à la canne à sucre a diminué de 4,6 %, passant de 49 974 hectares en 2017 à 47 678 hectares en 2018. Le rendement moyen a diminué de 11 %, passant de 74,31 tonnes par hectare en 2017 à 66,16 en 2018. Dans les années 1987, 77 348 hectares étaient sous culture de la canne à sucre. L’année ensuite, cela a baissé par 600 hectares. En 1990, c’est 76 200 hectares qui étaient sous la culture de la canne à sucre. Dix ans plus tard, soit dans les années 2000, ce sont 73 147 hectares de terre qui étaient sous la canne. En 2010, il n’y avait plus que 58,755 hectares sous la canne à sucre.
Baisse constante des prix
Pour la coupe 2019, les planteurs recevront Rs 9 300 pour la tonne de sucre. En y ajoutant la prime pour la mélasse et la bagasse, le petit planteur arrive à Rs 13 000 et le planteur « corporate » à Rs 12 000 la tonne. L’usinier reste à Rs 9 300 la tonne
Toutefois, les petits planteurs recevront Rs 25,000 par tonne de sucre sur les premières 60 tonnes produites exceptionnellement pour la coupe 2019 comme annoncé dans le dernier Budget le 10 juin dernier. Le gouvernement décaissera Rs 11,000 la tonne des fonds publics comme compensation.
Crop Year | Ex-Syndicate Price (Rs tonne de sucre) |
2009 | Rs 14 612 |
2010 | Rs 13 536 |
2011 | Rs 16 020 |
2012 | Rs 17 573 |
2013 | Rs 15 830 |
2014 | Rs 12 694 |
2015 | Rs 13 166 |
2016 | Rs 15 572 |
2017 | Rs 11 000 |
2018 | Rs 8 700 |
2019 | Rs 9 300 |
Devesh Dukhira : «Pas de surplus prévu pour la campagne 2019/20»
Le prix du sucre roux destiné au raffinage se vendrait à US$ 260 la tonne, Rs 9 464 en ce moment alors qu’avant 2009, quand le pays obtenait le prix garanti sous le Protocole Sucre, la tonne se vendait à EUR 523,70, Rs 21 471 soit environ le double.
Devesh Dukhira, Chief Executive Officer (CEO) du Mauritus Sugar Syndicate (MSS) indique que le prix continuera à fluctuer. Déjà, on anticipe qu’il n’y aura plus de surplus global pour la campagne 2019/20 tandis qu’un déficit est prévu pour la prochaine année.
Au départ, combien se vendait la tonne de sucre mauricien sur le marché mondial ?
Avant 2009, la plupart de nos livraisons de sucre étaient destinées au marché européen, et nous obtenions le prix garanti sous le Protocole Sucre, soit EUR 523,70 la tonne pour le sucre roux destiné au raffinage. Les sucres spéciaux étaient vendus avec une prime additionnelle sur ce prix garanti. Ce prix a néanmoins baissé depuis la réforme du régime sucrier en Europe, déclenchée en 2006, pour atteindre EUR 335 la tonne en 2009, avant qu’il ne soit entièrement libéralisé.
Il se vend à combien maintenant ?
Le prix moyen du sucre blanc en Europe, depuis le début de l’année commerciale octobre 2018/septembre 2019 à ce jour, est de EUR 316 la tonne. Sur le marché mondial, le sucre blanc se vend actuellement à environ US$ 315-320 la tonne sur une base FOB Port-Louis.
Depuis quand le prix du sucre a commencé à chuter ?
Le cours sucrier mondial est volatil et fluctue, selon les conditions du marché. Depuis début 2017, en anticipation d’une hausse importante de la production globale en 2017/18, il a baissé d’une façon vertigineuse, des US$ 550 la tonne pour atteindre US$ 350 en fin d’année, soit de plus de 40 %. Il ne s’est pas amélioré depuis.
Quant au prix européen, il s’est rallié au cours mondial depuis la fin des prix garantis en 2009 et il est même descendu en dessous après la libéralisation des quotas en octobre 2017.
Pourquoi cette chute dans le prix du sucre ?
Comme pour toute commodité, le prix fluctue selon l’offre et la demande : il subit une baisse en cas d’excédent à l’échelle globale, et à l’inverse, une hausse en cas de déficit.
Comment est-ce que Maurice peut faire face à cette chute ?
Le sucre étant une commodité, nous subissons les baisses de plein fouet en l’absence de filet de protection. Elles peuvent être atténuées par des ventes des sucres à valeur ajoutée, tels les sucres spéciaux. Depuis la libéralisation du marché européen en 2017, nous faisons néanmoins un arbitrage pour chaque récolte en choisissant la destination la plus rémunératrice pour le gros de nos ventes.
Est-ce que le prix pourra connaître une hausse ?
Oui, le prix continuera à fluctuer. Déjà, on anticipe qu’il n’y aura plus de surplus global pour la campagne 2019/20 tandis qu’un déficit est prévu pour la prochaine année. Cette conjoncture devrait faire remonter le cours sucrier mais la hausse est freinée actuellement par l’accumulation des stocks sur les deux années précédentes. Nous pourrons nous attendre à une amélioration jusqu’à la fin de cette année, ou l’an prochain, dépendant de l’évolution des conditions climatiques parmi les principaux pays producteurs.
Comment se pratique le prix du sucre sur le marché mondial actuellement ?
Le sucre blanc se vend actuellement à US$ 312 la tonne alors que le sucre roux destiné au raffinage se vendrait à US$ 260 la tonne. Soit à des niveaux insoutenables pour tous les producteurs sucriers au monde.
Devanand Ramjuttun : « Les employés de l’industrie sucrière inquiets »
Devanand Ramjuttun, négociateur du Joint Negotiating Panel de l'industrie sucrière, souligne que les travailleurs sont inquiets par rapport à la situation qui évolue dans ce secteur. Il dénonce le fait que certains employeurs font couper leurs cannes par les saisonniers à la place des laboureurs. D’ailleurs, il indique que la coupe manuelle est abandonnée par certains employeurs dans le Sud, car la main-d’œuvre est chère. Ils préfèrent donc opter pour des machines
Devanand Ramjuttun ajoute que la rémunération des travailleurs a drastiquement diminué. « Les laboureurs attendent la coupe pour travailler plus que d’habitude. Ils sont inquiets d’autant qu’ils attendent toujours le nouveau mécanisme envisagé par le gouvernement. » Il déplore aussi le fait que la négociation collective avec quelque 24 compagnies n’avance pas. « Les employés n’ont reçu aucune augmentation depuis janvier 2019. »
Quant au VRS, Devanand Ramjuttun ne comprend pas la position des compagnies sucrières. « Il y avait le VRS, en 2001, qui concernait 8 000 travailleurs. La Banque de Maurice avait accordé un ‘bridging loan’ de Rs 3 milliards avec la baisse du prix du sucre de 36 %. Actuellement il y a 2 500 à 3 000 laboureurs permanents et je ne comprends pas pourquoi on ne peut venir avec le VRS. » Il soutient que ces compagnies font des Integrated Resort Scheme et des Smart Cities avec les exemptions obtenues. Il estime qu’il faut accorder le VRS aux 4 500 laboureurs et artisans.
En réalité, ce n’est qu’une petite partie des compagnies sucrières qui a pu diversifier dans d’autres secteurs d’activités. Quant au VRS, l’Union européenne n’accorde plus de soutien financier avec, pour résultat, que les compagnies sucrières doivent porter tout le fardeau.
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