Live News

Cimetière marin de Souillac : mémoire vive de l’île Maurice

Le cimetière marin de Souillac est un site de mémoire.
Publicité

Lieu emblématique pour certains, le cimetière marin de Souillac, qui se trouve en fait à Surinam, figure parmi les plus anciens du pays. Des personnalités diverses y reposent, dont des marins et les premiers bâtisseurs de la Savanne.

Le cimetière marin de Souillac, plus qu’un simple lieu de repos éternel, est un portail vers le passé, niché non loin des vagues à Surinam. Ici, chaque pierre tombale, chaque inscription, est une fenêtre ouverte sur des vies jadis vécues, sur des époques révolues. En déambulant parmi les sépultures, on peut presque entendre l’écho des voix d’autrefois, racontant des histoires de la colonisation française et anglaise. Les épitaphes les plus anciennes, usées par le sel et le vent, sont des récits gravés dans la pierre, des témoignages de l’histoire mauricienne.

marie
Marie Claude Antoine Marrier, Baron d’Unienville.

Sanctuaire silencieux, le cimetière marin de Souillac se dresse comme un gardien des souvenirs sur les rivages de l’île. Ici, le passé tumultueux du pays se révèle à travers les tombes de ceux qui ont été attirés par son charme exotique, venus de contrées lointaines et diverses, pour finalement trouver le repos éternel sous son ciel azur.

En parcourant les lieux, on découvre l’empreinte indélébile des premiers hommes qui ont foulé le sol mauricien, des bâtisseurs de l’île, ayant contribué à façonner l’histoire et la culture mauriciennes. Outre Robert Edward Hart, écrivain et poète mauricien né en 1891 et mort en 1954, d’autres dignitaires reposent dans ce cimetière, tels que Marie Claude Antoine Marrier Baron d’Unienville, plus connu sous le nom de Baron d’Unienville. Il a été capitaine de vaisseaux de la marine royale de France, né à Sarrebourg en 1766, et décédé à Maurice en juillet 1851. 

C’est le Baron d’Unienville qui a créé les premières archives du pays, selon l’écrivain Philippe La Hausse de La Louvière. Sa contribution inestimable est un héritage qui nous permet de plonger dans les profondeurs de notre identité et de l’histoire de notre île. Sa tombe est classée comme monument national et sa mémoire sera honorée lors de la Journée des archives, observée ce dimanche 9 juin (voir plus loin).

Perché sur une dune, le cimetière marin de Souillac se distingue par sa douce proximité avec l’océan, dont les vagues s’étendent à l’infini, conférant au lieu une atmosphère sereine plutôt que sombre. La mer, souvent agitée, grignote inlassablement le rivage, malgré les rochers et gabions qui peinent à contenir sa fougue. Mais ces forces naturelles ne perturbent pas la tranquillité des âmes qui y reposent, bercées éternellement par le rythme apaisant des flots.

gada
Gada Schaub-Condrau s’oppose au projet de réhabilitation du ministère de l’Environnement.

Dans ce havre de paix, le temps semble suspendu, et la sérénité enveloppe le cimetière à chaque instant. Seules les cérémonies funéraires et le travail discret des fossoyeurs viennent ponctuellement animer ce lieu de mémoire.

Jogging track

Cependant, le projet du ministère de l’Environnement, qui envisage de lancer des travaux de réhabilitation au cimetière marin de Souillac, soulève des interrogations et des inquiétudes. Une demande de permis d’évaluation d’impact sur l’environnement (EIA) a été déposée récemment. Les passionnés d’histoire et du patrimoine se sont ainsi rapidement mobilisés pour protéger l’authenticité du site face à sa « dénaturation » potentielle, avec l’aménagement de grillages, d’une piste de jogging et de lampadaires proposés par le ministère de l’Environnement. Ils craignent que ces changements ne viennent altérer l’essence même du cimetière marin. 

Gada Schaub-Condrau, instigatrice d’une lettre de protestation envoyée aux autorités concernées, s’oppose à ce projet. Elle bénéficie du soutien de nombreux historiens, écrivains et amoureux de la nature, qui partagent un respect commun pour la nature et le patrimoine.

Si Gada Schaub-Condrau reconnaît l’importance et la nécessité de la restauration des gabions pour la protection de la zone côtière qui longe le cimetière, elle conteste tous les autres aménagements proposés par le ministère de l’Environnement. « Ce cimetière est très ‘sauvage’ et pittoresque. Il est particulier par son aménagement sur des dunes en face de la mer et par ses nombreux arbres et fleurs. Tout ce qu’on ajoutera fragilisera la dune. Un grillage coupera l’accès direct à la plage et à la mer, et gâchera certainement la vue », dit-elle. 

cimitiere
Plusieurs personnalités ayant marqué l’histoire du pays reposent au cimetière de Souillac.

De plus, pour elle, aménager un parcours de jogging le long d’un cimetière, accessible la nuit, est une idée saugrenue. « Avec toutes les superstitions qui existent à Maurice, je ne vois pas qui ira faire du jogging le long du cimetière en soirée », ironise-t-elle.

Gada Schaub-Condrau est en faveur d’un tourisme qui valorise le patrimoine mauricien. Le cimetière marin date de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècles, où reposent les premiers bâtisseurs du village de Souillac, ainsi que de nombreux marins, rappelle-t-elle. Le cimetière s’inscrit ainsi dans l’histoire de ce village pittoresque, avec le Jardin Telfair, le Batelage et les autres infrastructures qui le rendent si authentique. Une histoire qui pourrait se retrouver dans les manuels scolaires et que toute la population gagnerait à connaître, selon elle. « L’histoire peut être riche si elle est racontée et illustrée », affirme Gada Schaub-Condrau, en soulignant que le cimetière a inspiré de nombreux peintres.

Le cimetière marin se distingue par ses caveaux familiaux ceinturés de murets bretons, témoins d’une tradition architecturale qui traverse les âges. Bien que l’érosion du temps et l’assaut incessant des vagues aient estompé les inscriptions sur de nombreuses sépultures, Gada Schaub-Condrau considère que la patine du temps confère au lieu son caractère unique. Selon elle, restaurer ces vestiges ne serait pas essentiel, car c’est dans leur état naturellement altéré qu’ils racontent l’histoire du cimetière marin. Préserver leur état actuel, c’est conserver l’âme du lieu ; toute modification risquerait d’en altérer l’essence même.

Lieu historique à découvrir

livre
Le livre « Souillac, village historique et cimetière marin » évoque la riche histoire de cette région.

« Les premières familles qui ont développé le district de la Savanne sont enterrées dans le cimetière marin de Souillac », précise l’écrivain Philippe La Hausse de La Louvière. Co-auteur du livre « Souillac, village historique, cimetière marin », il considère qu’il est impératif de conserver le site en tant que patrimoine national en raison de sa valeur historique indéniable.

Le cimetière fait partie intégrante de la côte, et les familles qui ont construit cette partie du pays y reposent, ajoute-t-il. « Il est important de ne pas dénaturer le cimetière en y installant une clôture. C’est un lieu qu’il faut préserver », insiste-t-il. 

L’écrivain considère ainsi que l’endroit est propice aux visites et aux balades, que ce soit le long de la côte ou à l’intérieur du cimetière. « Avec la mer et la rivière à côté, c’est un endroit à découvrir pour tous », ajoute-t-il.

C’est un patrimoine historique qui risque d’être mis en péril si les autorités vont de l’avant avec le projet, prévient Arrmaan Shamachurn, président de SOS Patrimoine en Péril. Leurs réserves et préoccupations concernant les travaux envisagés ont été envoyées aux autorités concernées.

Conformément à la nouvelle loi sur l’environnement, l’ONG a demandé au ministère de l’Environnement de réaliser une « Visual Impact Assessment » et une « Heritage Impact Assessment » afin de déterminer si les travaux auront un impact positif ou négatif sur la valeur historique du site. Cela ne figure pas dans la demande d’EIA qui a été présentée récemment, fait-il remarquer.

Ce qui le turlupine, cependant, c’est que le ministère de l’Environnement se retrouve juge et partie, car c’est ce ministère qui a proposé le projet. « L’exercice devrait se faire par une instance indépendante », souligne-t-il. Il se demande aussi si une piste de jogging sera appropriée à cet endroit. « Est-ce que les structures qu’on propose d’installer vont résoudre le problème d’érosion de la côte ? » demande-t-il encore. Il est cependant en faveur d’une restauration et du rehaussement du muret de pierre entre le cimetière et la plage pour mieux protéger les tombes.

« Jogging Track » : aberration pour certains, bénéfique pour d’autres

Les avis divergent concernant les travaux que propose le ministère de l’Environnement. Certains sont contre, tandis que d’autres estiment que ce sera une bonne chose pour les habitants.

« C’est aberrant qu’on ait songé à faire une ‘Jogging track’ le long du cimetière. Est-ce qu’il manque de la place dans la région pour un tel projet ? » s’insurge Rosy Gounden. Habitante de Souillac depuis son enfance, elle est indignée que quelqu’un ait pu songer à un tel projet. « C’est vrai que les morts ne sont plus, mais on ne peut pas les déranger dans leur repos éternel. C’est un lieu de recueillement pour ceux qui viennent rendre visite à leurs proches défunts », dit-elle. 

Rosy Gounden estime qu’il aurait dû y avoir des consultations avec les habitants avant de faire une demande d’EIA. « Quand on va au cimetière, ce n’est pas seulement pour voir les proches disparus, mais aussi pour profiter du silence et se laisser bercer par le chant des oiseaux et le bruit des vagues pour faire son deuil. »

Pour elle, le parcours de santé proposé n’est pas indispensable, surtout le long du cimetière. « Il y a d’autres sites aux alentours pour de telles activités », fait-elle remarquer. Elle affirme que, comme elle, nombreux sont ceux qui ne sont pas d’accord avec ce projet, selon le sondage informel qu’elle a mené dans son entourage.

Patrick Perne, un autre habitant de la localité, ajoute qu’il faut respecter les morts. Il estime que la quiétude des lieux ne sera plus s’il y a un parcours de santé à cet endroit. Ceux qui sont en deuil ont besoin de calme et de tranquillité, insiste-t-il. 

« Il est bon d’avoir des parcours de santé afin que les personnes puissent pratiquer une activité physique pour être en forme. Mais le faire le long du cimetière n’est pas approprié », avance-t-il.

D’autres habitants rencontrés à proximité du cimetière marin de Souillac ont préféré, pour leur part, ne pas faire de commentaires. Certains sont néanmoins en faveur d’un tel projet et pensent que les lampadaires qui seront installés offriront plus de sécurité la nuit. « Cela va apporter un plus pour les habitants, car ce sera un lieu où ils pourront pratiquer des activités physiques », lance un homme d’une soixantaine d’années qui n’a pas souhaité s’identifier. 

Les travaux qui seront effectués devraient permettre de mieux protéger le cimetière, avance-t-il. De nombreuses tombes côté mer ont déjà été endommagées, fait-il remarquer. « Il n’y aura pas de problème pour marcher sur le barrage par la suite. »

Le cimetière est bien entretenu, selon nos divers interlocuteurs. Devdass Konaherkanaide ajoute qu’il appartient aussi aux familles des défunts de s’occuper de la restauration des tombes. Il estime que ce cimetière « pieds dans l’eau » est l’un des mieux entretenus. Selon nos différents interlocuteurs, les employés du cimetière ne peuvent toucher aux tombeaux sans l’aval des proches. 

En ce qui concerne les sépultures les plus anciennes, elles ont été « laissées à l’abandon » ou les proches ne sont plus à Maurice. 

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !