Live News

Babita Thannoo : «Que les bourreaux quittent le toit familial et non les femmes battues»

Babita Thannoo, députée de ReA. Anushka Virahsawmy, directrice de Gender Links.

À Maurice, les violences envers les femmes restent préoccupantes. Alors que le monde célèbre, ce mardi 25 novembre, la Journée  internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, députées, ONG et acteurs sociaux insistent sur l’importance de la prévention, de la résilience et de l’accompagnement des victimes. Ils soulignent aussi les limites légales et les difficultés liées au départ du foyer familial.

Pour Babita Thannoo, députée de Rezistans ek Alternativ (ReA), lorsque les violences domestiques à l’encontre des femmes sont avérées, ce sont les bourreaux qui doivent quitter le toit familial, et non les victimes. Son analyse intervient à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, qui sera célébrée le mardi 25 novembre.

Dans le sillage du lancement, ce lundi 24 novembre, de la campagne du ministère de la Femme sous le thème « Fam, to pa zis enn viktim, to enn sanzman », la députée porte un regard sans complaisance sur une problématique de plus en plus récurrente à Maurice. Pour Babita Thannoo, cette initiative est « un vibrant appel à la résilience et à la transformation de ces victimes afin qu’elles ne soient plus définies par les violences subies, mais par leur capacité à se tenir debout ».

« Il y a une recrudescence de violences envers les femmes et le gouvernement se pose des questions. Au sein du Gender Caucus, une émanation du Parlement, nous menons une lutte pour contrer cette problématique sociétale », souligne la députée. Selon elle, l’une des causes de ces violences découle du capitalisme et de son impact sur les familles, soulignant la nécessité de repenser les indicateurs sociaux. « Le bien-être d’une société ne se mesure pas par le Produit intérieur brut (PIB), mais par un indice du bonheur et de la capacité à se sentir bien dans sa peau », ajoute-t-elle.

Pour la députée, « l’accent doit être mis sur les moyens de se sentir bien dans sa peau. L’objectif n’est pas d’accumuler la richesse, mais de valoriser des indices sociaux comme la santé, l’entraide et l’éducation ».
Babita Thannoo plaide également pour lever les tabous et veiller à l’application des lois existantes, comme le Tenancy Order, qui garantit le droit légal d’occuper son logement en cas de violences domestiques, ou l’Occupancy Order. « Trop souvent, ces lois ne sont pas appliquées, car les dossiers sont mal ficelés par la police et les magistrats se basent sur le contenu pour trancher. Il faut militer pour que ce soient les hommes, les bourreaux, qui quittent le foyer et non les femmes battues, car une femme hors de son logement peine à tout reconstruire, surtout financièrement ».

Le projet de loi vise l’inclusivité et entend renforcer la protection des femmes battues.

La députée rappelle que le Bhoutan, pays enclavé au cœur de l’Himalaya entre l’Inde et la Chine, est reconnu pour sa culture singulière et sa politique axée sur le « Bonheur National Brut » (BNB) plutôt que sur le PIB. Contrairement aux pays nordiques, dont le bien‑être repose essentiellement sur la richesse, le Bhoutan privilégie d’autres facteurs, notamment l’écologie et le bouddhisme.

Gender Links : le shelter n’est pas la solution

Anushka Virahsawmy, directrice de l’ONG Gender Links, accueille le Domestic Abuse Bill, porté par la ministre de la Femme : « Au nom de toutes les ONG qui militent pour les femmes victimes de violences, je remercie la ministre Ariane Navarre‑Marie pour sa compréhension de cette problématique. Le projet de loi vise l’inclusivité et entend renforcer la protection des femmes battues. »

Elle souligne toutefois que, malgré un taux de réussite de 82 % à Gender Links, un shelter comme Safe Heaven, qui accueille une trentaine de femmes et leurs enfants, n’est pas une solution définitive : « C’est un palliatif, une étape intermédiaire pour permettre aux victimes de se reconstruire avant de reprendre le contrôle de leur vie. »

Le bien-être d’une société ne se mesure pas par le Produit intérieur brut.

Pour Anushka Virahsawmy, « même si de plus en plus de femmes osent briser les tabous, ceux-ci restent tenaces : à Maurice, le ratio de violences envers les femmes est de 1 sur 3. Au Safe Heaven, nous accueillons des femmes battues, des victimes de violences sexuelles, entre autres. Elles sont logées et nourries et peuvent travailler. Après un an et demi, lorsque nous estimons qu’elles sont prêtes à retrouver leur autonomie, nous leur offrons la possibilité de reconstruire leur vie familiale et professionnelle ».

La question se pose alors : une fois libres, ces femmes pourraient-elles retourner dans les bras de leurs ex-bourreaux ? « La possibilité existe, mais nous travaillons avec les maris pour assurer une meilleure compréhension et tourner la page sur le passé violent. Cela implique un accompagnement psychologique spécifique. Pour Gender Links, des actions concrètes et mesurables sont nécessaires pour lutter efficacement contre les violences domestiques », conclut Anushka Virahsawmy.

Karousel : accueillir les femmes vulnérables et sans abri

Le concept de Karousel s’inspire directement du Samu Social de France. Il s’agit d’une « Maison d’action sociale », ouverte en journée, sept jours sur sept, offrant écoute et accompagnement social et psychologique aux femmes vivant dans la rue.

Mélanie Valère-Cicéron, présidente de l’ONG Passerelle, détaille le fonctionnement : « Karousel accueille, au centre à Belle-Rose, les femmes sans abri, avec ou sans enfants, leur permet de prendre un bain, de se restaurer et d’accéder à un espace d’initiation à l’informatique grâce à l’aide d’Accenture pour la formation. Elles peuvent ainsi rédiger leurs demandes d’emploi. Le centre dispose également d’une salle de repos et d’un petit salon de massage. Le projet bénéficie du soutien de l’ambassade de France et du ministère du Genre, et joue un rôle d’intermédiaire pour l’orientation des bénéficiaires. »

Karousel comprendra aussi une boutique solidaire où les femmes pourront vendre leurs créations et un studio d’enregistrement social pour diffuser messages et appels à l’aide.

Aujourd’hui, l’ONG Passerelle, qui gère également un centre résidentiel pour femmes battues, accueille 60 femmes et leurs enfants. Elles y sont logées et nourries, tout en ayant la possibilité de travailler, tandis que leurs enfants sont pris en charge dans des crèches ou à l’école sous la supervision du personnel.

16 jours, 16 droits, 16 entreprises

La campagne de sensibilisation se déroule du 25 novembre au 10 décembre 2025, sur une période de 16 jours. Mélanie Valère-Cicéron détaille le principe : « Beaucoup de femmes subissent des violences sans en mesurer pleinement l’ampleur, qu’elles soient verbales, physiques, sociales ou autres. Pendant ces 16 jours, nous visiterons quotidiennement 16 entreprises à travers le pays pour échanger avec les employés, femmes et hommes, et évaluer le degré de violence dans les couples. Chaque participant reçoit un questionnaire, à remplir en toute confidentialité, qui permet de « vider son sac » sur papier. Ce dispositif, appelé Violantomet, inspiré du français violentomètre, offre une mesure quasi exacte de la violence, afin que la police puisse intervenir efficacement et ne plus minimiser les dénonciations des femmes battues. »
Parallèlement, Passerelle, en collaboration avec la haute-commission d’Australie, lance une série de podcasts visant à promouvoir la masculinité positive.

Carole Grimaud, du Collectif Bloom Again : « Savoir dire non et stop »

Pour la directrice du Collectif Bloom Again, la violence domestique touche toutes les sphères de la société et traverse toutes les couches sociales. « Certaines femmes battues subissent ces violences par peur des représailles, et le sujet reste encore tabou en raison du regard de la société et de la famille. Il est grand temps que ces femmes réagissent et disent non, stop, car des ONG sont là pour les encadrer, les épauler et les soutenir », explique Carole Grimaud.

Elle ajoute : « Chaque jour, nous recensons des cas de violences domestiques, qu’elles soient physiques, verbales, sociales ou économiques. Il est crucial que les femmes réagissent, car des solutions existent pour les protéger. »

Faut-il que les femmes battues quittent leur logement avec leurs enfants pour mettre fin à ce cycle de violence ? À cette question, Carole Grimaud précise : « Quitter le toit pour aller où ? Si la femme est financièrement dépendante de son mari, il lui sera difficile de reconstruire sa vie et celle de ses enfants. Certes, il existe des shelters, mais la plupart sont complets. La situation est complexe et il faut le reconnaître. »

Hermione Larcher, compositrice de « Mo silans, mo lakrwa »

« Que mes mots touchent le cœur des femmes battues »

Une chanson engagée pour dire stop aux violences domestiques envers les femmes. Hermione Larcher a laissé parler son cœur pour soutenir celles qui, encore aujourd’hui, craignent de dénoncer leurs bourreaux. « J’ai couché des mots sur papier, car la violence domestique est inacceptable en 2025. J’espère que mes paroles permettront aux victimes de faire entendre leurs souffrances et d’oser, malgré la peur des représailles, dénoncer leurs bourreaux sans crainte », explique Hermione Larcher, compositrice de la chanson « Mo silans, Mo lakrwa », accompagnant la campagne contre la violence envers les femmes.
Cette violence reste-t-elle encore un tabou ? « Elle l’est moins qu’auparavant grâce à l’action des ONG. Trop souvent, le silence tue les femmes battues, qui se cachent derrière le maquillage et subissent parce qu’elles sont économiquement dépendantes de leurs maris. Il est donc essentiel de mettre un frein à cette situation, d’où les mots de ma chanson », répond Hermione Larcher.

Son message est clair : « La femme violentée doit se tenir sur ses pieds, car elle n’est pas une victime passive. Il faut chercher de l’aide auprès des ONG, toujours prêtes à tendre la main. »

Denis Ythier, de Gender Links : « Les hommes ne sont pas supérieurs »

Pour Denis Ythier, il est crucial que les hommes comprennent qu’ils ne sont pas supérieurs aux femmes. « Il faut instaurer le respect mutuel. Le problème vient du fait que certains hommes reproduisent les violences qu’ils ont subies ou observées dans leur jeunesse. Cette culture s’est installée, et trop souvent, la femme n’a pas le droit de s’exprimer ; si elle réagit, l’homme la fait taire. C’est pourquoi les hommes ne doivent pas se croire supérieurs », souligne-t-il.

Il ajoute : « La violence doit être réprimée de manière adéquate. Je m’interroge sur l’éducation nationale : y a-t-il une vraie sensibilisation à la violence domestique ? Non. Existe-t-il un protocole à suivre en cas de menace ou de soupçon ? Que faire dans ces situations ? C’est un mal de société qui demande de la rigueur et un cadre légal sévère, mais qui, jusqu’ici, n’est pas suffisamment accompagné. »

Y a-t-il du laxisme du côté des autorités ? Denis Ythier nuance : « Je ne parlerais pas de laxisme, mais d’un décalage entre l’ampleur du phénomène et les mesures qui devraient l’accompagner en amont, plutôt qu’en aval. On hésite à appeler un chat un chat. Je conseille aux femmes de rester attentives aux tout premiers signes de violence et de réagir rapidement. »

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !