Le 60-0 de novembre 2024 devrait être le dernier de l’Histoire de Maurice. Si tout va selon les plans, les prochaines élections générales – celles de 2029 (sauf élections anticipées) – devraient se dérouler sous une nouvelle formule qui empêchera tout nouveau 60-0.
La nouvelle réforme devrait passer par l’étape du Parlement l’année prochaine. Samedi lors d’une conférence de presse tenue à son bureau à l’Hôtel du gouvernement, Paul Bérenger, Premier ministre adjoint, a affirmé que c’est une question de mois. Dans un premier temps, une consultation élargie avec le public sera lancée d’ici quelques semaines, voire quelques jours, mais déjà le Premier ministre, Navin Ramgoolam, et Paul Bérenger sont d’accord sur une formule, à une petite nuance près.
« On va amener la réforme électorale le plus vite possible, c’est-à-dire en quelques mois », a-t-il déclaré, insistant sur l’urgence de cette mesure par rapport aux réformes constitutionnelles plus larges, qui seront traitées ultérieurement. Cette déclaration intervient dans un contexte où la coalition au pouvoir, emmenée par le Parti Travailliste (PTr), et incluant le MMM, Rezistans ek Alternativ (ReA) et Nouveaux Démocrates (ND), s’est engagée à moderniser les institutions mauriciennes.
Pour comprendre l’enjeu, il convient de rappeler les contours du modèle électoral en vigueur depuis l’indépendance en 1968. Maurice compte 21 circonscriptions, où 60 députés (+2 pour Rodrigues) sont élus au scrutin par le « first-past-the-post » (FPTP). Ce système, simple et direct, favorise les partis capables de mobiliser des majorités locales, mais il est complété par le Best Loser System (BLS), un mécanisme correctif unique au monde. Ce dernier permet d’ajouter jusqu’à huit « perdants les meilleurs » : quatre sur la base de critères communautaires (hindous, musulmans, sino-mauriciens, population générale), et quatre supplémentaires pour rééquilibrer les résultats globaux des partis. Ainsi, l’Assemblée nationale peut compter jusqu’à 68 membres, avec une représentation théoriquement équilibrée entre les communautés.
Ce dispositif, bien qu’efficace pour éviter les exclusions massives, est critiqué pour son caractère archaïque et discriminatoire. Les candidats doivent obligatoirement déclarer leur communauté lors de leur inscription, sinon c’est l’exclusion de facto. Ce point fait partie d’un combat mené par Rezistans ek Alternativ depuis belle lurette. Le parti du ministre Ashok Subron veut l’élimination pure et simple de cette obligation.
Le cœur de la réforme annoncée repose sur deux piliers : l’abolition de la déclaration communautaire obligatoire pour les candidats et l’introduction d’une dose substantielle de proportionnelle. Selon les précisions de Paul Bérenger, les 60 sièges FPTP seraient conservés, mais 20 nouveaux députés seraient élus sur des listes partisanes ou d’alliances, soumises par les leaders politiques au commissaire électoral ou à la Commission électorale au moins un délai avant les élections générales. Ces listes, fermées, permettraient une représentation plus fluide des sensibilités minoritaires sans recourir à des critères ethniques explicites. « On va abolir cette nécessité de déclarer sa communauté pour être candidat et aussi injecter une bonne dose de proportionnelle de 20 députés qui viendra s’ajouter aux 60 députés élus par le FPTP », a expliqué le Premier ministre adjoint.
Ce modèle hybride porterait le total des députés à 80 (+ 2 pour Rodrigues), contre 68 maximum (+ 2 pour Rodrigues, mais le chiffre pourrait être porté à 3) actuellement. Il y aurait donc au moins 12 députés de plus. Ces derniers ne seront pas attachés à une circonscription. Ce système ressemble à des systèmes mixtes en usage dans des pays comme l’Allemagne ou la Nouvelle-Zélande, où une partie des sièges est attribuée au scrutin majoritaire et l’autre à la proportionnelle pour corriger les distorsions. À Maurice, les 20 sièges proportionnels viseraient explicitement à « injecter » une diversité sans stigmatiser les communautés, en laissant les partis composer des listes reflétant leurs bases électorales. Les électeurs ne voteraient pas directement pour ces listes ; leur allocation se ferait sur la base des résultats globaux des partis, favorisant ainsi une représentation plus inclusive des petites formations, souvent marginalisées par le FPTP pur.
Sur ce point fondamental, Paul Bérenger et Navin Ramgoolam sont « d’accord », comme l’a souligné Paul Bérenger. Tous deux considèrent le BLS comme un outil « qui a joué son rôle dans le passé mais [qui] est dépassé ». Introduit avant l’Indépendance pour apaiser les tensions intercommunautaires lors de la transition vers l’autonomie, ce système a permis une stabilité remarquable – Maurice est l’une des démocraties les plus solides d’Afrique – mais il est perçu aujourd’hui comme un vestige d’un passé révolu. L’abolition de la déclaration communautaire, en particulier, marquerait une rupture symbolique, alignant Maurice sur les normes internationales de non-discrimination.
La nuance
Malgré cet accord, une « petite nuance » sépare les deux leaders, a admis Paul Bérenger. Alors que Navin Ramgoolam prône une élimination immédiate et totale du BLS, son adjoint plaide pour une approche graduelle. « Navin Ramgoolam pense qu’on peut éliminer le ‘best loser’, mais l’être humain n’est pas toujours rationnel. Dans une communauté en particulier, il y a encore une frayeur », a-t-il argué.
Selon lui, conserver les quatre BLS communaux – ceux alloués sur base ethnique – pour la première élection post-réforme permettrait de rassurer, avant une suppression définitive lors des scrutins suivants. « J’aurais préféré qu’on garde les premiers 4 sur la base communale au moins pour la première élection après la réforme électorale. La nuance est là. Les gens se sentiront à l’aise et on pourra l’éliminer par la suite. Je préfère passer par cette étape. »
Cette divergence est qualifiée de « nuance » plutôt que de « désaccord ». Paul Bérenger ajoute qu’il « n’y a pas de désaccord entre Ramgoolam et moi ni sur la réforme électorale ni sur le ‘best loser’ », appelant d’ailleurs la population à soumettre des suggestions « d’ici quelques jours » via des consultations publiques.
Historique des réformes avortées : tableau comparatif
Cette annonce n’est pas la première tentative de refonte électorale à Maurice. Depuis 2002, plusieurs commissions et rapports ont esquissé des voies alternatives, souvent freinées par des résistances partisanes ou communautaires. Pour y voir plus clair, voici un tableau comparatif des principales propositions, incluant celle de 2025 :
| Année | Processus de réforme | Recommandations principales | Initié par |
|---|---|---|---|
| 2002 | Sachs Commission | Système mixte proportionnel : 62 FPTP, 8 BLS, 30 PR (sièges proportionnels). Abolition partielle des déclarations communautaires. | MMM / MSM (Mouvement socialiste militant) |
| 2003 | Select Committee Report | 62 FPTP + 8 BLS + 30 PR sur base compensatoire, ou parallèle : 62 FPTP + 8 BLS distribués proportionnellement. | Gouvernement (MMM/MSM) |
| 2011 | Carcassonne Report | Listes fermées PR, 60-70 sièges, abolition du BLS. | Parti travailliste |
| 2012 | Sithanen Report | Mixte proportionnel : 62 sièges FPTP, 20 liste PR. | Parti travailliste |
| 2014 | Constitutional Reform Paper | Mixte : 62 FPTP, 16 list PR. | Parti travailliste |
| 2018 | Constitution Amendment Bill | Mixte proportionnel : 62 FPTP, 12 PR, 10 sièges additionnels, abolition BLS. | Alliance Lepep (MSM/PMSD/ML) |
| 2025 | Bérenger/Ramgoolam | Hybride : 60 FPTP + 20 PR (listes partisanes). Abolition déclaration communautaire ; BLS supprimé (nuance : 4 temporaires). | Alliance du changement |
Ce tableau illustre une convergence vers des modèles hybrides, avec une augmentation progressive du nombre de sièges (de 62+ en 2002 à 80 en 2025) et une proportionnelle fluctuante (de 30 % à 25 %).
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