Pendant longtemps, la vitesse était le démon des routes mauriciennes. Il semble que ce n’est plus le cas. La conduite sous influence de la drogue et de l’alcool est en passe devenir le tueur numero un.
Ce glissement du danger est le cœur du problème. Il explique pourquoi nos routes se transforment en zones criminelles où le sort de chacun dépend de l’état dans lequel se trouve l’autre. Depuis janvier, 110 personnes ont perdu la vie dans plus d’une centaine d’accidents mortels. Cela équivaut à une mort tous les trois jours. 2 700 conducteurs ivres et 700 conducteurs sous l’emprise de drogues ont été arrêtés. Derrière ces chiffres, il y a des conducteurs qui prennent le volant sans avoir le contrôle de leur propre conscience, laissant le hasard décider du destin de familles entières.
Quand l’insouciance devient un crime
Le ministre du Transport terrestre, Osman Mahomed, ne se trompe pas lorsqu’il affirme : « L’insouciant est un criminel ». L’insouciance n’est plus un comportement marginal. Elle s’est installée. Elle s’est normalisée. Elle est devenue, à elle seule, un phénomène criminel sur nos routes. Ce n’est plus un symptôme : c’est la maladie elle-même. Le Premier ministre Navin Ramgoolam promet une ligne dure : saisir les véhicules des conducteurs sous influence. C’est une mesure forte, indispensable, qui en dissuadera plus d’un avant de tourner la clé de contact. Mais elle demeure insuffisante face au profil de ceux qui sont déjà sous emprise. Celui qui perd la raison ne craint plus la loi.
Il faut le dire clairement : on ne dissuade pas un conducteur drogué avec un nouvel amendement. On ne raisonne pas un cerveau anesthésié. La sanction après l’accident ne ramènera jamais la victime. Agir après le drame, c’est servir du thé chaud à une famille en deuil : trop tard, inutile, insultant. Si l’on continue à croire qu’une loi votée suffit à sauver des vies, c’est « après la mort, la tisane ». L’enjeu n’est pas de punir après la tragédie. L’enjeu est d’empêcher la tragédie. On arrête le danger, on le neutralise avant qu’il ne tue.
L’impunité gangrène l’espace public
Aujourd’hui, nombre d’automobilistes violent allègrement le code de la route parce que la peur du contrôle a disparu. La présence policière est devenue timide. On voit des voitures garées sur des doubles lignes jaunes à travers étant rarement verbalisées. Des conducteurs plantent leur véhicules sur la « yellow box », obstruant les intersections au mépris total de la fluidité du trafic. On le constate au quotidien même au centre des villes, au vu et au su de tous. Des policiers klaxonnent, parfois sermonnent, rarement verbalisent. Cette scène se répète chaque jour, et elle nourrit un sentiment dangereux : on peut transgresser sans risque.
On peut multiplier les amendements législatifs, durcir le code, renforcer les sanctions : tant que la peur du contrôle fort de la police n’existe pas, la loi n’est qu’une incantation. La répression ne sauvera pas une seule existence aussi longtemps que la police ne sévit pas sans relâche et avec fermeté. Force est de constater que les contrôles actuels sont devenus des rituels presque inoffensifs : deux ou trois policiers aux mêmes endroits, aux mêmes heures, contrôlant souvent les mêmes automobilistes qui, eux, respectent la loi.
Pendant ce temps, les véritables menaces — rodéos urbains, motos sans casque, ou avec des pots d’échappement modifiés pour faire du bruit, des véhicules sans « fitness » ni déclaration, des alcoolisés ou drogués au volant — contournent les points de contrôle avec facilité. Résultat : les fauteurs de troubles roulent libres, nos familles roulent avec la peur. Ce sont eux qui doivent être les premières cibles des contrôles et non des femmes ou des conducteurs qui respectent le code de la route.
Une police de terrain, partout, tout le temps
Si nous voulons sauver des vies et instaurer la discipline, il faut que la police reprenne le terrain. Cela implique des décisions fermes, des moyens renforcés et un changement opérationnel radical. Les Casernes centrales doivent mettre sur pied des dizaines d’équipes mixtes – voire une centaine – regroupant police régulière, SSU et SMF qui vont opérer 24/7 à travers l’île, mais surtout dans les régions où les gens enfreignent le plus le code de la route. Ces équipes doivent être mobiles, imprévisibles, capables de se déployer rapidement. Elles doivent opérer quotidiennement des contrôles simultanés, coordonnés, obligeant tout contrevenant à se heurter à un second, puis un troisième barrage.
Pour les motocyclistes prenant la fuite ou effectuant des demi-tours dangereux pour esquiver les vérifications, il faut des unités motorisées en capacité de poursuite, et non des témoins impuissants. L’objectif n’est pas d’impressionner : il est d’empêcher. Neutraliser immédiatement les comportements les plus létaux : conduite sous influence, vitesse extrême, manœuvres à risque. Réduire drastiquement ce sentiment d’impunité qui constitue aujourd’hui la première cause réelle des morts sur nos routes.
La responsabilité est collective, mais l’action doit d’abord venir des autorités. Il faut une police forte qui agit sans concession ni parti pris. Qui sévit contre tout contrevenant. Qu’il soit le commun des mortels, le plus influent, un élu ou un de ses proches… Un état d’urgence opérationnel de la police s’impose.
Imposer le respect du code de la route et des règles de comportement dans l’espace public, c’est poser la première pierre d’une nation disciplinée et protectrice de la vie. C’est par ces gestes quotidiens que se construit l’autorité de l’État, et que se forge le civisme d’un peuple.
Nos responsables politiques aiment citer le modèle singapourien — sa rigueur, son ordre, sa réussite. Mais Singapour ne s’est pas transformée en championne du respect et de la sécurité par des conférences de presse, des déclarations d’intention ou des appels au bon sens. Elle l’a fait en appliquant la loi partout, tout le temps, pour tout le monde.
Le gouvernement aura-t-il le courage d’assurer l’ordre et la discipline sur nos routes pendant la période de fin d’année en imposant des zones dédiées aux marchands ambulants pour ne pas paralyser les principales artères des villes et des grands villages ?
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