Merci Dev !

À l'étranger, j'ai appris avec un pincement au cœur le décès de Dev Virahsawmy.  Dev a été un de mes premiers « gurus idéologiques », en fait celui de toute une génération de jeunes, dans la mouvance du militantisme « pur et dur ». En tant que jeune reporter, j'étais aussi à un moment donné membre du comité de rédaction de « Soley Ruz », organe du MMMSP (Mouvement Militant Mauricien Socialiste Progressiste) une branche dissidente sur la gauche du MMM. Ce comité de rédaction comprenait entre autres Dan Callikan, Brigitte Masson et Peter Craig. 

Paul Bérenger a une fois déclaré que tout politicien qui n'a pas été initié au Marxisme est un analphabète politique. Au-delà du marxisme-léninisme, Dev Virahsawmy enseignait la variante Maoïste du marxisme. Dans le contexte mauricien, celle-ci consistait à « préparer le peuple » à travers une éducation politique et idéologique soutenue avant d'envisager toute prise de pouvoir. À l'opposé, la gauche traditionnelle avait opté pour la voie des élections en vue de changer le régime régnant. Chimères ou « gauchisme, maladie infantile du communisme » ? (Lénine) 

Étant enseignant, Dev était sans doute subjugué par l'éminent pédagogue, poète et écrivain que fut Mao Zedong, père de la libération et de l'indépendance de la Chine continentale au bout de « la longue marche ». 

Mao avait le don de simplifier les concepts abstraits du marxisme par des mots et des analogies que le simple paysan pouvait comprendre. Il a expliqué, par exemple, le matérialisme dialectique à travers des métaphores imagées : Tout mauvais temps porte les conditions d'un bon printemps, ou encore : il ne faut pas craindre de voir le fruit mûr d'un papayer tomber ; ses graines font faire germer cent autres papayers. Mao a également enseigné le féminisme aux paysans analphabètes en leur faisant comprendre que « la moitié du ciel est porté par les femmes ».

Faire l'éducation des masses en démythifiant les concepts abstraits, Dev Virahsawmy et le MMMSP s'y adonnaient à travers des cours de formation, des écrits, des poèmes. Et cerise sur le gâteau : des concerts de chants engagés avec le « grup kiltirel Soley Ruz » dont Bam Cuttayen, Rosemay, Micheline Virahsawmy, Nitish Joganah, Zul Ramniah, furent le corps et l'âme. 

Il faut aussi retenir de cette époque que l'on enseignait aux militants l'art de la critique et de... l'autocritique, une denrée rare de nos jours. Et aussi, dans la tradition maoïste, il fallait « laisser mille fleurs s'épanouir ».  

C'est vrai que rétrospectivement « la révolution culturelle » ou « le grand bond en avant » n'ont pas été les moments les plus glorieux de la Chine contemporaine, mais l'idée de bousculer d'une part le statu quo et les superstitions étouffantes et de l'autre d'assurer l'autonomie en matière économique, cette idée-là a fait son chemin afin de faire de la Chine une grande puissance économique. 

Merci Dev de nous avoir introduit à un jeune âge à une vision libertaire et humaniste du monde, à décortiquer la société à travers le prisme de « la lutte des classes et non la lutte des races », à raisonner conceptuellement, et non à travers nos tripes et les palabres. 

Merci Dev de nous avoir appris « l'unité des contraires » et comprendre « les conditions objectives et subjectives » à faire la distinction entre « contradictions principales et contradictions secondaires ». 

Merci Dev de nous avoir appris à réapproprier notre histoire et notre langue nationale, sans complexes. 

Tout cet enseignement est d'autant plus d'actualité que certaines puissances néocoloniales ont la prétention de nous faire accroire que notre humanité ne serait pas commune, mais qu'il y aurait des « peuples élus » et des sous-hommes, « les damnés de la terre » pour reprendre Frantz Fanon. Et que nous devrions accepter leur vision et ordre du monde, en fait la logique de leur domination et oppression, et nous en accommoder comme des moutons de Panurge! 

Merci Dev de nous avoir initié à « cette autre vision du monde », à remettre en question le système, à être un rebelle parmi les moutons. 

À Loga et ses enfants, je leur présente, en mon nom personnel et celui du Défi Media Group, nos condoléances émues.