Afrique - Alain Laridon : « Robert Mugabe parti, le destin du Zimbabwe demeure inconnu »

robert_mugabe Robert Mugabe et son épouse, Grace, celle qui a precipité sa chute.

Jusqu’à la récente visite du président déchu, Maurice avait toujours entretenu de bonnes relations avec le Zimbabwe, préférant s’aligner sur les décisions de l’Union africaine et des Nations unies à l’égard de ce pays. Robert Mugabe parti, quelles perspectives ouvrent-elles pour Maurice ?

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Alain Laridon

«C’est une ère de coopération commerciale, d’échanges multilatéraux qui s’offre à Maurice et au Zimbabwe», explique Alain Laridon, ancien ambassadeur mauricien au Mozambique. « Il faut à tout prix que Maurice, compte tenu de ses relations avec le Zimbabwe, passe des accords rapidement avec ce pays, une fois la situation assainie et la démocratie rétablie ».

Pour appuyer ses propos, il rappelle que dans un passé pas trop éloigné, les Zimbabwéennes venaient vendre des produits artisanaux à Maurice. « C’est un pays qui ne nous est pas étranger. Nous savons qu’il servait d’arrière-poste aux militants anti-apartheid de l’ANC durant leur combat contre le régime apartheid de l’Afrique du Sud », fait-il valoir.

S’il renvoie à un régime totalitaire, incarné par un même et seul homme depuis 37 ans, le nom de Robert Mugabe ne doit pas faire oublier le régime raciste de Ian Smith qui avait proclamé la déclaration unilatérale d’indépendance de la Rhodésie du Sud, le Nord est, lui, rebaptisé la Zambie. En 1980, les Anglais accordent l’indépendance à la Rhodésie du Sud, qui devient le Zimbabwe.

Entre 1980 et 1983, une guerre civile oppose les deux mouvements nationalistes ZANU et ZAPU. En 1987, à la faveur d’une modification de la Constitution, Robert Mugabe devient président du Zimbabwe. Il y restera jusqu’à sa démission forcée et provoquée par le « coup d’État » de l’armée.

Comment en est-on arrivé à une telle déchéance de la part de celui qui était considéré comme « un audacieux combattant de la libération panafricaniste », selon les mots de Moussa Faki Mahamat, président de l’exécutif de l’Union africaine ?

Robert Mugabe, jeune.

 

Âge avancé

« Je pense que c’est l’usure du pouvoir, un sentiment de pouvoir absolu et la difficulté de mettre en place sa politique de réformes agraires », fait ressortir Alain Laridon. « Il faut comprendre l’histoire de la Rhodésie, à l’époque de la colonisation anglaise, suivie du régime d’Ian Smith, ensuite l’indépendance.

Lorsque le pays devient le Zimbabwe, la population n’est pas suffisamment formée pour diriger le pays, les Britanniques ne l’ont pas préparée à cela. Ce qui explique que le Zimbabwe a fait appel à l’Île Maurice, entre autre, pour obtenir des enseignants.

Lorsque Mugabe met en place, sa politique de réformes agraires, la grande majorité des terres sont encore entre les mains des Blancs, car en Afrique, c’est la terre qui sert au développement. Il recourt, alors, à des expropriations brutales. Mais, il lui manque la subtilité de Nelson Mandela pour assurer une transition pacifique et démocratique. Je pense que face à autant d’adversités, il a fini par devenir un autocrate, mais il est reste un homme solide et lucide. »

À cause de son âge avancé , 93 ans , Robert Mugabe avait pensé à Grace, 52 ans et son épouse depuis 1996, pour sa succession. Dirigeante de la branche féminine du parti de son mari, elle est une figure très controversée, à cause de son tempérament colérique et son goût immodéré pour le grand luxe, d’où son surnom de ‘Gucci Grace’, en référence à l’enseigne italienne de mode.

Contre l’avis de son mari et pressée de s’asseoir à la place de ce dernier, elle parvient quand même à le pressuriser pour obtenir le limogeage du vice-président Emmerson Mnangagwa, le 6 novembre 2017. Ce dernier était connu pour être à couteaux tirés avec Grace Mugabe. C’est cette décision qui a servi de détonateur à l’intervention de l’armée qui ne souhaitait pas que la toute-puissante épouse de « Bob » Mugabe assume le pouvoir.

Futur du Zimbabwe ?

Est-ce que le départ de ce dernier laisse-t-il entrevoir des perspectives meilleures pour le futur du Zimbabwe ? Rien ne permet de l’affirmer, car Emmerson Mnangagwa, selon des experts de l’Afrique n’incarne nullement l’espoir démocratique, étant lui-même un apparatchik sans « états d’âme » surnommé  « Le crocodile ».

Les élections présidentielles prévues, en 2018, devraient pouvoir donner la garantie que la transition ferait oublier l’ère Mugabe. « Mais, nuance Alain Laridon, pour avoir tellement incarné le rêve de tout un pays pendant 37 ans, Robert Mugabe a certainement mis en place un système qui a servi un peu à tout le monde. Toute alternance devrait reposer sur des personnalités qui n’auront pas  frayé avec ce système, ce qui semble peu possible. »

Un Zimbabwe débarrassé de Mugabe, qui avait du racisme anti-blanc, un thème majeur de sa propagande, risque-t-il de raviver les convoitises pour ses mines ? Le pays possède de nombreuses mines d’or, largement inexploitées. Ses réserves de platine, parmi les grandes de la planète ont, dans le passé, attiré Anglo Platinium et Impala Platinium, deux grosses entreprises, engagées dans l’exploitation de ce métal.

Le pays regorge aussi de chrome, de cuivre, de nickel, de palladium, d’étain et de charbon, affirmait déjà l’International Herald Tribune, en 2008. Mais, c’est l’or qui se présente comme sa plus grande ressource.

Compte tenu de ces réalités, auxquelles personne n’a été préparée, Alain Laridon fait observer : « Le destin du Zimbabwe demeure un grand inconnu, tout sera dans la manière d’opérer la transition. »

 

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