La nouvelle saison cyclonique a récemment été annoncée. Après que la première dépression a été identifiée, la deuxième, Batsirai, qui s’est intensifiée en un cyclone, a tenu en haleine le pays depuis lundi. Dans cette optique, nous reproduisons un article publié par Le Dimanche/L’Hebdo dans son édition du 28 octobre 2012, racontant l’histoire des cyclones ayant dévasté Maurice.
La première dépression de cette année (NdlR., année 2012), Anaïs, a été décrite comme la plus puissante d’un mois d’octobre ! Proches du centre, les vents en mer étaient de 157 km/h avec des rafales de 195km/h. Lors des cinquante dernières années, Maurice a connu pas moins de sept cyclones intenses et dévastateurs. Reportage.
Le dernier grand cyclone qui est passé sur l’île a été Hollanda, en 1994. Un cyclone qui souffle à plus de 200 km à l’heure suscite l’angoisse. Il est la cause d’inondations, de dégâts en raison des vents violents, des éclairs et de la foudre.
Il y a cinquante ans, peu de familles vivaient dans des maisons en dur. Imaginez leur peur à chaque fois que notre île se trouvait sous la menace d’un cyclone. Imaginez leur vulnérabilité face aux forces de la nature. Quand un cyclone s’approchait de Maurice, pas question de dormir à la tombée de la nuit ! On s’affairait à consolider sa maison en bois et en tôle. On posait des rochers etc. sur les toits pour que les feuilles de tôle ne soient pas arrachées et emportées par les vents. On consolidait les fenêtres à l’aide de planches. Si la devanture de la maison était vitrée, c’était une source de souci majeur. Souvent, on fixait des feuilles de tôle sur de telles devantures. On tentait aussi de consolider les parties les plus vulnérables de la maison à l’aide de gros fils de fer ou de câbles.
Souvent, l’intensité des vents cycloniques augmentait dans la nuit. Donc, une fois, tant bien que mal, la consolidation extérieure terminée, on se réfugiait à l’intérieur de la maison et on consolidait ce qui pouvait l’être de l’intérieur. On fixait des planches, on amarrait les poutres sur lesquelles étaient fixées les feuilles de tôle à un poteau pour que le vent ne puisse les soulever. On plaçait aussi des seaux ou des bols çà et là, où le toit coulait.
Puis, on veillait et priait pour que la maison puisse résister à l’oeil du cyclone, quitte à perdre quelques feuilles de tôle.
L’intensité des vents augmentant, la maison en bois et en tôle se mettait à trembler comme une feuille. À l’intérieur, tout le monde fixait le toit. Quand une maison en bois et tôle s’écroulait, cela commençait avec le déracinement des feuilles du toit. Alors, le vent s’engouffrait et les parois ne résistaient pas. Il s’avérait important, dans ce cas, de minimiser l’entrée du vent à l’intérieur de la maison, sous le toit.
Une nuit d'enfer
Imaginez la situation : la nuit tombe. Un couple, avec des enfants en bas âge, est à l’intérieur d’une petite maison en bois et en tôle secouée par des vents de plus en plus violents. Il n’y a pas d’électricité et la pluie tombe sans cesse. L’eau de la pluie s’engouffre de partout. Le sol est inondé et les occupants marchent dans l’eau.
Ces moments angoissants, de nombreuses familles mauriciennes les ont vécus. L’un des plus fameux cyclones dont on se souvient encore est Carol qui dévasta l’île le dimanche 28 février 1960. À cette époque, la majorité des maisons était en bois et en tôle et les dégâts furent considérables. Harold, qui avait une dizaine d’années, en garde quelques souvenirs. « Mes parents et leurs trois enfants, dont j’étais l’aîné, habitaient près du Pont Bourgeois, Port-Louis. Notre maison était en bois et en tôle et consistait en une seule chambre. Le cyclone Carol nous toucha durant la nuit de samedi. Nous n’avions pas de transistor (radio) et nous ne connaissions rien de l’intensité du cyclone. Il souffla durant toute la nuit. Dans la cour, il y avait un grand arbre. Nous eûmes peur qu’il ne s’écroule sur la maison. Au matin, ce fut le calme. Notre maison avait résisté aux rafales ! Tous les habitants sortirent de leurs maisons pour faire un constat », raconte-t-il.
« Mon père alla prendre des nouvelles de sa mère qui habitait non loin de nous. Il emmena mon frère, ma soeur et moi-même avec lui. Le répit fut de courte durée, car personne ne sut que Carol allait faire un retour ! Alors que nous retournions à la maison, les vents se remirent à souffler avec une telle intensité que mon père nous agrippa très fort pour que nous ne soyons pas projetés à terre ou pire. Nous rentrâmes sains et saufs à l’intérieur de notre maison. Mais cette fois-ci, les rafales devinrent si violentes que mes parents finirent par paniquer. Nous quittâmes tant bien que mal la maison pour aller chercher refuge chez un voisin. »
À l’instar d’Harold et de sa famille, beaucoup d’autres personnes furent surprises par le retour de Carol, alors qu’elles étaient à l’extérieur de leurs maisons. Certaines furent blessées par des débris ou des feuilles de tôle.
1960 : la furie de Carol
Le retour de Carol fut destructeur. Les rafales enregistrées furent de plus de 250 km/h en certains points de l’île. On estime qu’elles atteignirent 300 km/h dans certains endroits. Carol emporta tout sur son passage, traversant l’île d’un bout à l’autre. Il y fit une quarantaine de victimes. Le chaos fut total, d’autant que l’île avait été visitée par un autre cyclone, Alix, seulement quarante jours auparavant. Un cyclone moins violent que Carol certes mais qui, comme le disent souvent ceux qui s’en souviennent, prépara le chemin pour que Carol achève le travail qu’il avait commencé. Alix avait secoué et provoqué des fissures, ce qui facilita le travail de Carol pour tout faire s’écrouler !
Le bilan, après le passage de Carol, fut de 39 morts et quelque 70 000 bâtiments entièrement détruits ou sérieusement endommagés. Environ 80 000 personnes furent massées dans les nombreux centres de refuge. L’industrie sucrière, qui venait de subir la furie d’Alix, fut davantage mise à mal, à tel point que la coupe fut réduite de 50 %. Des écoles restèrent fermées pendant des semaines.
Alix fut la quatrième dépression de la saison cyclonique 1959-60. Il faut souligner que jusque-là, Maurice n’avait été visité par aucun fort cyclone depuis quinze ans. Puis, quatre dépressions suivies, quarante jours après, par un cyclone des plus dévastateurs ! Cela explique pourquoi l’île était si mal préparée.
L’ironie, c’est qu’avec huit dépressions, la saison cyclonique 1959-1960 fut relativement calme, en comparaison à la moyenne annuelle qui est de 12. Et de ces huit dépressions, seulement quelques-unes étaient des cyclones tropicaux. Avec la force dévastatrice que l’on sait pour deux d’entre eux.
L’ARRIVÉE DU TRANSISTOR
Comme le souligne le témoignage de Harold, le transistor n’avait pas encore fait son entrée à Maurice. D’autre part, bien que les autorités et les services météorologiques - alors dirigés par Edwin Davy - avaient mis en place un système d’alerte cyclonique depuis 1953, les satellites météorologiques n’existaient pas encore en février 1960. La météo comptait sur les observations des îles et des navires en mer pour suivre et prévoir la marche des cyclones.
Carol institua une nouvelle ère à l’île Maurice. Les maisons en dur remplacèrent progressivement les maisons en bois et en tôle. De son côté, le gouvernement mit en chantier des programmes de reconstruction sous l’égide de la Central Housing Authority. Ainsi, des maisons en dur furent construites un peu partout à travers l’île. Les « cités » firent leur apparition. On assista aussi, au début des années 60, à la mise en place de vastes chantiers de tout-à-l’égout (McAlpine) et de l’autoroute reliant Phœnix à Port-Louis.
Ce fut aussi l’ère du transistor. Jusque-là, les radios avaient été de gros appareils électriques aux formes rectangulaires.
1962 : Jenny
Le 28 février 1962, soit deux ans jour pour jour après le passage de Carol, Maurice subissait la furie d’un cyclone nommé Jenny. Les plus fortes rafales enregistrées furent de 207 km/h. « Les vents endommagèrent l’église Immaculée Conception et provoquèrent l’écroulement de l’école du même nom », se souvient Harold. Plus que l’île Maurice, c’est l’île de la Réunion qui fut frappée de plein fouet par Jenny.
Deux ans plus tard, le 20 janvier 1964, ce furent les rafales de Danielle qui balayèrent l’île Maurice. Les plus fortes rafales enregistrées furent de 219 km/h, soit encore plus fortes que celles de Jenny.
1975 : Gervaise
Maurice connut ensuite une accalmie pendant dix ans, jusqu’à ce qu’arrive Gervaise, le 6 février 1975. Les rafales atteignirent 204 km/h, mais contrairement à Danielle, il frappa le pays de plein fouet et le mit à genoux. Gervaise fut dans la lignée de Carol : dévastateur ! Satish, qui avait treize ans à l’époque, en garde un souvenir vivace.
« Nous étions à sept au sein de la famille. Mes parents partageaient la maison en bois et en tôle avec mon oncle et ma tante. Gervaise secouait la maison comme une feuille. Pendant toute la nuit, avec mon père comme chef de file, nous luttâmes pour que le toit ne soit pas soulevé et emporté. Mon père y avait fixé des cordes et nous tirions dessus de toutes nos forces. Peine perdue. Le vent s’engouffra et arracha plusieurs feuilles de tôle. Heureusement, pas toutes les feuilles et la maison put tenir jusqu’à ce que Gervaise s’en aille », se remémore-t-il.
« Les pluies provoquèrent un torrent de boue et nous eûmes un travail herculéen à faire en termes de nettoyage. C’était en fait le cas du pays entier. Les arbres jonchaient le sol et les poteaux électriques étaient allongés par terre. Je me souviens que des marins étrangers vinrent donner un coup de main pour redresser les poteaux électriques. Quant à l’approvisionnement en eau, heureusement que nous habitions tout près d’une rivière. Pendant plusieurs jours, le paysage ressembla à la célébration d’une grande fête folklorique avec des femmes venant faire leur lessive, tandis que les gosses s’ébattaient joyeusement dans l’eau », ajoute-t-il.
Il est intéressant de lire l’anecdote que François Duchenne raconte dans son livre De Carol à Gervaise à propos du cyclone intense de 1975 : « Dans la nuit du 5 au 6 février, le cyclone Gervaise changea brusquement de cap. Il prit une direction Sud Sud-Ouest et fonça directement sur l’île. Nous fûmes réveillés par les rafales de vents et de pluie contre la maison, ainsi que par le choc des particules diverses qui venaient cogner contre la tôle du toit. À six heures du matin, le cyclone était encore loin au nord, mais les rafales atteignaient déjà plus de 100 km/h…
Papa alla écouter ensuite le bulletin météo de sept heures qui affichait toujours son optimisme de la veille en diffusant presque mot pour mot le même bulletin. Nous apprîmes plus tard que leurs instruments avaient été endommagés et qu’ils ne recevaient plus d’images satellites donnant la position du cyclone. »
Les débats font toujours rage entre lequel de Carol et Gervaise fit plus de dégâts à Maurice. La balance penche en faveur de Carol.
1979 : Claudette
En toute fin de décennie, quatre ans après Gervaise, le pays allait être frappé par un autre cyclone intense. La veille pourtant, tout était d’un calme plat. Les adultes vaquaient à leurs occupations et les enfants jouaient dehors. Comme d’habitude, c’est à la tombée de la nuit que les vents se mirent à souffler de plus en plus fort pour finalement atteindre 221 km/h. Satish, dont la maison en bois et en tôle avait résisté à Gervaise, allait cette fois connaître un sort différent.
« Nous habitions toujours la même maison, mais cette fois nous eûmes moins de chance.Encore une fois, comme quatre ans auparavant, mon père, mes frères et moi-même avons lutté pour protéger ma mère, mes deux sœurs en bas âge. Les vents étaient tellement violents que la maison menaçait de s’écrouler à tout moment. Nous nous sommes tous réfugiés dans la cuisine annexe, la partie qui semblait la plus apte à résister aux rafales. Elle venait de subir une rénovation », poursuit-il.
« Mais plus tard, j’ai dit à mon père que la maison n’allait pas résister et que nous devrions aller nous réfugier chez le voisin dont la maison était en partie en dur. Dehors, il faisait nuit noire. La pluie battait. Pour ne pas être soufflés par les rafales, nous avons rampé dans l’eau et la boue, au milieu des débris, pour finalement traverser la rue et nous réfugier chez le voisin. »
« Dieu merci, personne ne fut blessé, sauf mon frère qui eut une petite entaille au genou. Nous avons passé la nuit assis sous la varangue. Au matin, quand finalement l’oeil du cyclone a traversé, nous sommes sortis dehors pour constater les dégâts. Notre maison s’était écroulée comme un château de cartes ! Seule la cuisine avait tenu. Détail anodin : au milieu des débris se dressait fièrement notre téléviseur qui était un modèle encastré dans un meuble sur quatre pattes. Le meuble l’avait protégé. »
Beaucoup de familles mauriciennes vécurent la même chose. Le bilan après le passage de Claudette fut lourd : 6 décès, 34 blessés et 3 076 sinistrés. L’île fut complètement ravagée, y compris le jardin botanique de Pamplemousses.
On était le 23 décembre 1979. Ce fut un cadeau de fin d’année empoisonné pour Maurice.
1994 : Hollanda
Pendant quinze ans, Maurice fut à l’abri de cyclones intenses, aux rafales meurtrières. L’accalmie prit fin le 6 février 1994 à la formation d’une dépression nommée Hollanda. Elle se transforma en cyclone intense et ravagea l’île le 10 février, avec des rafales atteignant 212 km/h dans certains endroits. Le bilan fut une nouvelle fois lourd : 2 décès, 450 maisons entièrement détruites ou sévèrement endommagées, laissant quelque 1 500 personnes sans abri. Les réseaux d’alimentation en eau et en électricité furent touchés et la moitié de l’île se retrouva sans courant électrique pendant plusieurs semaines. La culture de la canne à sucre fut sévèrement touchée et le gouvernement dut intervenir pour aider à replanter la canne sur au moins la moitié de la superficie totale de l’île. Les dommages s’élevèrent au total à plus de Rs 4 milliards.
Depuis, et cela fait 18 ans, les cyclones intenses ont épargné Maurice. De 1960 à 2012, cinquante ans se sont écoulés. Carol a transformé la physionomie de Maurice et aujourd’hui, les maisons en bois et en tôle sont bien moins nombreuses qu’il y a un demi-siècle. N’empêche qu’il y a encore des familles qui habitent dans des ‘longères’ sur les flancs des montagnes. Sur la côte est de l’île, on peut toujours voir des maisons en bois et en tôle. Pour ces familles-là, les moments angoissants provoqués par un cyclone intense seront les mêmes que ceux ressentis autrefois par d’autres générations.
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