
Le taux de 15 % n’est pas une fin en soi. Selon Sunil Boodhoo, la véritable bataille réside dans la capacité de Maurice à transformer cette contrainte en une opportunité stratégique. Cela suppose un repositionnement clair, une diversification économique, une diplomatie régionale active et une vision élargie des relations avec les États-Unis, précise l’ancien directeur du commerce international au ministère des Affaires étrangères.
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Quels ont été les principaux leviers diplomatiques qui ont probablement été utilisés par Maurice pour faire passer le tarif prévu de 40 % à 15 % ?
Le gouvernement mauricien a misé sur des actions diplomatiques ciblées. Il est rapporté que le Premier ministre a directement écrit au Président Trump en proposant des mesures concrètes visant à équilibrer les échanges commerciaux entre Maurice et les États-Unis. Les discussions avec le bureau du Représentant américain au commerce (USTR) ont aussi été cruciales. Il faut dire que le déficit commercial est frappant. Maurice exporte pour environ USD 250 millions vers les États-Unis, alors que les importations en provenance de ce pays ne s’élèvent qu’à quelque USD 40 millions.
Pour atténuer ce déséquilibre, Maurice aurait proposé d’importer davantage de produits américains. Ce geste a sans doute contribué à détendre les discussions. Il est également important de noter que plusieurs pays africains membres de l’AGOA seront désormais soumis à un taux similaire de 15 %, ce qui laisse penser qu’il s’agit d’un tarif harmonisé pour la région.
Pensez-vous que ce taux de 15 % compromet la compétitivité des produits mauriciens face à ceux d’autres pays africains bénéficiant d’un accès préférentiel au marché américain ?
Il faut relativiser cette situation. Aujourd’hui, très peu de pays bénéficient d’un accès réellement préférentiel au marché américain. Maurice, autrefois exempté de droits de douane sur nombre de ses produits, perd en effet cet avantage. Cependant, il convient de comparer le nouveau taux de 15 % à ceux imposés à nos principaux concurrents.
Le Vietnam est taxé à 20 %, le Cambodge également. L’Indonésie et les Philippines sont à 19 %, tandis que l’Inde subit un tarif de 25 %. Dans ce contexte, Maurice reste compétitif, mais la marge s’est réduite. Une chose est certaine, la concurrence sera plus rude, et les entreprises mauriciennes devront se montrer agiles.
Comment les opérateurs économiques mauriciens peuvent-ils s’adapter à cette nouvelle donne douanière ?
Une refonte stratégique est impérative. Les exportateurs devront réévaluer leurs chaînes de valeur, améliorer la productivité et, si possible, réduire les coûts de production. Cette transition nécessitera une approche structurée et proactive, tant au niveau des entreprises qu’au niveau institutionnel.
Par ailleurs, les importateurs américains ne resteront pas passifs. Ils chercheront probablement à faire partager le poids de ces nouveaux droits de douane. Cela signifie que les exportateurs mauriciens devront, dans bien des cas, ajuster leurs prix pour rester attractifs.
Dans une récente déclaration, le ministre Ramful évoquait des négociations pour un accord de libre-échange (FTA) avec les États-Unis. Quelle est la probabilité que Maurice parvienne à conclure cet accord dans un futur proche ? Quels en seraient les principaux obstacles ?
Maurice tente d’obtenir un accord de libre-échange avec les États-Unis depuis 2008. Cependant, notre taille économique représente un handicap. Environ 95 % de nos importations ne sont pas taxées aux États-Unis, ce qui réduit leur incitation à négocier.
Il serait plus stratégique d’adopter une approche régionale, comme cela a été fait avec l’Union européenne. Un accord continental aurait bien plus de poids. D’ailleurs, les États-Unis ont déjà exploré cette voie, notamment sous Donald Trump, qui avait engagé des discussions bilatérales avec le Kenya. Si l’accord avait abouti, il aurait servir de modèle pour le continent africain.
Il ne faut donc pas se limiter à un cadre commercial. Maurice devrait plaider pour un accord incluant également les investissements, la coopération économique et la sécurité maritime. Ce sont ces éléments qui peuvent réellement intéresser Washington.
Outre le tarif douanier, quelles dimensions de la relation Maurice–États-Unis pourraient évoluer dans les prochaines années, notamment en matière de sécurité maritime ou d’investissements ?
Maurice doit repenser sa relation avec les États-Unis pour qu’elle ne se limite pas aux échanges commerciaux. L’administration Trump fonctionne sur une logique transactionnelle. Il faut donc offrir des éléments d’intérêt stratégique.
La sécurité maritime dans l’océan Indien, par exemple, constitue un axe majeur de collaboration. Si Maurice arrive à insérer cette dimension dans ses discussions avec Washington, cela renforcera la valeur de sa proposition diplomatique et économique.
Le programme préférentiel AGOA expire bientôt. Quel rôle les institutions, comme la MEXA ou l’Union africaine, peuvent-elles jouer dans son renouvellement ?
L’AGOA prend fin le 30 septembre, et il devient urgent d’intensifier le lobbying à Washington. Maurice a toujours été proactif à ce niveau, souvent en partenariat avec d’autres pays africains. Toutefois, il faut rappeler un point crucial. Ce ne sont ni le Président ni l’administration qui légifèrent aux États-Unis, mais le Congrès.
Le véritable levier se trouve donc dans les deux chambres du Congrès. Il est indispensable d’avoir des sénateurs convaincus de l’utilité de l’AGOA pour le continent africain. Cela exige une diplomatie active, notamment via l’African Diplomatic Corps à Washington, pour mobiliser un soutien politique tangible.
Les PME craignent que l’absence d’un accord ou d’une extension de l’AGOA ne compromette davantage un secteur déjà fragilisé. Leur crainte est-elle justifiée ?
Ces craintes sont fondées. Le passage de zéro à 15 % de droits de douane représente un choc pour les exportateurs, en particulier pour les petites structures. Toutefois, les grandes entreprises mauriciennes disposent de marges d’adaptation plus importantes.
Il existe aussi des solutions régionales à exploiter. Maurice et Madagascar peuvent renforcer leur chaîne de valeur intégrée. La Grande île devait initialement faire face à un tarif de 40 %, mais elle a également obtenu un taux de 15 %. Maurice pourrait se spécialiser dans la fabrication de fibres et de tissus, tandis que l’assemblage final serait réalisé à Madagascar, où les coûts sont moindres. Cela permettrait de maintenir la compétitivité régionale.

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