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Fabrice David : «Nous avons opté pour des décisions difficiles quitte à être impopulaires»

Fabrice David est connu pour sa franchise, parfois dérangeante pour certains. Lucide et ferme dans ses convictions, il estime que le gouvernement dirigé par Navin Ramgoolam a fait le choix de prendre des décisions difficiles, au risque de perdre en popularité. 

Vous avez un patronyme connu, est-ce que cela a une importance en politique d’être le fils de ?
Être le fils de James Burty David est à la fois une fierté et une responsabilité pour moi. Mon père a été politicien, député et ministre tout en étant un fidèle lieutenant du Parti travailliste. Il est un symbole de loyauté absolue en politique. Et, dans la circonscription No. 1 où j’ai repris le flambeau laissé par mon père, les habitants parlent encore de lui pour le bien qu’il a fait et, aujourd’hui, je continue le travail pour le développement de la circonscription et le bien-être des habitants avec les mêmes convictions qui habitaient mon père, tout en imprimant ma marque personnelle et en adoptant mon propre style. L’électorat du No.1 m’a fait confiance à deux reprises en faisant de moi leur premier élu en 2019 et en 2024. Je leur suis très reconnaissant et je vais tout faire pour être à la hauteur de cette confiance.

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Vous êtes à votre deuxième mandat.  La pension des élus est contestée... La rue crie !
Les membres du gouvernement que nous sommes restent au plus près des préoccupations et des attentes de la population, et quand la rue crie, nous entendons, nous écoutons et nous agissons. 

Permettez-moi de vous rappeler le contraste entre l’ancien et l’actuel Premier ministre lorsqu’il s’agit des revendications de la rue. Pravind Jugnauth avait affirmé que ce n’est pas la rue qui dicte son choix et le choix de son gouvernement, alors que le Dr Ramgoolam a renversé une décision arbitraire du CEO de la COIREC qui voulait interdire la manifestation publique. Il a demandé au Commissaire de police de permettre le rassemblement citoyen qui pourtant venait contester son propre projet de réforme.

En parlant de cette pension contributive que de nombreux parlementaires mettent en avant, il convient de regarder les faits. La contribution s’élève à 6 % du dernier salaire annuel. Sur dix ans, cela représenterait, dans le scénario le plus élevé, environ Rs 3 millions. En retour, le parlementaire — prenons votre cas, compte tenu de votre jeune âge — percevrait plus d’une dizaine de millions de roupies. Est-il normal de poncer autant l’argent public ?
Poncer l’argent public ? Avez-vous vu comment le gouvernement de Pravind Jugnauth a pillé les caisses publiques pour payer des honoraires de Rs 84,7 millions à une avouée entre 2015 et 2024. Que dites-vous des Rs 287,2 millions versées à Sattar Hajee Abdoula pendant cette même période ? Qu’en est-il des Rs 160 millions de Reward Money versées sur le compte de l’ACP Dunraz Gangadin qui se défend ? Est-ce normal qu’on dépense autant d’argent public pour des proches du MSM ? Et dois-je vous rappeler que le gouvernement MSM a dépensé plus de Rs 5 milliards d’argent public pour espionner tous les citoyens de notre pays ?

Venons-en à votre question. J’ai, certes, le mérite d’être un jeune politicien. Et je dois vous dire honnêtement que j’ai renoncé à une riche carrière professionnelle en France pour faire de la politique à Maurice parce que je veux contribuer à la transformation de mon pays et au bien-être de mes compatriotes. Je viens tout juste de commencer cette mission au sein du gouvernement du Changement. Il est donc prématuré de parler de ma retraite à ce stade.

La réforme de la Basic Retirement Pension (BRP) fait grincer des dents. Même si elle était nécessaire, sans doute aurait-il fallu l’annoncer dans le manifeste électoral de l’Alliance du Changement. Le résultat des élections de novembre 2024 aurait-il été différent ? Votre réaction ?
Comment pouvions-nous l’annoncer dans notre manifeste électoral, alors que nous n’avions aucune idée de l’ampleur des dégâts qui nous attendaient ? Dès sa prise de fonctions, le Premier ministre et ministre des Finances a commandé un audit des finances publiques. Ce travail a abouti au rapport The State of the Economy, déposé à l’Assemblée nationale. Et ce rapport démontre clairement l’héritage économique catastrophique laissé par le tandem Jugnauth/Padayachy. 

Le coût de la Basic Retirement Pension (BRP) est passé de Rs 5,97 milliards en 2010 à Rs 55,4 milliards en 2025, soit une hausse spectaculaire de 828 %. Il faut regarder la vérité en face : si nous n’agissons pas, notre système de pensions s’effondrera. Ce sont nos enfants et petits-enfants qui en paieront le prix. Réformer c’est protéger ; c’est assurer à chaque génération une retraite digne, sans transférer nos erreurs aux générations futures. Refuser cette réforme, c’est choisir la facilité aujourd’hui et l’effondrement demain. Et n’oublions pas que le Premier ministre est venu avec un ‘Income Support’ de Rs 10 000 par mois pour 46 % des personnes qui auront 60 ans à partir du 1er septembre 2025. Cette mesure de transition coûtera Rs 8,7 milliards au cours des cinq prochaines années.

En tant que Junior Minister à l’Agro-industrie, quels sont vos objectifs ?
Je partage la vision du gouvernement et les objectifs du ministre Arvin Boolell, à savoir améliorer la sécurité alimentaire du pays, augmenter la qualité et la quantité de nos productions agricoles et réduire nos importations alimentaires. Cela passe par un soutien plus renforcé à nos agriculteurs, par l’utilisation de systèmes de production respectueux de l’environnement et par la démocratisation des nouvelles technologies agricoles (AgriTech). Il nous faudra investir dans l’irrigation, le stockage, le transport et la connectivité rurale et également encourager l’engagement des jeunes par la formation et le financement.

On parle d’autosuffisance alimentaire, mais cela ressemble encore à un rêve lointain. Des champs de canne sont laissés à l’abandon, la relève tarde à venir, et les incitations à destination des jeunes sont rares. Quelles mesures concrètes proposeriez-vous pour encourager une agriculture assistée, intelligente et orientée vers l’agro-bio ?
Nous sommes autosuffisants en bananes et en volaille pour ne prendre que ces deux exemples. Nous devons être réalistes : nous ne pourrons pas être autosuffisants sur tous nos produits alimentaires. Étant dans une région tropicale, nous ne pouvons pas produire des denrées adaptées aux climats tempérés. Nous avons une superficie limitée et la demande en terres agricoles ne cesse d’augmenter. Il faut donc proposer une transition vers l’AgriTech, l’agriculture verticale et l’économie circulaire dans les systèmes agroalimentaires. L’agriculture intelligente met l’accent sur la précision et l’efficacité en exploitant la technologie pour rendre l’agriculture plus productive. L’agriculture biologique, quant à elle, privilégie les processus naturels et la durabilité, protégeant la santé, les sols et l’environnement en évitant souvent les outils synthétiques. Ces deux approches peuvent être complémentaires dans notre pays. Et je vous rappelle qu’une enveloppe de Rs 800 millions a été votée dans le Budget national 2025/26 pour soutenir les planteurs et éleveurs à travers une panoplie de mesures.

La Land Bank, projet cher au ministre de tutelle depuis plusieurs années, en est où aujourd’hui ? S’agit-il d’un véritable projet en marche ou simplement d’un vœu pieux ?
Des consultations ont été menées auprès de toutes les parties prenantes à ce sujet, à savoir : Landscope Ltd, Rose Belle Sugar Estate, Sugar Investment Trust, l’Irrigation Authority, la Mauritius Cane Industry Authority et le ministère de l’Agro-industrie, de la Sécurité alimentaire, de l’Économie bleue et de la Pêche. L’objectif de cette mesure est de regrouper toutes les terres disponibles sous l’égide des entités gouvernementales afin de se concentrer sur la promotion des activités agricoles. Des statistiques sur l’étendue des terres disponibles ont déjà été compilées et des discussions sont en cours avec un prestataire de services potentiel pour l’acquisition d’un système de banque foncière numérique afin de faciliter les demandes de terres. Des consultations supplémentaires seront menées afin de finaliser la procédure de demande et ainsi permettre au public d’accéder facilement et rapidement aux terres agricoles.

Venons-en au Market Fair de Wooton. Le ministre a parlé d’un important gaspillage d’argent public, tout en affirmant qu’il n’est pas opposé à l’idée de créer des marchés forains répartis dans les quatre coins de l’île. Pourquoi ne pas envisager, dans cette optique, l’organisation régulière de Market Fairs chaque week-end, au bénéfice direct des consommateurs ?
Notre pays est relativement petit, avec un circuit court déjà existant. Seul un certain volume de légumes et fruits frais transite par le National Wholesale Market. Le reste passe, soit par des intermédiaires (vers les hôtels ou les hypermarchés), soit — dans la majorité des cas — directement des planteurs aux consommateurs. Les cultures vivrières et les fruits sont vendus directement lors des foires régionales et des petits bazars. Des discussions vont bientôt débuter pour revoir le mode de fonctionnement du National Wholesale Market, car certaines failles dans la gestion ont conduit à des pertes financières. Un exercice de révision est nécessaire pour corriger certains aspects du modèle existant et des pourparlers devraient bientôt débuter concernant la décentralisation du marché, afin de mieux desservir les différentes régions.

En France, le concept du “plateau du jour” ou “de la semaine” permet aux petits planteurs de vendre directement les produits de leur terroir aux habitants de leur région, sans passer par des intermédiaires. Que pensez-vous de l’adoption d’un modèle similaire à Maurice ?
Le concept du ‘Plateau du jour ou de la semaine’ est en phase avec la vision de l’Agricultural Marketing Bard (AMB) de favoriser un circuit court entre les planteurs et les consommateurs. Permettre aux petits producteurs de vendre directement, c’est valoriser le terroir, améliorer leurs revenus et renforcer le lien entre agriculture locale et alimentation saine. 

Dans le plan initial du National Wholesale Market, il avait justement été prévu un ‘Planters’ Corner’: un espace dédié aux planteurs, où ils allaient pouvoir vendre leurs produits directement aux consommateurs, aux enchérisseurs et même aux revendeurs, sans passer obligatoirement par de multiples intermédiaires. Malheureusement, ce projet n’a pas été poursuivi par le gouvernement MSM qui n’a pas jugé utile de lui accorder la priorité. Nous sommes convaincus qu’un tel espace serait bénéfique à tous les acteurs de la chaîne agricole. Démocratiser l’accès au marché est une condition essentielle pour dynamiser l’agriculture locale et redonner confiance aux petits planteurs.

Passons à la politique : en tant que Junior Minister, quels sont vos projets, car vous avez été jusqu’ici discret ?
Vous faites sans doute référence à ma relative discrétion liée au fait que j’interviens moins souvent au Parlement chaque semaine. Cela s’explique simplement : les Junior Ministers ne posent pas de questions parlementaires et n’y répondent pas non plus. Pour autant, nous avons des occasions d’intervenir, notamment lors du discours-programme, des débats budgétaires et sur tout projet de loi relevant de nos attributions. Quant à mes projets, ils s’articulent autour de quatre axes. 

Lesquels ?
Au niveau ministériel, je travaille aux côtés du ministre Arvin Boolell pour garantir notre souveraineté alimentaire et bâtir une nouvelle économie bleue. Au niveau parlementaire, j’assume pleinement mes fonctions en intervenant lorsque cela est nécessaire et en apportant tout mon soutien au gouvernement. Au niveau de ma circonscription, en tant que député, je travaille à développer les localités, protéger l’environnement et améliorer concrètement le quotidien des habitants. Et, finalement, au sein du Parti travailliste, j’assume également mes responsabilités comme membre du bureau politique et président de l’aile jeune. Ce sont donc plusieurs responsabilités que je mène de front et je reste pleinement engagé au service du pays et des citoyens.

Les promesses de votre alliance tardent à se concrétiser : transport gratuit pour tous, internet gratuit, congé de maternité d’un an pour les mères, quelques semaines pour les pères, revalorisation de la BRP, entre autres. La population attend toujours… 
Il y a, certes, les promesses que vous mentionnez, mais il y en a d’autres que nous avons déjà tenues — bien que peu relayées dans la presse. En seulement huit mois à la tête du pays, nous avons posé des actes concrets. Nos institutions ont retrouvé leur indépendance, la démocratie parlementaire a été restaurée, et les pouvoirs constitutionnels du Directeur des poursuites publiques (DPP) ont été rétablis. Le processus de réenregistrement des cartes SIM a été stoppé, et les opérateurs sont désormais tenus de supprimer les bases de données contenant les photographies des utilisateurs. La liberté d’expression sur les réseaux sociaux a été réaffirmée, et les écoutes téléphoniques appartiennent désormais au passé.

Rappelons également que le prix des carburants a baissé de Rs 5 par litre, après des années sans réduction sous le gouvernement précédent. Dans le domaine de l’éducation, nous avons tenu notre promesse électorale en réintroduisant les 3 Credits comme critère d’accès au Grade 12 (Lower VI). L’Empowerment Programme, qui a laissé plus de 2 000 étudiants sur le carreau, a été remplacé par le Foundation Programme for Literacy, Numeracy and Skills.

Le port retrouve peu à peu son efficacité et fait l’objet d’un vaste projet de modernisation. De nouveaux drains sont en cours de construction pour mieux faire face aux risques d’inondation. Le système de transport par bus sera lui aussi transformé grâce à une gestion de flotte par GPS et à un réseau d’information en temps réel pour les passagers.

On oublie une chose la plus importante : hormis quelques baisses sur des articles, vous conviendriez que passer à la caisse des supermarchés est pénible, car tout est hors de prix. Pourquoi ne pas exiger à ces grandes surfaces de diminuer leur marge de profits en fin de mois à 5 % au lieu des 30-40 % sur des produits de consommation de base ? Car, ceux qui ont les moyens ne vont pas se tourner vers ces produits en promotion…
Le ministre du Commerce travaille sur un plan. Mais laissez-moi vous dire que, conformément à notre promesse électorale, le gouvernement a aussi mis en place un fonds de Rs 10 milliards pour stabiliser les prix et soutenir le pouvoir d’achat, avec une première contribution de Rs 2 milliards inscrite dans le Budget 2025/2026. Quant à la TVA, elle n’a pas augmenté et elle a même été abolie sur certains aliments pour bébés, légumes en conserve et légumes surgelés emballés. Un système intégré du contrôle des prix (Price Monitoring Information System – PMIS), a aussi été mis en place pour combattre les pratiques de collusion tarifaire et assurer une meilleure transparence des prix. Le ministre du Commerce s’active également à finaliser un cadre d’importation parallèle pour réduire les prix des médicaments. Toutes ces mesures visent évidemment à faire baisser les prix et protéger les consommateurs.

Est-il normal que les supermarchés réalisent d’importants profits, au détriment du pouvoir d’achat de la population ?
Bien sûr que non ! Chacun doit assumer ses responsabilités. Le contexte actuel exige qu’on se serre les coudes et non pas de s’enrichir indécemment sur le dos des consommateurs.

La polémique a enflé autour des nominations. Le régime en place avait promis un Appointments Committee. Or, force est de constater que les nominés politiques sont des petits copains pour services rendus à l’Alliance du Changement. Rien ne change finalement…
Il sera d’abord nécessaire d’introduire une loi-cadre afin de définir clairement le rôle, les responsabilités et les paramètres dans lesquels l’Appointments Committee sera appelé à opérer. Jusqu’à présent, le bureau de l’Attorney General a été particulièrement sollicité, avec pas moins de 18 projets de loi présentés et débattus au Parlement au cours de ces huit premiers mois. Comme je l’ai déjà souligné, nous resterons fidèles à nos engagements. S’agissant des nominations, un seul critère prévaut : qu’ils soient proches ou non du gouvernement, les candidats (nominés) doivent être « the right person at the right place ».

Sur les réseaux sociaux, cela flambe pour la nomination de Seniors ‘over 70’. Vous en pensez quoi ?
C’est dommage et réducteur de ne retenir que la nomination des seniors, alors que plusieurs jeunes talents ont également été promus. On peut citer Rajeev Hasnah, nommé First Deputy Governor de la Banque de Maurice, Takesh Luckho, Chairperson de la STC, Nishta Jooty, CEO de la SIT, Veemal Gungadin, CEO de Mauritius Telecom, Avinash Teelock, directeur de la MTPA, ou encore Kevin Gutty, à la tête de la MFDC. Autant de jeunes professionnels compétents appelés à transformer et moderniser nos institutions.

Comment expliquez-vous que la colère gronde de toutes parts contre votre gouvernement, alors que vous n’êtes au pouvoir que depuis huit mois ? Où se situe le problème : mauvaise communication, mauvaise approche, mauvais conseillers, règlements de compte envers le MSM ou mauvaise gouvernance ?
Dans mon discours budgétaire, j’ai cité Václav Havel, premier président de la République tchèque dans les années 1990, qui affirmait que « le courage politique, c’est de dire la vérité, même lorsqu’elle est impopulaire ». Le gouvernement a choisi de dire la vérité à la population sur la situation dans laquelle nous nous trouvons après 10 années de dilapidation et de mauvaise gestion sous le MSM. Nous avons consciemment opté pour des décisions difficiles. Cette stratégie gouvernementale repose sur un sens profond de responsabilité patriotique, plutôt que sur la recherche de complaisance électorale. Certes, il s’agit d’un pari politique audacieux : accepter de sacrifier une part de popularité à court terme afin de jeter les bases d’une prospérité durable. Mais le gouvernement assume pleinement ses choix. 

 

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