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Violence domestique - Protection des victimes : quand la loi ne suffit pas

Pour une meilleure protection des victimes de violence conjugale, les autorités misent sur la formation de la police et des fonctionnaires dans le secteur judiciaire et sur le renforcement des lois. Malgré leur bonne volonté à combattre ce mal, c’est un fait, les agresseurs récidivent. Et bon nombre de victimes continuent à subir les coups.

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Les lois ne suffisent pas. La ministre de l’Égalité des genres, Fazila Daureeawoo, le reconnaît. « Dans certains cas, des femmes meurent sous les coups de leurs conjoints. C’est chagrinant d’autant que le foyer devrait être un lieu sécurisant pour la femme. »

Morissette l’a échappé belle ! Au bout de dix-sept ans de vie commune, cette femme de 38 ans a le visage balafré et une main qu’elle ne peut utiliser. Tout a commencé il y a huit ans. Elle filait le parfait amour depuis neuf ans avec son époux. Les problèmes ont débuté lorsque ce dernier est allé voir ailleurs. « Li ti amenn so metress dan nou lakaz, lor nou lili », raconte-t-elle.

De violentes disputes s’ensuivent alors, jusqu’à ce que son époux en vienne aux mains. N’ayant nulle part où aller, Morissette subit en silence insultes, humiliations, menaces et coups jusqu’au jour où les choses se corsent. « Un jour, il m’a tranché le visage avec un couteau de pain. J’ai dû me rendre à l’hôpital et je n’ai eu d’autre choix que de le dénoncer aux autorités », ajoute-t-elle.

À la suite de cet épisode, elle a été placée sous une ordonnance de protection tout en continuant à cohabiter avec son agresseur. « Le magistrat m’a recommandé de rester sous le toit conjugal car avec le ‘Protection Order’, mon mari ne pourrait plus me frapper », explique-t-elle.

La réalité s’est révélée toute autre. « Sans me taper, il m’insultait, m’injuriait, me chassait de la maison, me disait que je ne valais rien et qu’il n’avait plus envie de moi. Il m’a même menacé de me tuer si je ne m’en allais pas », poursuit-elle.

N’ayant pas les moyens de vivre seule avec sa fille et son modeste salaire de cuisinière, elle n’a d’autre choix que de subir tant bien que mal ce calvaire. Quatre ans plus tard, en septembre 2016, l’ordonnance de protection expire. Et les coups ont recommencé à pleuvoir. À peine un mois plus tard, la jeune femme s’est retrouvée encore une fois à l’hôpital. Et cette fois, elle y reste pendant dix jours.

« Il voulait m’agresser avec un couteau de cuisine. C’est en essayant de me protéger le visage avec mes mains qu’il m’a sectionné le tendon », indique-t-elle.

Cette fois, Morissette a trop peur pour retourner vivre sous le même toit que son bourreau. Même si la police essaie de la convaincre de pardonner à son mari, elle quitte la maison avec sa fille de 17 ans.

« Je me retrouve aujourd’hui à mener une vie de misère. J’ai quitté ma maison pour partager un petit appartement de la National Housing Development Company avec des proches. Je ne peux plus travailler à cause de ma main affaiblie. Je dois compter sur l’aide de ma famille pour vivre, alors que mon mari lui mène la belle vie, avec des minettes qui défilent au quotidien à la maison. C’est tous les jours la fête, me raconte ma fille quand elle visite son père », dit-elle.

Découragée et révoltée, elle déplore les injustices de notre système judiciaire et pénitentiaire. « Les autorités n’ont rien pu faire pour me protéger, tandis que mon mari a retrouvé la liberté contre une caution de Rs 45 000. Et aujourd’hui, il se vante d’être intouchable, car il a de l’argent et des contacts. Ça veut dire que la justice ne protège que ceux qui ont les moyens. Moi je me retrouve sur le pavé, sans emploi, sans aide sociale, sans dédommagement pour un visage défiguré et une main inutilisable », fait-elle ressortir.


Les lois doivent évoluer

La Puisne Judge Aruna Narain

La Protection from Domestic Violence Act date de plus de vingt ans. Certes, des amendements positifs y ont été apportés mais « there is still room for improvement », souligne le magistrat Raj Seebaluck. Selon lui, le problème de violence domestique a évolué avec le temps et « les lois également doivent évoluer. »

Il s’agit pour le judiciaire d’un mal profond et sérieux de notre société et les magistrats sont au front dans cette bataille. « Il faut leur donner les moyens nécessaires pour mener à bien leur mission. Car les cas de violence domestique demandent beaucoup de maturité et de compréhension de la part des magistrats qui sont avant tout des êtres humains », ajoute Raj Seebaluck.

La Puisne Judge Aruna Narain est du même avis. « Écouter les affaires de violence conjugale requiert des compétences spécifiques. Ce n’est pas toujours évident, sachant que nos magistrats sont appelés à traiter toutes sortes de cas », fait-elle observer. Une des contraintes du système judiciaire à Maurice, selon elle, c’est qu’il y a plusieurs instances qui s’occupent de la même chose.

« Par exemple, dans une même affaire, un magistrat s’occupera de l’application d’une ‘Protection Order’ et c’est quelqu’un d’autre qui va écouter le cas au pénal. Ce serait une bonne chose que ce soit fait par le même magistrat. Les autorités devraient aussi peut-être se pencher sur l’institution d’un tribunal dédié au problème de violence domestique », estime-t-elle.


En chiffres

Verbale, psychologique, physique, sexuelle ou économique, la violence conjugale revêt des formes multiples qui souvent s’entremêlent. Jadis banalisées, aujourd’hui punies par la loi, les violences conjugales tendent à être de plus en plus dénoncées.

D’après une étude commanditée par le ministère de l’Égalité des genres, 2 077 plaintes ont été enregistrées en 2016 à Maurice contre 1 626 l’année précédente. Les cas de violence conjugale sont donc en hausse et la plupart des victimes sont des femmes. 18,43 % de femmes sont touchées par ce phénomène contre 7,48 % d’hommes.

L’étude menée par l’Université de Maurice établit que l’incidence de ces violences, dans les cas extrêmes, est d’une à trois fois par semaine.

Dans les cas occasionnels, elle est d’une fois par mois. Les causes principales engendrant ces types de violence sont : l’argent, l’alcool, les biens familiaux et les tâches ménagères. Personne n’est à l’abri de ce type de violences. Elle sévit dans toutes les catégories sociales, économiques et culturelles, en milieu urbain ou rural et quel que soit le contexte éducatif ou religieux.


Fazila Daureeawoo : «Il y a un gros travail d’éducation à faire»

Face à la hausse des cas de violence domestique, les autorités ne cachent pas leurs préoccupations. Selon le ministre de l’Égalité des genres et du Bien-être de la famille, les lois ne suffisent pas et il y a un gros travail d’éducation à faire.

« Nous pouvons avoir les meilleures lois, mais cela n’empêchera pas les agresseurs d’agir. Au gouvernement, nous faisons ce que nous pouvons pour redresser la situation. Seuls, nous n’avancerons pas », explique Fazila Daureeawoo.

Elle fait appel à la société civile, aux ONG et au secteur privé pour qu’ils mènent à bien ce combat. « Il faut revoir la manière d’éduquer nos enfants et inculquer les valeurs familiales et sociales aux jeunes. Il y a aussi un travail à faire avec les conjoints violents. Il faut pouvoir comprendre ce qui les pousse à agir de la sorte et leur expliquer les conséquences de leurs actes, surtout en cas de non-respect d’un Protection Order », indique-t-elle.

Un renforcement des structures en place est ainsi souhaité pour une meilleure protection et prise en charge des victimes. Dans un premier temps, Fazila Daureeawoo estime que ce serait bon que le système judiciaire traite les demandes pour les Protection Order le matin et non l’après-midi, comme c’est le cas actuellement. « Il est important de s’occuper des cas de violence domestique en urgence », dit-elle.


Bon à savoir

Une ordonnance de protection ou un Protection Order est une solution immédiate au problème de violence domestique. C’est un ordre, généralement temporaire, de la cour interdisant à l’agresseur de harceler physiquement, moralement et émotionnellement la victime. Ce, même s’ils cohabitent. Par ailleurs, la loi prévoit un Occupation Order pour contraindre l’agresseur à quitter la maison conjugale et à se tenir à distance de la victime.


Renforcement de la Protection from Domestic Violence Act

Pour renforcer la lutte contre la violence domestique, la loi y relative a été revue à plusieurs reprises. Les derniers amendements datent de 2016. Parmi les principaux changements : le durcissement des peines, l’inclusion de la violence verbale comme délit, la redéfinition du terme «spouse» et la révision des pouvoirs de la police dans des cas de violence conjugale.

La loi prévoit ainsi une amende ne dépassant pas Rs 50 000 pour une première condamnation et jusqu’à Rs 100 000 pour une deuxième fois. La première récidive est aussi passible d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas deux ans. Pas d’amende pour une troisième fois, voire pour toute condamnation subséquente: le coupable sera sous le coup d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de cinq ans.

Pour non-respect d’un Protection Order, le coupable paiera le double des peines prévues en cas des première et deuxième infractions. Alors que le mot «spouse» ne faisait référence qu’aux conjoints mariés, il désigne désormais toute personne en relation intime avec une autre personne du sexe opposé. Et alors que la police prétexte très souvent ne pas être habilitée à intervenir dans les problèmes conjugaux, les amendements de 2016 élargissent leur champ d’action. 

 

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