Amendement des lois pour réduire la violence domestique et formation des parties prenantes pour venir en aide aux victimes. Ce sont quelques-unes des actions prises pour enrayer ce problème, mais la situation reste alarmante. Dossier.
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Depuis janvier, plus de 1 112 cas de violence domestique ont été répertoriés : 23 envers les hommes et 1 089 envers les femmes. Il y a aussi eu mort d’homme. En 2016, neuf personnes ont perdu la vie des suites de la violence domestique et l’une d’elles était sous Protection Order. En 2017, trois personnes décédées l’étaient aussi.
Durant le week-end dernier, une habitante de Flacq a été mortellement poignardée, par son ex-mari, cela, bien qu’elle soit sous Protection Order. Comprendre les raisons derrière ce problème semble être plus nécessaire que jamais. Tout porte à croire que les victimes ne sont pas en sécurité, même si elles sont sous Protection Order.
La ministre de l’Égalité des genres, Fazila Daureeawoo, a affiché sa détermination à faire chuter le taux de violence conjugale. « S’il faut renforcer la loi par rapport au Protection Order, on le fera », a-t-elle indiqué, le 10 juillet, quand elle commentait le meurtre à Flacq.
La ministre estime qu’un meurtre est toujours de trop. « Nous devons attendre l’enquête pour savoir si un proche peut prendre la responsabilité des enfants. Nous n’avons pas toutes les informations dans ce cas précis. À ce stade, nous ne pouvons pas dire que nous allons amender le Protection Order, mais nous devons revoir la loi pour renforcer la sécurité des citoyens. La violence domestique entraîne la mort des femmes », a-t-elle déclaré.
Christiane, 62 ans, habitante d’Eau-Coulée et mère de cinq enfants, confie qu’elle a vécu plusieurs années de maltraitance aux côtés de son époux. Ce dernier la frappait, quand il était sous l’influence de l’alcool. Il devenait incontrôlable. Et pourtant, elle était sous Protection Order. Elle est allée vivre chez ses enfants pendant quelques mois, mais elle ne voulait pas être un fardeau pour eux. Elle raconte qu’elle ne savait pas qu’elle devait rester loin de son mari. On ne lui avait rien expliqué quand elle avait obtenu le Protection Order.
« Je garde mes distances »
« J’ai aussi habité chez un neveu, mais je ne veux pas les déranger davantage. Je suis retournée chez moi, car j’ai travaillé dur pour construire cette maison. Je dors chez mon petit-fils, qui est venu vivre chez moi. Je fais les tâches ménagères et je garde mes distances de mon mari. Je passe beaucoup de temps dans ma chambre et je sors quand il n’est pas là. De plus, je viens de réaliser que mon Protection Order a expiré et je ne sais pas quoi faire », raconte-t-elle.
Une femme doit être forte physiquement pour se défendre, mais aussi moralement, estime-t-elle. Elle doit parfois se battre pendant plusieurs heures pour sauver sa peau.
Auparavant, je ne voulais pas porter plainte à la police, mais après, je me suis dit qu’il fallait que je le dénonce. J’ai travaillé pendant toute ma vie et maintenant, je veux profiter de ma retraite. Je ne peux plus accepter qu’on me traite ainsi. Je fais un petit boulot pour gagner ma vie. Mon mari sait très bien que je suis sous Protection Order, mais cela ne le décourage pas. Son patron lui a expliqué qu’il ne fallait pas agir ainsi, pour éviter des démêlés avec la loi. Ce qui est triste, c’est que mon petit-fils est témoin de cette violence », ajoute-t-elle.
Ambal Jeanne, directrice de SOS Femmes : « Une amende de Rs 10 000 à Rs 15 000 pour non-respect du ‘Protection Order’ »
La loi, qui est censée protéger les victimes de violence domestique, a ses limites. C’est ce qu’observe Ambal Jeanne, directrice de SOS Femmes. C’est au système judiciaire d’entrer en jeu, afin de donner un signal fort à ceux qui ne respectent pas le Protection Order et continuent de tabasser leurs conjoints.
« Une amende de Rs 500 à Rs 600 pour violation d’un Protection Order ne sert à rien. Pour que les fautifs ne récidivent pas, il leur faut être sous la menace d’une amende allant de Rs 10 000 à Rs 15 000 », suggère Ambal Jeanne. Elle ajoute que le système judiciaire ne prévoit aucune loi pour protéger les victimes après que celles-ci ont dénoncé leurs conjoints à la police.
« Une holistic approach est impérative pour que les victimes en question soient protégées. À titre d’exemple, comment les voisins peuvent venir à leur aide, etc. », poursuit la directrice de SOS Femmes.
Par ailleurs, Ambal Jeanne est d’avis que la jalousie et la possessivité d’un conjoint sont les causes qui entraînent ces meurtres. « Il y a des séquelles quand les victimes de violence domestique décident de se séparer de leurs conjoints. Ces derniers n’ont plus le contrôle sur eux-mêmes et, dans un accès de colère, les tuent », explique-t-elle.
« Les femmes battues qui ont déserté le toit conjugal doivent être plus vigilantes. Elles ne doivent pas faire la sourde oreille devant les menaces proférées à leur encontre par leur mari ou leur compagnon. Elles doivent alerter la police. Et, en ce qui concerne la garde partagée des enfants, utilisez le poste de police pour déposer et récupérer les enfants », conseille-t-elle.
Prema : « Malgré le ‘Protection Order’, mon mari me frappe »
Prema G., 52 ans, a été une femme battue pendant 35 ans de sa vie de couple. Cette mère de trois enfants, originaire de Montagne-Longue, dit avoir vécu un véritable enfer depuis qu’elle s’est mariée. « Mon mari est de nature calme. Mais dès qu’il boit, il devient très violent et me bat sans aucune raison. Il use de prétextes banals, comme le repas qui n’est pas à son goût, pour me rouer de coups sans pitié », indique-t-elle.
« Des fois, lorsqu’il perd tout son argent aux jeux de hasard, il évacue sa frustration sur moi. En présence de mes enfants, il me tabasse. Puis, il me met à la porte. J’ai passé des nuits avec mes enfants, flânant dans les rues, cherchant refuge chez des voisins. Mes enfants et moi avons même dormi à la belle étoile », relate-t-elle. Aujourd’hui, les enfants de cette dernière sont mariés. Toutefois, le comportement violent de son époux reste inchangé.
« Au fil des années, je ne pouvais plus supporter que mon époux me frappe pour rien. J’ai entamé des procédures pour obtenir un Protection Order l’année dernière. Mon mari a été arrêté et relâché, après avoir fourni une caution, mais il continue à me tabasser », dit Prema G., la larme à l’œil. Le renouvellement du Protection Order de la quinquagénaire n’a pas fait peur à son époux.
« Il me frappe toujours. J’ai failli perdre un œil aux mains de mon mari. Il m’a poussée dans les escaliers. Bien que j’aie peur de vivre avec lui, je reste. Où vais-je me réfugier à mon âge ? 35 ans de vie commune et un Protection Order n’ont pas changé le comportement de mon conjoint. Il reste le même », explique-t-elle.
Jocelyn Mootooveeren, inspecteur de police : « Une structure est en place dans chaque poste de police »
À la Police Family Support Unit, il y a le programme approuvé par le commissaire de police : Recontruction and Recovery for victims of Domestic Violence. L’inspecteur Jocelyn Mootooveeren souligne que les officiers de police ont reçu une formation et qu’une structure est en place dans chaque poste de police. Les victimes, ainsi que leur partenaire, viennent pour un suivi. 50 % des partenaires ne restent plus sous le même toit après avoir obtenu un Protection Order.
« Nous organisons des sessions de partage lors desquelles la victime relate son quotidien et comment elle surmonte les problèmes. À la fin du programme, il y a un questionnaire à remplir et dans 90 % des cas, il y a des améliorations après des médiations. Certains partenaires cessent de subvenir aux besoins familiaux, quand la victime est sous Protection Order. Nous aidons ces personnes à entamer des procédures pour obtenir une assistance sociale. Nous nous assurons aussi que les enfants sont en sécurité. Il y a certains qui ont besoin d’un suivi psychologique », indique-t-il.
Cependant, l’inspecteur précise qu’il n’y a pas encore de programme pour les agresseurs. En Amérique, par exemple, l’agresseur doit obligatoirement suivre les Rehabilitation Courses, car c’est ordonné par la cour. Il est également détaché de sa famille.
« Arrestable offence »
En ce qui concerne les sanctions pour un Breach of Protection Order, c’est-à-dire, si une/un détenteur de Protection Order rapporte un cas, c’est considéré comme un arrestable offence et la sentence vient directement de la cour. La pénalité pour le premier délit est une amende allant jusqu’à Rs 50 000 et un an d’emprisonnement. Pour la deuxième inculpation, l’agresseur est passible d’une amende de Rs 100 000 et de deux ans de prison, alors que pour la troisième fois, cela peut aller jusqu’à cinq ans de prison, selon l’Amendment of Prevention of Domestic Violence Act, depuis septembre 2016. S’il y a un meurtre, c’est la cour qui décide, dépendant des circonstances.
Quelles sont les procédures pour l’obtention d’un Protection Order ? La victime doit rapporter le cas de à la police ; cela peut être de la violence physique, verbale, psychologique, financière ou émotionnelle. Le terme spouse a été redéfini. Deux personnes de sexe opposé uni par un mariage civil, ou ayant un enfant ensemble, ou en concubinage qui vivent sous le même toit sont des spouses.
Après sa déclaration, une personne victime de violence conjugale sera référée à la Family Protection Unit. Il y a un service d’écoute et différentes options lui seront expliquées. Dans certains cas, on peut appeler l’agresseur pour une médiation, mais dans la plupart des cas, on réclame un Protection Order.
Un affidavit est rédigé et selon la disponibilité de la cour, l’agresseur est averti et un Protection Order est en faveur de la victime. Il est à noter que le renouvellement d’un Protection Order ne se fait pas automatiquement. La victime doit refaire les mêmes procédures.
Anushka Virasawmy : « Renforcer la loi ne résoudra jamais le problème »
Pour la présidente de Gender Links, Anushka Virasawmy, la situation par rapport à la violence domestique ne fait que se détériorer. Selon elle, renforcer la loi ne résoudra jamais le problème.
« Il est grand temps de résoudre ce problème à la racine. Il faut mettre sur pied un mécanisme pour que l’agresseur ne récidive pas », fait-elle observer.
Elle explique qu’il faut avant tout comprendre que l’agresseur n’arrive pas à gérer ses émotions. « Sa prise en charge est très importante. Depuis plusieurs années, nous répétons qu’il faut mettre en place des institutions pour la réhabilitation des agresseurs. Ils ont besoin de suivi psychiatrique et psychologique », poursuit-elle.
Par ailleurs, elle affirme que le partenaire a tendance à être plus violent après un Protection Order. « Son “ego” est blessé et il veut se venger. L’absence d’un tribunal spécial pour traiter ces cas est un gros manquement de notre système, alors que cela marche bien dans d’autres pays. Ce qui se passe n’est plus acceptable en 2017 », lance-t-elle.
Me Indranee Bhoyrull-Boolell : « La loi n’est qu’un moyen dissuasif, il faut beaucoup plus que cela »
Après la tragédie de la jeune mère Anju Umawatee Somrah, il convient de souligner que la violence domestique affecte toutes les couches sociales. La tendance est à la hausse, malgré le durcissement de la loi. Plusieurs cas ne sont pas rapportés par peur de répercussions.
Selon Me Indranee Bhoyrull-Boolell, vice-présidente de Passerelle, « coups, blessures, maltraitance, menaces, insultes, entre autres, sont des cas que l’ONG enregistre tous les jours. Nous avons actuellement quatorze femmes et dix-sept enfants, victimes de violence domestique, qui résident sous notre toit », fait-elle ressortir.
Me Indranee Bhoyrull-Boolell insiste que les lois ne servent que de guide et ne représentent qu’un moyen de dissuasion. « Qui dit loi, dit répression, peur et respect des paramètres. Tout cela ne contribue pas à freiner la colère et la brutalité des agresseurs. Un bourreau est aussi une victime. En tant qu’avocate, j’ai été témoin des durs qui pleurent et qui regrettent amèrement leurs actes. Accusée ou victime, chaque personne est importante », fait-elle observer.
« Il faudrait commencer leur éducation dès le plus jeune âge, avec un encadrement et le culte des valeurs humaines. Il faudrait mettre sur pied une cellule pour les agresseurs, qui sont aussi vulnérables. La réhabilitation et la rééducation des agresseurs et des victimes, et leur prise en charge par des personnes ayant plus d’expérience s’avère plus que nécessaire », dit-elle.
À qui s’adresser ?
Les femmes en détresse peuvent se tourner vers plusieurs institutions ou ONG.
- Family Support Bureau (à l’arrière du stade Auguste-Volaire). Hotline : 139. Tél. : 413 6467.
- Child Development Unit (CDU). Hotline : 113
- Child Protection Services
- Bell Village : 213 0668
- Goodlands : 283 4900
- Bambous : 452 5900
- Flacq : 413 1390
- Rose-Belle : 627 1600
- Phœnix : 698 3700
- Citizens Advice Bureau (CAB) de la localité
- Legal Aid (Cour suprême)
- S.O.S. Femmes (violence domestique) : 233 3054
- Passerelle (ONG) : 5440 4501
- Hotline : 999/148
En chiffres
- En 2015, 3 462 femmes et 815 hommes se sont rendus au bureau de la Family Protection Unit pour obtenir une Protection Order ou pour une médiation.
- En 2016, ce sont 3 793 femmes et 878 hommes qui ont entamé de telles procédures.
- 2014 : 1 265 demandes de Protection Order et 578 émis
- 2015 : 1 057 demandes de Protection Order et 613 émis
- 2016 : 1 033 demandes de Protection Order et 670 émis
- 2017 (à mai) : 413 demandes de Protection Order et 260 émis.
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