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Violence domestique : parents martyrs vs mineurs tortionnaires : quel recours ?

Par peur de représailles ou par amour, certains parents passent sous silence les violences que leur infligent leurs enfants.
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Comment se résout-on à porter plainte contre son enfant mineur quand il nous maltraite ? C’est un dilemme face auquel se retrouvent certains parents. Pas plus tard que dimanche dernier, un adolescent de 13 ans a menacé sa mère avec une barre de fer. Que faire dans de telles situations ? Vers qui se tourner ? Le point dans ce dossier. 

Insultes, menaces, agressions… Tel est au quotidien le lot de certains parents victimes de violences de la part de leurs propres progénitures. Si les cas les plus souvent répertoriés à la police sous la Domestic Violence Act concernent des enfants majeurs, il arrive parfois que les actes soient perpétrés par des mineurs. 

On en a eu la preuve pas plus tard que le dimanche 10 janvier 2021, avec le cas d’un enfant de 13 ans que sa mère accuse de l’avoir menacée avec une barre de fer et des ciseaux (voir encadré). Lasse de ces agressions et insultes à répétition qui ont perduré quatre ans durant, Luchmee, âgée de 37 ans, a fini par dénoncer son fils à la police. 

Combien de parents, à l’instar de cette habitante de Résidence La Cure, ont-ils le courage de porter plainte contre leurs propres enfants de surcroît mineurs ? C’est un des cas rares, fait ressortir le sergent Benidin de la brigade pour la protection des mineurs basée à Port-Louis. « Aucun parent ne souhaite voir son enfant derrière les barreaux. Du coup, la plupart du temps, des agressions de cette nature ne sont pas rapportées », explique-t-il.  
Au niveau de la police, il explique que les cas les plus fréquents qu’ils enregistrent concernant des mineurs sont ceux des « children beyond control ». Le sergent concède que ces derniers temps, ce type de cas a connu une hausse. « Si l’enfant est agressif dès son jeune âge, il y a un risque qu’il devienne encore plus violent une fois majeur. Pour éviter des circonstances aggravantes à l’avenir, les parents dont les enfants sont incontrôlables sont invités à informer la police », conseille-t-il. 

Le sergent Benidin souligne que tout parent s’estimant victime de violences de la part de son enfant peut demander une assistance policière en appelant sur le 999 ou en se rendre au poste de police le plus proche de son domicile. Il peut aussi appeler sur le 148 (hotline de la police). « Ou encore se rendre dans une des Police Family Protection Units », ajoute-t-il. 

Que se passe-t-il une fois le cas rapporté ? Le sergent Benidin explique que le rôle des officiers de la brigade pour la protection des mineurs est d’agir comme médiateurs quand des parents les sollicitent. « Nous nous rendons sur place et nous essayons de trouver la source du problème. Nous tentons de raisonner l’enfant par rapport à son comportement. Si cela ne fonctionne pas et que ce dernier est toujours incontrôlable, nous essayons de trouver une solution qui aille dans son intérêt, avec l’aide des parents. Nous les assistons dans les procédures », renchérit-il.

Probation Office 

Qu’en est-il des parents ? Le sergent Benidin explique que si le parent agressé a été blessé, il sera, dans un premier temps, conduit à l’hôpital pour y recevoir des soins. Il ajoute qu’un formulaire appelé « Form 58 » sera ensuite émis. « Si la victime souhaite faire une déposition, elle devra le faire au poste de police de sa localité. Une enquête sera ouverte. L’enfant sera convoqué. Il passera devant la cour de district. Un magistrat décidera de la marche à suivre », détaille-t-il. 

Il soutient que ce dernier devra, par exemple, décider si l’enfant a besoin d’un suivi psychologique ou de soins psychiatriques. « Dépendant de la gravité de la situation, le Probation Office décidera, lui, si l’enfant devra être placé au Correction Youth Centre », conclut le Sergent Benidin. 

Le sergent Gaëtan Théodule, affecté à la brigade pour la protection des mineurs de la division Métro Nord, a été sollicité pour des précisions au sujet du cas de l’enfant de 13 ans. Selon lui, la mère avait sollicité l’aide de la police d’Abercrombie durant le confinement l’an dernier pour transporter son fils au Brown Sequard Hospital afin qu’il reçoive un traitement. « L’enfant vient d’une famille brisée. Il est violent. Nous avons tenté de le rappeler à l’ordre, en vain. Il a été interné à l’hôpital Brown-Séquard car sa maman ne savait plus quoi faire de lui. Il est déjà connu des médecins et du personnel médical », explique le sergent. 

Or, dit-il, nul ne sait s’il prend ses médicaments. « Comme sa mère a déjà fait une déposition contre lui, il sera interrogé une fois son traitement achevé. Nous enregistrerons sa version des faits dans le sillage de l’enquête policière. Le Probation Office décidera ensuite de la marche à suivre », indique le sergent Théodule.


Luchmee, la mère de l’enfant de 13 ans : « Je n’ai pas le choix »

C’est à contre-cœur qu’elle a porté plainte contre son fils.
C’est à contre-coeur qu’elle a porté plainte contre son fils.

La douleur d’avoir à se résoudre à dénoncer son propre enfant à la police est indescriptible. Luchmee confie que c’est à contre-cœur qu’elle a porté plainte contre son fils de 13 ans pour agression, menaces et insultes. « Cela faisait quatre ans que cela durait. Je n’en pouvais plus de vivre dans la peur qu’il me fasse quelque chose. Li pa fasil pou mwa pou dénons mo zanfan ek lapolis. Me linn vinn tro violan. Mo pa ti ena swa », confie la mère de 37 ans. 

Elle raconte qu’elle a divorcé de son mari lorsqu’elle était enceinte. « J’ai élevé mon enfant seule. À l’âge de quatre ou cinq ans, j’ai su qu’il était épileptique. Il devait avoir neuf ans quand il a commencé à devenir agressif. Cela n’a fait qu’empirer par la suite », se remémore-t-elle.  

Ce n’est hélas pas le seul mauvais souvenir qu’elle garde. Elle raconte qu’une fois, son fils lui a cassé le bras. Une autre fois, dit-elle, c’était la tête, avec une bouteille en verre. « Si li kalme 5 à 10 minit, apre li rekoumans devir partou. Pa kapav kontigne koumsa. Komie tan pou viv dan laper ek pou al get vwazin pou dir zot sov mwa ? » se demande-t-elle. 

Si Luchmee était aussi inquiète, c’est parce que sa mère, qui est porteuse d’un handicap, vivait sous son toit. Cette dernière a toutefois dû trouver refuge chez son autre fille à cause du comportement violent de son petit-fils. « Li lager ek zot tou. Apre li dir li gagn sagrin, me li rekoumanse apre. Tou seki li gagne dan lakaz, li vann sa ek ban droge pou Rs 10. Mo lavi tinn vinn enn kalver tou lezour », confie Luchmee.  

Si elle se sent aujourd’hui en sécurité, cela ne l’empêche pas de penser souvent à son fils. Lequel, selon elle, est hospitalisé à l’hôpital Brown-Séquard. Elle est contente d’avoir pu le voir cinq à dix minutes le mercredi 13 janvier. La jeune maman entend bien s’y rendre à nouveau pour lui ramener quelques affaires. 

L’adolescent a étudié jusqu’à la STD V. Puis il a fréquenté des écoles spécialisées, mais il n’a pas pu compléter sa scolarité. « Dan tou lekol inn avoy li, linn gagn problem. Zot dir pa kapav ar li », se souvient Luchmee. 

Elle ne pouvait d’ailleurs pas travailler convenablement à cause du comportement de son fils. Elle a même perdu son métier dans la restauration. « Mo pa ti pe kapav travay akoz situation ek mo garson. Monn bizin al rod enn lot travay akoz mo ena boucou det », confie la jeune mère qui a pu trouver un emploi comme femme de ménage dans une maison.


Le rôle du ministère du Bien-être de la famille 

À quel moment le ministère de l’Égalité des genres et du Bien-être de la famille entre-t-il en scène dans le cas d’enfants mineurs maltraitant leurs parents ? Interrogée à ce sujet, une source de la Child Development Unit indique que dans ce cas précis, il n’y a pas de problème de protection de l’enfant, vu que c’est le parent qui a été victime de violences. Du coup, selon notre source, l’affaire concernant l’enfant de 13 ans a été transmise à la Family Welfare and Protection Unit afin que les mesures appropriées soient prises. 

Qu’en est-il de la prise en charge du mineur ? Cette même source affirme que le cas d’enfants agresseurs n’est pas signalé au ministère de l’Egalité des genres et du Bien-être de la famille mais au Probation Office. Elle conclut qu’un soutien est prévu par les Probation & Aftercare Services, selon la nouvelle Children’s Act 2020.

Pour avoir un soutien à son tour, le parent maltraité peut se tourner vers la Family Welfare and Protection Unit. « La loi sur la protection contre la violence domestique couvre toute personne contre toute forme de violence de la part d’un individu vivant sous le même toit », explique notre source. 

Elle ajoute qu’un parent victime de violences de la part de son enfant peut téléphoner sur la hotline 139 pour rapporter le cas, se rendre à la Family Welfare and Protection Unit ou aller au bureau du ministère pour obtenir des conseils. « Il peut aussi faire une demande pour obtenir une ordonnance de protection qui sera émise par un magistrat. » Elle précise que toute personne ayant des problèmes familiaux peut appeler sur le 139 et le 119 pour obtenir de l’aide.

Le psychiatre Dr AbhijayDr Abhijay Runjeet, psychiatre : « Aucun parent n’est à l’abri »

Quelle forme prend la violence envers les parents ? 
Elle peut être financière, physique, verbale ou émotionnelle. 

Les raisons qui mènent à de telles situations ? 
Je dirais que l’une d’elles est la fragilisation de l’autorité parentale. Souvent, par peur de conflits et de représailles, des parents finissent par céder à la volonté impérieuse de leur enfant. C’est un dérapage qui peut aller très vite surtout s’il y a eu la perte d’un membre de la famille, c’est-à-dire le décès du père ou de la mère, ou encore si le couple n’est plus une valeur sûre et qu’il y a eu un divorce, par exemple. 
Dans ce type de cas, certains parents entrent dans une phase de dépendance affective en faisant de leur enfant leur socle de vie. Ce dernier, de par l’environnement dans lequel il évolue, a un fardeau beaucoup trop lourd à porter. Il réagira parfois en agressant ses parents face à cette « dé-sécurisation ». La violence des enfants envers les parents peut aussi provenir d’un mimétisme de la violence de ces derniers entre eux ou sur leurs progénitures.

Que faire pour prévenir ces actes de violence ?
Je pense que les parents doivent cesser de dorloter excessivement leur enfant et de les « corriger » de façon acceptable. Pas en haussant la voix ou en leur infligeant des punitions corporelles. Ils doivent établir une meilleure communication et discuter fréquemment avec eux, tout en adoptant une parentalité positive et en préservant leur autorité. 

Ce faisant, les enfants grandiront dans un environnement plus sain. J’estime aussi que plus de campagnes doivent être menées au niveau national afin de conscientiser les Mauriciens sur ce type de violence. Cela pourrait encourager davantage de parents violentés à se manifester. 

Dans le cas de l’enfant de 13 ans, peut-on attribuer son comportement violent à son épilepsie ?
Non. Je ne pense pas. Je suis d’avis qu’il y a d’autres problèmes sous-jacents. Le dysfonctionnement de sa cellule familiale et l’environnement dans lequel il évolue peuvent être liés parmi tant d’autres facteurs, tels que la dépression et les craintes. 

Je conseille aux parents d’avoir recours à des professionnels de santé pour assurer le suivi psychologique de leur enfant. Si j’avais un message à adresser aux parents maltraités, ce serait le suivant : faites-vous aider et parlez-en à quelqu’un.

 

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