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Violence conjugale : à quand la fin de la barbarie envers les femmes ?

VIOLENCE CONJUGALE
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Victimes de violence conjugale, trois femmes âgées d’une trentaine d’années sont mortes des mains de leur conjoint en 12 jours. Après une beuverie dans la soirée du jeudi 12 septembre à Cité-Pitot, Curepipe, Rodney Rambhujun (36 ans) a plongé la tête de sa concubine Marie Joyce Zamak (32 ans) dans un tonneau d’eau jusqu’à ce qu’elle meure noyée.

Le mardi 10 septembre à Morcellement Roy, Bel-Air-Rivière-Sèche, Shabneez Mohamud (33 ans) a été étouffée par son époux Nasureedhin Mohamud (38 ans). Et le mercredi 4 septembre dernier, Stéphanie Ménès (38 ans) a été retrouvée morte dans sa maison. Son époux, Steve Ménès, suspecté de ce meurtre atroce, a pris la fuite. À quand la fin de la barbarie des hommes contre les femmes ?

Témoignage

Shirley (39 ans) : « Mon concubin me tabassait pour un rien »

Âgée de 39 ans, Shirley (prénom modifié) travaille dans un restaurant de la capitale. Mère d’un enfant, elle avait pour concubin James, un maçon de 41 ans qui avait un penchant pour la bouteille et également pour les femmes plus âgées. D’ailleurs, il leur soutirait de l’argent pour ses besoins personnels, confie Shirley à Le Dimanche/L’Hebdo. « Il n’aimait pas travailler. J’essayais de le raisonner, mais à la place, il me tabassait pour des raisons futiles », raconte Shirley, qui a été victime de violence pendant plusieurs années.

« J’étais comme une personne sans vie. Chaque soir, c’était l’enfer à la maison »

Elle avait rencontré James après s’être enfuie de chez son père.
Elle avait rencontré James après s’être enfuie de chez son père.

Maltraitée étant enfant, Shirley quitte la maison familiale à 17 ans, car la seconde épouse de son père lui rendait la vie difficile. Ensuite, l’adolescente trouve refuge dans les bras de son premier amour, James, qui lui promet monts et merveilles. Et elle y croit… Si au début, la vie est rose pour le couple amoureux, très vite tout tourne au noir. Dans la pénombre d’une petite bicoque en tôle, son concubin dévoile son vrai visage. Et la réalité éclate à la figure de Shirley lorsqu’elle se fait tabasser pour la première fois. « Je lui ai demandé de l’argent pour acheter des provisions. Saoul et énervé, il a proféré des insultes. Je me suis défendue. Il m’a tiré par les cheveux et m’a frappé jusqu’à ce que je m’évanouisse… » Shirley, des boursoufflures au visage et des bleus sur tout le corps,  s’est murée dans le silence. « Je n’avais nulle part où aller. Mon père m’avait renié et je n’avais personne d’autre vers qui me tourner. De plus, la décision de me mettre en couple avec James étant mienne, je me suis dit que je devais assumer mon choix. »

Le calvaire de Shirley est loin d’être fini et elle subit en silence les agressions de son concubin, qui va même jusqu’à violer Shirley à plusieurs reprises. « J’étais comme une personne sans vie. Chaque soir, c’était l’enfer à la maison. Je craignais qu’il ne me tue, si je ne l’obéissais pas… Je vivais dans la peur. Un jour, désespérée, je me suis aspergée d’alcool dans l’intention de m’immoler ensuite par le feu, mais en même temps, une autre bagarre a éclaté. Dans la foulée, j’ai oublié le plan que j’avais en tête », raconte-t-elle.

Puis, elle a décidé de préparer le dîner. Elle s’est penchée pour allumer le four, mais en oubliant qu’elle avait aspergé ses vêtements d’alcool. C’est le drame. Ses vêtements ont vite fait de prendre feu. Prise de panique, Shirley a hurlé, tout en essayant d’atténuer les flammes. Ses voisins ont volé à son secours, alors que James était ivre mort sur le canapé.

Shirley est conduite immédiatement aux urgences et elle est hospitalisée pour deux semaines. Il va sans dire qu’elle en ressort avec des brûlures et des cicatrices sur une bonne partie du corps.

Pour survivre, Shirley doit prendre de l’emploi dans la maçonnerie, malgré le fait qu’elle était enceinte. Elle devait gagner un peu d’argent pour avoir de quoi se nourrir au quotidien et pour préparer l’arrivée de son bébé. « James ne voulait rien faire », explique Shirley. Puis, elle découvre l’infidélité de son concubin. « Il batifolait avec plusieurs femmes âgées. Comme il n’aimait pas travailler, il leur soutirait de l’argent pour ses besoins personnels, tandis que moi, je me tuais sous un soleil de plomb. »

Énervée par l’attitude de son concubin, Shirley lui demande d’assumer ses responsabilités, mais les conflits se multiplient davantage, ainsi que les coups. Cependant, cette fois-ci, Shirley décide de ne pas se laisser faire et riposte, mais son concubin va jusqu’à l’étrangler. Elle réussit à le pousser pour s’échapper et court vers la porte de sortie. Dans une rage folle, son agresseur la rattrape. Il saisit un morceau de bois et fait voler en éclat les portes en verre de l’argentier, tout en frappant sans relâche Shirley qui le supplie d’arrêter…

Puis, Shirley voit une épaisse fumée noirâtre envahir sa maison. Abasourdie, elle a juste le temps de s’échapper pour dire aux voisines de quitter leur maison. Boom ! La bonbonne de gaz dans la cuisine a éclaté et le feu a consumé sa maison. « Tous les jours, j’allumais une bougie devant la statuette de la Vierge Marie pour lui demander de me protéger, ainsi que l’enfant qui était dans mon ventre. Comme James écrasait tout dans la maison et me frappait sans relâche, il a dû faire tomber la bougie sans s’en rendre compte et le feu s’est propagé », indique Shirley.

La police et les pompiers ont été mandés sur les lieux, tandis que les voisins s’en prenaient à Shirley. Celle-ci a été prise en charge par la police, qui l’a évacuée pour sa propre sécurité. Shirley raconte : « Zot inn dir mwa pa res la madam, ou lavi an danze. »

Une fois arrivée aux Casernes centrales, Shirley donne sa version des faits pendant trois heures aux policiers. Après avoir reçu les premiers soins à l’hôpital, elle a été arrêtée, car ses voisins et son concubin ont porté plainte contre elle. Ils l’ont accusée d’être l’auteure de cet incendie. Deux semaines plus tard, elle est conduite à la prison de Beau-Bassin et les portes se referment derrière elle. « Tous les jours, je pleurais et je faisais des prières. Ce n’était pas ma faute. »

En cour, Shirley présente ses excuses, mais on lui demande de payer une caution de Rs 20 000. « Je n’avais pas le moindre sou, mais j’ai reçu la visite d’une association caritative qui m’a aidée à payer pour être remise en liberté conditionnelle. »

Peu de temps après, Shirley sort de prison et elle accouche d’un fils. James, ayant appris la nouvelle, va la voir à l’hôpital et lui présente des excuses. Shirley décide de mettre un terme à cette relation toxique, mais son concubin insiste en lui disant qu’il va changer et qu’il part en Angleterre. « Il m’a dit que tout irait bien maintenant et qu’il me ferait venir là-bas au plus vite. Puis, deux mois plus tard, il est vraiment parti en Angleterre. Depuis, les jours ont passé et je n’ai plus jamais entendu parler de lui. J’élève mon enfant avec les moyens du bord et j’essaie de me reconstruire, malgré la violence dont j’ai été victime », conclut Shirley.

Genderlinks

Anushka Virahsawmy : « Je suis outrée par ces trois meurtres »

La directrice de Gender Links Mauritius, Anushka Virahsawmy, se dit outrée par les meurtres de ces trois femmes des mains de leur conjoint. « Nous effectuons tout un travail pour combattre la violence domestique à Maurice. C’est désolant d’avoir l’impression que tout ce que nous faisons tombe à l’eau. Je pense qu’il y a un gros travail à faire en ce qu’il s’agit de l’éducation des enfants à l’école. On doit mettre le doigt sur le problème et leur enseigner ce que signifie la violence. » Mais, là où le bât blesse, dit-elle, c’est dans le suivi fait auprès des auteurs de violence en prison pour changer leur attitude et éviter qu’ils ne recommencent quand ils recouvrent la liberté. « On doit sérieusement se pencher sur la question. Existe-t-il une aide et une formation holistique pour changer de comportement ? Je voudrais bien savoir quel mécanisme est mis en place », demande Anushkha Virahsawmy.

« Comme James écrasait tout dans la maison et me frappait sans relâche, il a dû faire tomber la bougie sans s’en rendre compte et le feu s’est propagé »

Cette dernière estime qu’il est grand temps que l’État cesse de banaliser le problème et qu’il agisse pour briser le cycle de la violence envers les femmes, à travers des plaidoiries, des révisions des lois, des campagnes de sensibilisation et de l’éducation des enfants, entre autres. Il est, selon elle, aussi important de comprendre pourquoi les femmes victimes de violence retirent souvent leurs plaintes contre leur conjoint. « Est-ce qu’elles agissent ainsi à cause de la pression familiale ou pour sauver l’honneur de la famille ? » s’interroge-t-elle.

RAISE BRAVE GIRLS

Prisheela Mottee : « Attaquons la racine de la violence domestique »

Raise Brave Girls est une association ayant pour mission de responsabiliser les femmes et les filles à tous les niveaux, par le biais d’ateliers de création et de découverte de soi à travers les arts et la technologie. Elle fournit également une plate-forme sécurisée grâce à la technologie pour que les femmes et les jeunes filles puissent partager leurs messages et leurs histoires.

« Nous devons nous attaquer à sa racine et maintenir le cap, quand il s’agit de campagnes contre la violence à l’égard des femmes »

Prisheela Mottee
Prisheela Mottee, la présidente de Raise Brave Girls.

De plus, l’expertise de cette association consiste à formuler des propositions en matière de budgétisation sexospécifique, d’intégration de la problématique hommes femmes et de mettre en place un système d’alerte, afin de détecter les grossesses précoces et la violence à l’égard des femmes, entre autres. De plus, elle élabore des politiques reposant sur des bases factuelles publiques, explique Prisheela Mottee, la présidente et fondatrice de Raise Brave Girls Association.

Très engagée dans le soutien et l’accompagnement des femmes victimes de violence, Prisheela Mottee affirme que les trois cas de meurtres en 12 jours indiquent que la violence envers les femmes a atteint son apogée dans la société mauricienne. « Elle donne le signe malsain que la violence est normale, alors qu’elle va à l’encontre des droits humains et n’a jamais été une solution à un problème. Nous devons nous attaquer à sa racine et maintenir le cap, quand il s’agit de campagnes contre la violence à l’égard des femmes », martèle Prisheela Mottee.

Et de souligner qu’en cas où un mariage ou une relation ne fonctionne pas, les conjoints doivent discuter de leur vie à deux et trouver un consensus pour la marche à suivre et non pas avoir recours à la violence pour régler leurs différences. « Lorsque nous sommes confrontés à des situations de violence extrême, cela signifie que notre société est malade et qu’elle a besoin d’aide. Par conséquent, il est absolument nécessaire de réviser notre système en passant de l’éducation (formelle et informelle) au cadre juridique, y compris un système de soutien psychologique et émotionnel », dit-elle.

« Lorsque nous sommes confrontés à des situations de violence extrême, cela signifie que notre société est malade et qu’elle a besoin d’aide »

Prisheela Mottee fait également ressortir que Maurice ne peut pas se permettre de perdre plus de femmes à cause de la violence domestique. « En 2018, nous avons eu 1 527 nouveaux cas de violence domestique reconnus. Raise Brave Girls estime que les cas non signalés sont au moins 10 fois plus nombreux. Il est absolument nécessaire d’arrêter toutes les formes de violence y compris le chantage émotionnel. »

La présidente de Raise Brave Girls dira qu’il est également nécessaire de mettre en œuvre une campagne similaire à celle de l’homme qui a été annoncée lors de la Clinton Global Initiative en 2009 pour lutter contre la violence. « L’accent doit également être mis sur les garçons et non pas seulement les filles, car nous devons élever des hommes conscients de leurs émotions, ce qui va les aider  à gérer leurs sentiments dans une relation. »

Soutien psychologique

Prisheela Mottee estime qu’il est essentiel de mettre fin aux stéréotypes tels que « les garçons ne pleurent pas ou ne se comportent pas comme des filles ». Pour elle, il ne faut pas laisser nos garçons être privés de sentiments et d’émotions, juste pour faire correspondre un héritage patriarcal à la violence à l’égard des femmes.

Elle souligne que les femmes victimes de violence ont besoin d’un soutien psychologique et émotionnel. « Il faut leur faire comprendre que ce n’est pas leur faute. Il y a tout un travail intérieur à faire pour que la personne retrouve la confiance en soi et son autonomie. » Dans certains cas, cela peut prendre des années, dira-t-elle. De plus, il ne faut pas que la victime se sente coupable de n’avoir pas quitté son bourreau.

Selon la présidente de Raise Brave Girls, la meilleure attitude consiste à dire : « Je suis avec vous et nous allons y faire face ensemble. »  Et de conclure qu’il est important d’apporter un soutien émotionnel positif à ces femmes et de mettre en place une structure adéquate pour leur permettre de devenir financièrement indépendantes (si nécessaire) afin d’éviter une féminisation de la pauvreté.

 

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