Live News

Violence conjugale : des survivantes sortent de l’ombre  

Photo illustration
Publicité

C’est une réalité cachée que vivent d’innombrables femmes au quotidien. Et qui, malheureusement, s’est avérée fatale pour Jyoti Dussoye, 32 ans. Victime de violence conjugale, cette mère de famille a été retrouvée morte dans son lit, en début de semaine. Qu’est-ce qui pousse une femme à rester auprès de son compagnon malgré les coups ? À quel moment survient le déclic ? Trois survivantes nous en parlent.


Jasmine Toulouse : « Quand ça vous arrive, vous ne le réalisez pas… »   

La première baffe, elle la prend en plein visage en 2008. C’est le début de son calvaire. « Quand ça vous arrive, vous ne le réalisez pas… » raconte la chanteuse Jasmine Toulouse, qui est engagée auprès des femmes victimes de violence conjugale.

Jasmine

« J’ai vécu cette honte de marcher dans la rue, de cacher coups et blessures, de peur d’être jugée et stigmatisée… » À ce sentiment de honte se mêle le souhait de protéger sa famille et « l’honneur » de son bourreau. En ce faisant, dit Jasmine Toulouse, « je tuais ce que j’étais à petit feu ». 
Pendant trois ans, elle souffrira en silence, sa fille Melody pour unique témoin. « J’ai essayé de quitter le toit conjugal à deux reprises, mais je suis restée de peur de ne pouvoir élever mon enfant toute seule », dit-elle. 

Et pourtant, c’est grâce à sa fille qu’elle aura le déclic. « Elle m’a dit “maman, laisse, la police attachera ses mains dans le dos”. À ce moment-là, j’ai réalisé que je ne la protégeais pas en restant dans ce couple. » 

Lorsque Jasmine Toulouse prend enfin conscience que ce n’est pas de sa faute, elle franchit le pas. En 2011, elle quitte enfin son bourreau. « Je me suis dit que je ne voulais plus de cette vie mais, surtout, je ne voulais pas que ma fille vive dans un environnement toxique. » 

La reconstruction après une telle situation n’est pas facile, concède la chanteuse. « Ce n’était pas facile de se reconstruire. Pour nous, les femmes, c’est un échec de ne pas avoir réussi son mariage. » Jasmine Toulouse parle notamment du poids des préjugés auxquels sont confrontés les femmes qui quittent leur conjoint. 

Elle s’appuie sur le soutien de sa famille. « C’est la famille qui joue un grand rôle dans la reconstruction de la survivante », clame-t-elle. Et d’estimer :  « c’est malheureux de voir qu’il y a un manque de soutien envers les victimes. Certains ferment les yeux lorsqu’ils sont témoins de ces actes de violence. »

J’ai essayé de quitter le toit conjugal à deux reprises, mais je suis restée de peur de ne pouvoir élever mon enfant toute seule "

Dans son cas, Jasmine Toulouse a pu compter sur ses proches. « Je ne remercierai jamais assez ma famille de m’avoir épaulée dans tous mes projets. Car même en étant une mère célibataire qui travaillait, j’ai réussi à compléter mes études supérieures. C’est une immense fierté », souligne-t-elle. 
Pour Jasmine Toulouse, la leçon à retenir, c’est qu’il ne faut pas se mettre de barrières. « Il faut juste faire un pas en avant. »

Aujourd’hui, c’est une femme épanouie, qui a refait sa vie. Mariée et mère de deux enfants, elle attend un heureux événement. Elle confie qu’il lui a fallu des années avant de se remettre en couple et d’accepter de dévoiler sa vulnérabilité à l’autre. « Mais si on ne met pas cette frayeur de côté, on ne saura jamais si on aurait pu être heureuse. Nous méritons une seconde chance, celle d’être tout simplement heureuses. »


Sabine :« Je suis attristée et en colère »  

« Les coups ont surgi de nulle part au bout de cinq ans de relation… Je ne le reconnaissais plus. » De là, les choses iront de mal en pis, raconte Sabine (prénom d’emprunt), 24 ans. Elle restera au total huit ans avec le père de ses quatre enfants, avant de le quitter en les emmenant. Aujourd’hui, ils ont trouvé refuge au centre de l’ONG Passerelle.

« J’avais constamment peur. Je ne savais jamais quand cela allait se produire. Il me frappait sans raison », relate la jeune femme, en évoquant les trois dernières années de leur relation. « Les enfants et moi devions faire face à ses sautes d’humeur. Il n’avait aucun scrupule, il me frappait même devant les enfants », ajoute-t-elle.

Sabine tentera de raisonner son compagnon. En vain. Jusqu’à ce qu’elle se décide enfin à s’en aller. « Mes enfants vivaient dans la peur. Ils étaient complètement traumatisés par la situation et il fallait que je les sorte de cet environnement. »

Prenant son courage à deux mains, elle passe à l’acte un beau jour. Dans un premier temps, elle se réfugie chez une tante. « Mais ma sœur m’a conseillé de me diriger vers un refuge pour les survivantes et je l’ai écoutée. » 

Depuis que ses enfants et elle sont au centre de l’ONG Passerelle, elle raconte qu’ils sont « beaucoup plus sereins ». Certes, le traumatisme est encore présent, dit-elle. Au-delà de la tristesse, elle confie ressentir de la colère : « Mais petit à petit, je travaille à ma reconstruction. »

Avec l’aide de Passerelle, Sabine tente de se remettre sur pied. « Grâce au soutien du refuge, j’ai réussi à scolariser mes enfants. Leur éducation est primordiale pour moi. » La jeune femme va, quant à elle, se lancer dans un cours en Web Development dans l’optique de décrocher un job. « J’ai toujours rêvé de travailler dans l’hôtellerie. J’avais même suivi un cours à l’école Vatel, mais j’ai dû abandonner mes rêves à cause de la personne avec qui j’étais », dit-elle.

Aujourd’hui, assure-t-elle, ses priorités sont tout autres : « Mon rêve, c’est de pouvoir offrir une maison et un environnement sain à mes enfants, où ils pourront s’épanouir pleinement. »


Joanna :« Je croyais que j’allais y laisser la vie »  

Au début, elle croit vivre un véritable conte de fées. Joanna (prénom d’emprunt) déchantera vite. Lorsque son compagnon tombe dans le piège de la drogue synthétique, sa vie de couple bascule.

Photo illustration

« Il me frappait lorsque je n’étais pas en mesure de lui procurer l’argent qu’il réclamait pour acheter ses doses de drogue. Il n’hésitait pas à voler mon argent », raconte la jeune femme de 24 ans, qui souffre d’épilepsie. Dans un premier temps, elle refuse de le quitter. « Je pensais qu’il allait changer. »
De guerre lasse, Joanna finit par se rendre dans un refuge. Son compagnon ne l’entend pas de cette oreille. « Il m’a baratinée. Il disait qu’il allait changer et qu’il n’allait plus lever la main sur moi. Il disait qu’il allait m’emmener à Rodrigues. Je l’ai cru. »

À leur retour à Maurice, le calvaire de la jeune femme reprend de plus belle. À un moment, ils se sont même retrouvés à la rue. « J’ai connu la violence en pleine rue. Il était sans scrupule, il me rouait de coups, même lorsque je tombais dans les pommes. J’ai voulu fuir, mais il m’attachait lorsqu’il allait au travail. J’étais impuissante. Je croyais que j’allais y laisser la vie… »

Cet enfer durera trois ans. Jusqu’à ce qu’un bon Samaritain lui tende la main. C’était à l’époque du confinement. Des bénévoles distribuaient alors des repas chauds aux SDF. Joanna se confie à l’un des volontaires. « J’ai pris toutes mes affaires et j’ai accompagné le responsable d’une ONG au poste de police pour faire une déposition. Ils m’ont ensuite dirigée vers un refuge. »

Aujourd’hui, Joanna n’a qu’un objectif, reprendre confiance en elle et se reconstruire. « Après tout ce que j’ai subi, cela me prendra du temps, mais j’y travaille. Je veux me retrouver et avancer dans la vie. » Grâce au soutien d’une conseillère, poursuit-elle, elle envisage de suivre un cours dispensé par le Human Resource Development Council. 

J’ai connu la violence en pleine rue. Il était sans scrupule, il me rouait de coups, même lorsque je tombais dans les pommes. J’ai voulu fuir, mais il m’attachait lorsqu’il allait au travail "

« Aujourd’hui, je fais de moi-même une priorité. Je veux me concentrer sur mon évolution. Je souhaite être indépendante. Je suis tombée, mais je me relèverai et je serai plus forte qu’avant. » 


 

La réhabilitation de l’agresseur réclamée

En 2020, 2 425 cas de violence conjugale ont été enregistrés, contre 2 222 en 2019. Ce qui représente une hausse de 9,1 %. Malgré la mise en place de plusieurs mesures visant à protéger les femmes, dont l’application Lespwar, qui permet aux victimes d’alerter la police et les autorités concernées grâce à un Panic button, pourquoi la violence conjugale est-elle aussi difficile à endiguer ? Quelles sont les mesures qui doivent être prises ?


Anushka

Anushka Virahsawmy, Country Director de Gender Links : « Les auteurs de violences conjugales récidivent »

Son constat : les auteurs de violences conjugales « récidivent dans la plupart des cas ». Ce qui fait dire à Anushka Virahsawmy, Country Director de Gender Links, qu’« aujourd’hui, c’est alarmant qu’il n’y ait pas de suivi avec eux ». Pour elle, ce suivi est primordial. « L’agresseur doit pouvoir avoir recours à l’aide dont il a besoin, ou être puni pour ses actes. »

N’empêche que pour attaquer le problème à la racine, l’éducation reste essentielle. Et sur ce point, Anushka Virahsawmy est d’avis que « c’est tout une éducation à refaire ». L’enfant qui grandit dans un milieu où l’agression est normalisée, intègre cet acte comme un moyen de s’exprimer quand on n’est pas d’accord, fait-elle comprendre.

Et de noter : « Il n’y a pas de formation dès le jeune âge, où la violence sexiste devient un sujet à part entière. Si c’était le cas, on aurait pu éduquer sur la hausse de la violence conjugale à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. »

Dans la foulée, la Country Director de Gender Links relève des anomalies qui, pour elle, doivent être corrigées. « La victime est contrainte de quitter sa maison, alors que le coupable est installé confortablement chez lui. C’est le monde à l’envers ! » Elle n’en démord pas : « La survivante doit avoir le droit de rester dans sa maison avec ses enfants. »

Dans le même ordre d’idée, Anushka Virahsawmy indique : « on ne peut blâmer les femmes qui retournent vivre avec leur partenaire violent. Toutefois, grâce à un soutien nécessaire, elles peuvent faire quelque chose de positif pour se reconstruire. »   

En revanche, se réjouit-elle, il y a eu une nette amélioration dans la prise en charge des victimes par la police. « C’est dû aux formations qu’ils ont reçues de plusieurs associations, dont Gender Links. »


Marie-Noëlle
 

Marie-Noëlle Elissac-Foy, porte-parole de la Plateforme Stop Violans Kont Fam :  « Sortir l’homme  de ce cycle de violence »  

Les femmes savent-elle identifier la dangerosité d’une relation ou les signes de danger ? Non, selon la porte-parole de la Plateforme Stop Violans Kont Fam. Et c’est aussi le cas de l’entourage, dans bien des cas. 

« Il est important de sensibiliser les femmes et les jeunes filles sur les premiers signes d’une relation toxique. Afin qu’elles prennent conscience qu’une baffe peut basculer vers un coup de poignard, laissant derrière des orphelins, comme dans le cas de Jyoti Dussoye », insiste Marie-Noëlle Elissac-Foy.  
La police, poursuit-elle, a également un rôle fondamental à jouer. « La police doit être vue comme faisant partie de la solution. » Car, fait-elle ressortir, « une réponse effective, efficace et rapide de la police peut permettre de sauver des vies ». Il faut donc, estime Marie-Noëlle Elissac-Foy, continuer de sensibiliser les policiers « sur l’importance de croire les victimes, de reconnaître où est le danger et de protéger ces victimes ».  

Mais afin d’endiguer ce fléau, la porte-parole de la Plateforme Stop Violans Kont Fam plaide pour un accompagnement de la victime et la réhabilitation de l’agresseur. « Nous devons avoir un programme qui aide l’homme violent, afin de mettre le doigt sur la cause de cette violence et de le sortir de ce cycle. » Elle estime que « tant que nous ne prenons pas en considération cette partie de l’équation, nous n’avancerons pas dans le combat contre la violence faite aux femmes ». 

Marie-Noëlle Elissac-Foy est catégorique : « C’est un travail collectif. Il faut voir la reconstruction de la victime, mais aussi la réhabilitation de l’agresseur, pour enrayer le cycle de violence. »

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !