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Vasant Bunwaree : «Je souhaite que le peuple fasse preuve de discernement lors des élections générales»

Ancien ministre des Finances, du Travail et de l’Éducation, Vasant Bunwaree est aujourd’hui à la tête de Rassemblement pour l’Avancement Moris, regroupement de plusieurs partis extraparlementaires. Il prône un changement d’approche et de philosophie pour amener Maurice vers un autre palier du développement social et économique, et revient aussi sur le bras de fer entre le gouvernement et Business Mauritius autour du réajustement salarial.

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En tant qu’ancien ministre des Finances (novembre 1996 – septembre 2000) et ancien ministre du Travail (8 juillet 2005 – 13 septembre 2008), comment voyez-vous ce bras de fer entre Business Mauritius et le gouvernement autour du réalignement salarial ? Qui a finalement raison dans ce conflit ?
De mon point de vue, ni l’un ni l’autre n’a raison dans ce bras de fer. Les torts sont partagés. Le gouvernement a agi brusquement, sans aucune prise de contact préalable avec le patronat. Cependant, ce dernier non plus n’a pas eu la décence d’engager un dialogue civilisé avec le gouvernement avant d’annoncer unilatéralement des consignes à ses membres. Pour moi, c’est l’absence de dialogue qui est à la source de ce conflit.

Ni le gouvernement ni Business Mauritius n’a raison dans ce bras de fer. Les torts sont partagés»

Est-ce, selon vous, avant tout une question politique à la veille des élections générales ?
En partie, oui. Le gouvernement s’est trouvé dans l’obligation d’agir rapidement parce que la décision d’augmenter le salaire minimum de Rs 11 575 à Rs 16 500 est à l’origine du problème auquel nous assistons aujourd’hui. Cela a automatiquement provoqué des anomalies pour d’autres salariés, créant une injustice flagrante pour ces catégories de travailleurs. Il était donc impératif d’apporter des corrections, non seulement pour éliminer les injustices, mais surtout pour éviter la frustration de ceux qui ont été lésés et qui auraient eu d’excellentes raisons de manifester leur colère et de se retourner contre le gouvernement en cette période électorale.

Aurait-il fallu reporter sa mise en application après les élections générales ?
Non. L’anomalie a été créée dès décembre 2023, lorsque le salaire minimum a été revu à la hausse. D’ailleurs, c’était ma réaction dès l’annonce du réajustement salarial : il aurait fallu appliquer la réactivité à partir de janvier 2024, et non en juillet 2024, contrairement à ce que le gouvernement a recommandé.

Certains économistes soutiennent que les hausses de salaires et des pensions ont un effet néfaste sur l’inflation. Partagez-vous cette opinion ?
C’est un raisonnement logique de cause à effet dans la mesure où la masse d’argent en circulation augmente. Mais je peux vous dire, en tant qu’ancien ministre des Finances, qu’il y a tellement d’autres paramètres à considérer pour limiter l’inflation et le coût de la vie à des taux acceptables. Parmi ceux-ci, le prix de l’essence, les coûts du fret ou encore les taux d’intérêt. 

Mais, il y a aussi des types d’aide, comme l’aide au logement, à l’éducation, à la santé, à la vie tout court, qui devraient être plus personnalisées et dirigées vers une hausse du niveau de vie plus adaptée aux besoins des familles, selon leurs revenus et moyens. Pour ne prendre que quelques exemples que j’ai moi-même introduits dans notre système, je vous rappelle l’aide pour couler la dalle des maisons en construction ; les critères sociaux dans le système des lauréats (HSC) ; les « cash grants » pour les enfants qui naissent et pour les trois anniversaires allant de 1 à 3 ans ; l’augmentation sensible des salaires pour les enseignants dans les centres culturels après les heures de classe. 

Je pense aussi à l’égalisation des niveaux de salaires des enseignants du primaire à ceux du secondaire pour diplômes équivalents, le versement d’un salaire pendant un an après perte d’emploi, et j’en passe. 

Au RPLM (Rassemblement pour l’Avancement Moris), nous sommes pour le partage plus équitable du gâteau national, où la solidarité et l’équité doivent primer, où ceux qui possèdent doivent consentir à faire plus de sacrifices par rapport à ceux qui ne possèdent pas. 

Un partage ne doit pas se faire uniquement par l’argent mais aussi par différents autres moyens de soutien. C’est dans cette optique qu’au nom du RPLM, j’ai proposé d’introduire dans notre système la notion de « Participation à l’actionnariat des entreprises ». Je compte mener campagne pour que cela devienne une réalité. Cependant, cela doit se faire dans le dialogue avec le patronat.

L’alliance PTr-MMM, le principal challenger du gouvernement, semble être une alliance contre-nature, ressemblant à un fourre-tout»

Il y a deux semaines, le Rassemblement pour l’Avancement Moris, dont vous faites donc partie, a été lancé. Cette alliance réunit plusieurs partis, dont l’Union socialiste mauricienne, le Mouvement travailliste militant, le Mouvement mauricien socialiste militant et le Regroupement des diasporas de France. Pourquoi cette alliance, et sur quelle base fonctionne-t-elle ?
C’était nécessaire, car le pays traverse des moments extrêmement difficiles et se trouve à la croisée des chemins. L’économie est en grande difficulté. Les paramètres économiques sont inquiétants, tandis que les chiffres présentés par le gouvernement sont sérieusement contestés par des experts. De plus, la gestion du pays souffre d’une forme d’incompétence, où les valeurs en politique n’existent plus et où le népotisme, la corruption, la mauvaise conduite et les méthodes non démocratiques sont devenus incontrôlables. 

À cela s’ajoute le fait que l’alliance PTr-MMM, le principal challenger du gouvernement, semble être une alliance contre-nature, ressemblant à un fourre-tout. Dans ces circonstances, des gens de bonne volonté, ayant une vision claire de l’avenir, une intégrité et une crédibilité reconnues, se sont regroupés pour unir leurs forces avec l’objectif de proposer une véritable alternance aux partis traditionnels. L’ambition est de transformer notre pays et d’apporter un véritable changement.

Allez-vous présenter 60 candidats ?
Tout dépend de la date des élections générales. Nous travaillons et évoluons dans ce sens. Dans l’immédiat, notre approche consiste à placer une tête d’affiche dans chaque circonscription, qui aura la responsabilité de mettre en place une équipe, en accord avec les directives du parti. Être candidat chez nous exige de nombreuses qualités, telles que la sincérité, l’honnêteté, et d’autres indispensables pour un regroupement politique respectueux.

Comment, aujourd’hui, avoir une chance de se faire élire sans beaucoup de moyens financiers et sans une grande logistique ?
C’est vrai que les moyens financiers sont un véritable facteur limitant au bon déroulement d’une campagne. Et je pense que c’est encore plus vrai pour cette campagne en particulier. Nous serons face à des géants qui n’hésiteront pas à utiliser des moyens occultes pour mener une campagne infestée de méthodes malsaines. Nous comptons, en tout cas, sur le bon sens, la lucidité et le patriotisme de nos compatriotes. Je souhaite que le peuple fasse preuve de discernement et choisisse les meilleures personnes pour le représenter.

Nous serons face à des géants qui n’hésiteront pas à utiliser des moyens occultes pour mener une campagne infestée de méthodes malsaines»

Êtes-vous ouverts à des pourparlers avec d’autres regroupements ou alliances ? Si oui, lesquels ?
Engager des pourparlers, c’est beaucoup dire. En réalité, il existe d’autres regroupements, voire des partis bien établis, qui partagent les mêmes valeurs que nous. Nous sommes en discussions avec certains d’entre eux, notamment après certaines de nos prises de position officielles, qui semblent avoir été bien reçues.

Et avec le MSM et ses alliés ?
Pas vraiment. Ni avec le MSM et ses alliés, ni avec l’Alliance du Changement. Cela dit, dans un esprit de civilité, nous maintenons de bonnes relations avec les uns et les autres. D’autant que, dans la conjoncture actuelle, il n’est pas impossible que l’électorat crée la surprise en privilégiant la compétence et la crédibilité des personnalités en lice. Dans ce cas, il est possible que nous soyons appelés à travailler avec d’autres, en fonction de notre programme et de nos projets.

Avec le recul, regrettez-vous d’avoir quitté le Parti travailliste (PTr) en novembre 2014 ?
Non, je ne le regrette pas. La politique est ce qu’elle est ; il faut accepter la réalité et vivre avec son temps. Si seulement le leader du PTr m’avait écouté, la situation ne serait pas celle qu’elle est aujourd’hui. Le PTr aurait continué à gérer l’avenir du pays. Malheureusement, personne d’autre au bureau politique du parti n’a osé se lever par ambition personnelle, et tous ont finalement mordu la poussière. Les faits ont prouvé que c’est moi qui avais raison.

Selon vous, quelles industries devraient être prioritaires pour stimuler la croissance économique à long terme ? 
Il y a beaucoup à dire à ce sujet, mais pour aller vite, je vais seulement dire ce que nous préconisons à RPLM. Nous prônons la consolidation, voire l’expansion solide des secteurs tels que le tourisme, l’agriculture qui doit se tourner vers l’autosuffisance alimentaire, un meilleur fonctionnement de notre centre financier et offshore, avec une stimulation des échanges Ouest-Est et Est-Ouest. 

Il faut surtout accorder beaucoup d’attention à l’industrie océanique, qui jusqu’ici a été un « non-starter » et sera certainement un grand plus pour notre développement, en créant des emplois pour des générations de Mauriciens. Nous avons déjà lancé la campagne « Moris nou gran pei », avec ses 2,3 millions de km² de Zone économique exclusive. 

Nous ne désespérons pas. Avec le RPLM dans un nouveau gouvernement, nous bougerons Maurice et la ferons avancer vers un vrai changement.

Quel est votre avis sur l’équilibre entre la protection des travailleurs et la nécessité de créer un environnement propice aux entreprises ? 
Cet équilibre est nécessaire dans tout système tripartite qui se respecte. Il est essentiel que les diverses institutions fonctionnent avec vigilance et dans la transparence pour favoriser une véritable justice sociale, le droit à la vie et à une existence saine. Dans les lois du travail de 2007, j’ai introduit la notion de négociation collective qui, selon moi, doit être régulière et constituer une plateforme fonctionnelle. Cela fonctionne, mais cela doit être constamment soutenu et renforcé pour s’assurer du maintien de cet équilibre indispensable à la survie du système.

Comment Maurice peut-elle mieux intégrer les jeunes diplômés dans le marché du travail pour réduire le chômage des jeunes ? 
Je suis triste de constater que cette question est toujours à l’agenda. C’est un problème fondamental qui trouve ses origines dans le système d’éducation, du pré-primaire à l’enseignement supérieur. La faille que je soulève réside dans une faiblesse de la démocratie, où le gouvernement et les responsables changent, et où le bon travail accompli n’est plus pris en compte. C’est ainsi que ce problème que vous mentionnez perdure, sans oublier l’éternel problème de « mismatch ». 

J’avais introduit le HSC Pro, qui existe toujours mais n’est pas encouragé à sa juste valeur, ainsi que la formation pré-voc et professionnelle adaptée aux entreprises, avec une vision très avant-gardiste où le Human Resource Development Council devait être le guide. Il y avait aussi la création d’une plateforme de « Career guidance » à l’école. Mais tout cela est tombé à l’eau après mon départ. 

À la place, je vois des initiatives comme l’Extended Programme, qui a été et demeure un échec flagrant, et qui ne fait que perpétuer ce mal qui conduit les jeunes, y compris les jeunes diplômés, à payer pour l’incompétence des autres.

Pensez-vous que Maurice devrait revoir son modèle de développement économique, en particulier avec les défis environnementaux et les changements climatiques à venir ?
Tout à fait. Sachez que l’économie n’est jamais statique. Elle évolue sans cesse en fonction de nombreux facteurs et doit prendre en compte des événements nationaux et internationaux. Maurice doit absolument adapter son modèle de développement économique. Notre modèle a su s’adapter dans le passé aux nombreux changements en réformant certains secteurs, voire en incorporant de nouveaux, comme le tourisme, l’exportation, l’industrie de transformation des poissons et fruits de mer, le secteur financier, l’immobilier, la construction, entre autres. Cependant, aujourd’hui, l’environnement est devenu une variable incontournable qui doit trouver une place clé dans notre économie. 

Maurice doit respecter les accords internationaux qu’il a signés. Nous devons investir massivement dans le secteur des énergies renouvelables, en produisant par exemple de l’énergie à partir de l’océan, avant de passer à une économie dépendant de l’hydrogène produit à partir de l’eau de mer, et enfin de l’électricité issue de l’énergie éolienne via l’électrolyse. Ainsi, nous pourrons réduire les effets du réchauffement climatique, diversifier davantage notre économie, créer des emplois bien rémunérés, ouvrir de nouveaux créneaux, et protéger l’environnement en réduisant les émissions de CO2 et de gaz à effet de serre.

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