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Stephanie Ha Yeung, Manager d’ANFEN : «L’échec scolaire ne définit pas la valeur d’un jeune»

Stephanie Ha Yeung

L’Adolescent Non-Formal Education Network (ANFEN), à travers ses 21 centres répartis sur l’île, propose une éducation alternative, adaptée aux réalités des jeunes exclus ou décrocheurs du système scolaire traditionnel. Parmi ces centres, l’École culinaire Aline Leal transforme des parcours brisés en vocations durables. Stephanie Ha Yeung, nouvelle Manager d’ANFEN, revient sur les ambitions et les défis de ce projet porteur d’espoir.

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« Abandonner un adolescent en difficulté, c’est le condamner à la marginalisation, à la précarité et parfois à la délinquance »

Au-delà des fourneaux, quel est le concept de l’École culinaire Aline Leal ? 
L’École culinaire Aline Leal (ECAL) est un projet conçu par ANFEN pour répondre à une question : comment rendre employables nos jeunes en difficulté scolaire ? Nous avons choisi la cuisine comme vecteur de transformation. 

Notre approche repose sur trois axes complémentaires : la pédagogie inclusive, l’accompagnement psychosocial, et l’employabilité. Au-delà des compétences techniques en Food Production (niveau NC3), l’ECAL transmet également des compétences de vie essentielles telles que le respect, la solidarité, l’esprit d’équipe, la persévérance et la confiance en soi, permettant aux jeunes de se reconstruire et de se projeter dans un avenir professionnel et personnel digne. 

Les jeunes qui se retrouvent dans nos centres viennent d’un contexte où leurs perspectives d’avenir professionnel ont été posées comme étant limitées ou quasi-inexistantes. Ce sont des croyances qu’ils ont imprimées en eux et que nous nous efforçons de briser pour leur permettre de voir plus loin, en se focalisant sur leur potentiel et où nous pouvons les amener. 

Notre école culinaire vient donner une perspective concrète d’avenir professionnel qu’ils peuvent explorer s’ils le souhaitent. Cela fait partie de l’axe vocationnel et employabilité d’ANFEN. 

Parlez-nous de vos élèves. 
Ce sont des jeunes qui n’ont pas trouvé leur place dans le système scolaire traditionnel pour différentes raisons, souvent liées à une vulnérabilité socio-économique ou familiale. Certains ont connu l’adversité, des parcours de vie difficiles, souvent marqués par des problèmes personnels et familiaux. Ils sont arrivés dans un des centres ANFEN, puis ensuite à l’ECAL, comme une suite logique de leur parcours et pour une ouverture vers cette perspective d’avenir professionnel. Ce qui est sûr, c’est qu’ils viennent à l’ECAL avec une envie de se reconstruire et de réussir autrement. 

À ce jour, combien de jeunes ont été formés par l’ECAL ?
Notre premier groupe a passé les examens l’année dernière. Neuf élèves ont été formés et certifiés. Cette année, nous sommes très fiers d’annoncer que les 7 du second batch ont tous réussi. 

Quels sont les critères et étapes pour rejoindre ce programme culinaire ?
Les inscriptions peuvent se faire dès le mois de décembre. Nous organisons une session d’information au mois de janvier et les intéressés envoient leur vidéo de motivation. La sélection est faite lors d’un entretien avec l’équipe d’ECAL.

Stebane Sineyah a réussi le cours en Food Production (niveau NC3) avec brio. Qu’est-ce qui vous a marquée dans son parcours ?
Je dirais que c’est sa résilience et sa volonté de vouloir s’en sortir dans la vie. Malgré un parcours de vie difficile, marqué par des problèmes personnels et familiaux qui prenaient souvent le dessus, il a su se relever. 

La résilience est l’une des caractéristiques que nous essayons de développer dans tout le parcours scolaire de vie d’ANFEN. C’est la clé pour avancer sur une route semée d’embûches. Nous sommes très fiers de lui, mais aussi de tous nos élèves.

Quels étaient ses premiers défis en arrivant à l’école culinaire ? 
Au départ, ses difficultés de vie interféraient beaucoup avec son apprentissage. Les absences répétées et le manque de repères affectaient sa capacité à progresser. La discipline de vie, la persévérance et le respect sont essentiels dans ce que nous essayons d’inculquer et les élèves en sont conscients. Et s’ils ne le sont pas au début, ils y adhèrent au bout d’un certain temps. 

Comment avez-vous perçu son évolution tant sur le plan technique que personnel ? 
Du côté technique, Stebane a gagné en assurance et en compétences. Sur le plan personnel, il a retrouvé confiance en lui et il a su construire sa résilience.

« Ces jeunes viennent à l’École culinaire Aline Leal avec une envie de se reconstruire et de réussir autrement »

Quelle est la mission de votre école vis-à-vis des enfants en difficulté ? 
Notre mission, c’est d’offrir une seconde chance éducative et professionnelle à travers un cours de Food Production (niveau NC3). Mais, l’ECAL ne se limite pas à former des cuisiniers. Nous reconnectons des jeunes avec l’apprentissage, nous les aidons à se reconstruire sur le plan personnel et à se projeter vers un avenir plein d’espoir.

Pourquoi avoir choisi de donner une chance à ceux qui ont échoué dans le système scolaire traditionnel ? 
L’échec scolaire ne définit pas la valeur d’un jeune. Souvent, c’est le système qui a échoué et qui n’a pas su s’adapter à ses besoins, surtout lorsque ce jeune a été confronté à l’adversité. Abandonner un adolescent en difficulté, c’est le condamner à la marginalisation, à la précarité et parfois à la délinquance. Chez ANFEN, nous avons choisi de redonner espoir, dignité et perspectives à ceux que le système a laissés de côté.

Comment préparez-vous ces jeunes à croire en eux à nouveau ? 
Nous croyons profondément au potentiel de nos jeunes. Souvent, il leur manque simplement cet extra push, cet encouragement et cette preuve que quelqu’un croit en eux. Dans la bienveillance, nous leur montrons qu’ils peuvent réussir et qu’ils sont capables de transformer leur vie. Tout se fait à travers un accompagnement psychosocial, une approche pédagogique inclusive et aussi par la transmission de valeurs humaines. 

Mais, il y a aussi un autre levier essentiel pour assurer ce petit plus vers l’employabilité, notamment la formation technique et des compétences professionnelles. En les formant à un vrai métier et en leur donnant des compétences reconnues par le marché du travail, ils réalisent qu’ils ont une place dans la société et une voie concrète vers l’autonomie. C’est cette combinaison entre soutien humain et compétences professionnelles qui leur redonne confiance et foi en leur avenir.

Quelles valeurs cultivez-vous chez vos élèves au-delà de la cuisine ?  
La solidarité, le respect, l’intégrité, la persévérance et l’esprit d’équipe. Ce sont ces valeurs qui font non seulement un bon professionnel, mais surtout un adulte responsable et confiant en son avenir.

Selon vous, en quoi la méritocratie peut-elle transformer des vies ? 
La méritocratie peut transformer des vies en donnant à chacun la possibilité de réussir grâce à ses efforts et son engagement, indépendamment de sa classe sociale, de son passé ou de ses difficultés. 

Comment distinguez-vous le mérite dans un parcours atypique comme celui-ci ? 
Pour ANFEN, qu’il s’agisse d’un parcours atypique comme celui de Stebane Sineyah ou de n’importe quel parcours, le mérite se distingue par la capacité à surmonter des obstacles de la vie pour se relever et avancer en prenant l’engagement ferme de transformer sa vie et de la rendre meilleure. Dans le cas de Stebane, c’est cette combinaison d’efforts, de persévérance et de transformation personnelle qui rend son succès particulièrement remarquable.

Pensez-vous que le système éducatif traditionnel laisse trop peu de place à la seconde chance ? 
Le système d’éducation classique (publique) a tendance à appliquer un modèle unique. Mais, les capacités d’apprentissage et le développement du potentiel des enfants et des jeunes sont divers et variés et dépendent de nombreux facteurs. 

À ANFEN, nous croyons en le besoin de proposer à l’élève qui échoue dans ce système une approche différente. Notre complémentarité avec le système scolaire classique prend là tout son sens, car c’est précisément ce que nous offrons via l’ECAL mais aussi dans tous nos centres. 

Que diriez-vous à ceux qui pensent que l’échec scolaire est une fatalité ? 
L’échec scolaire n’est pas une fin en soi et ne définit pas qui ils seront, à condition qu’ils ne s’arrêtent pas à cet échec et qu’ils envisagent d’autres cadres et contextes d’apprentissage. Il est possible pour un jeune de se reconstruire, de retrouver la confiance en soi et de surmonter les échecs si on lui présente les opportunités et un soutien adapté.

Qu’avez-vous ressenti en apprenant que Stebane Sineyah a obtenu une distinction pour le cours Food Production (niveau NC3) ? 
J’ai ressenti de la fierté et une grande joie pour lui. 

Comment cette réussite a-t-elle impacté l’équipe pédagogique ? 
Elle a renforcé la motivation et la confiance de l’équipe et elle montre que notre approche éducative basée sur la seconde chance fonctionne réellement.

Que représente pour vous cette réussite, au-delà du diplôme ?  
La réussite de Stebane Sineyah va bien au-delà du diplôme qu’il a obtenu. Aujourd’hui, il a retrouvé confiance en lui et il se reconstruit. Il est la preuve qu’un jeune fragilisé par l’adversité peut se relever à condition qu’on croie en lui et qu’on lui donne des moyens d’y arriver.

Que souhaitez-vous pour lui dans les années à venir ? 
Je souhaite qu’il continue à persévérer, à croire en lui et à se construire un avenir stable et épanouissant.

Pensez-vous que son histoire peut inspirer d’autres jeunes en difficulté ? 
Absolument. Son parcours montre que la résilience et le travail portent toujours leurs fruits et qu’il est possible de se relever après des échecs.

Pour clore cet entretien, quel message aimeriez-vous transmettre aux parents d’enfants qui ont échoué à l’école ? 
L’échec scolaire n’est jamais définitif. Il existe des associations et des structures qui offrent des opportunités concrètes de seconde chance. En tout cas, les centres-membres du réseau ANFEN existent et complètent l’offre éducative proposée dans le système scolaire traditionnel. 

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