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Stebane Sineyah, 19 ans : le goût de la résilience

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Il a surmonté abandon, violences et solitude. Aujourd’hui, portant fièrement sa veste de cuisinier, une distinction en Food Production (niveau NC3) en poche, Stebane Sineyah nous livre une véritable leçon de courage et de résilience face à l’adversité.

« Ma passion pour la cuisine est devenue ma manière de reprendre le contrôle de ma vie et de transformer les blessures de mon enfance en saveurs »

L’odeur du sucre et du beurre chaud flotte dans la salle de pâtisserie de l’école culinaire Aline Leal, à Port-Louis. Les rires de ses camarades résonnent tandis qu’ils façonnent des muffins aux raisins. Stebane Adriano Sineyah s’avance vers nous. Son regard est discret, sa démarche assurée. Légèrement réservé, il s’installe autour d’une table en bois. Dès les premiers mots, sa voix se pose et son histoire se dévoile.

À 19 ans, Stebane a traversé des tempêtes que peu de jeunes pourraient imaginer : abandon, instabilité familiale, solitude. Et pourtant, il porte aujourd’hui sa distinction en Food Production (niveau NC3) avec fierté, fruit d’un projet de l’Adolescent Non-Formal Education Network (ANFEN). « Je suis très content de cet accomplissement. Ma passion pour la cuisine est devenue ma manière de reprendre le contrôle de ma vie et de transformer les blessures de mon enfance en saveurs », confie-t-il.

Stebane avait trois ans lorsque sa famille s’est disloquée. Son père, maçon, s’éloignait progressivement des responsabilités, laissant la tension s’installer. Sa mère, pâtissière, quitte le foyer pour Bel-Air. Le départ marque le début d’un chemin semé d’embûches : déménagements incessants, repères fragiles, impression d’un monde instable autour de lui.

À l’école de Bel-Air, il se souvient d’une baignade qui aurait pu être fatale. Il avait alors 7 ans. « Comme je ne suis pas allé à l’école après que j’ai failli me noyer dans cette rivière, tout le monde pensait que j’étais mort alors que moi, je me faisais soigner pour une terrible infection au nez », raconte-t-il, ironique, mais la gravité plane dans ses yeux.

Stebane Sineyah a décroché une distinction en Food Production (niveau NC3).
Stebane Sineyah a décroché une distinction en Food Production (niveau NC3).

Nouveau déménagement, à Vacoas cette fois. Bien que modeste, la maison avec une chambre où il vit avec sa mère, sa grand-mère et sa sœur, offre la sensation précieuse de famille retrouvée. Ses parents se réconcilient et l’oncle s’installe. 

Six mois plus tard, la sérénité s’échappe encore. Le père et l’oncle partent, et Stebane, une fois de plus, affronte l’instabilité. Malgré tout, il décroche de justesse son Certificate of Primary Education et poursuit ses études au collège Eden jusqu’en Form III (Grade 9).

Lorsque sa mère refait sa vie et déménage avec son nouveau compagnon à Bel-Air, Stebane la suit, espérant un nouveau départ. Mais le rêve d’une maison NHDC s’éteint au profit d’un terrain à cultiver. Après un an, violences verbales et physiques viennent troubler ce foyer fragile. Stebane, adolescent, refuse de rester spectateur : il protège sa mère, confronté à la dureté de la vie.

À 14 ans, il se réfugie dans les amitiés de quartier. L’alcool devient une échappatoire. « Nou ti pe met enn koste pou aste labier ou rom. » L’école, paradoxalement, devient son sanctuaire. « Mo ti prefer al lekol ki res dan lakaz pou pa gagn maltrete. » 

Mais l’intégration dans son nouveau collège est difficile : sentiment d’exclusion, appartenance ethnique stigmatisée. « On me le faisait ressentir. J’avais même décidé de ne plus répondre à un des enseignants, mais je faisais mes devoirs. D’ailleurs, j’ai été surpris d’avoir de bonnes notes en maths. Je ne l’aurais jamais imaginé. »

Fragilisé mais résilient, il poursuit sa route. « J’aurais aussi pu sombrer dans un fléau auquel j’ai été exposé lors de mon adolescence. Mais, j’avais déjà compris que je ne voulais pas de ce type de vie. »

Les tensions s’intensifient jusqu’au jour où sa famille se retrouve à la rue. Un nouveau foyer lui offre un semblant de paix, mais sa mère, souffrant de douleurs, cesse de travailler et sombre dans la dépression.

Un jour, par hasard, une rencontre change le cours des choses : une femme propose un emploi à sa mère. Celle-ci s’épanouit à nouveau, entame une relation amoureuse, et annonce à Stebane qu’il peut désormais vivre seul. Nouveau sentiment d’abandon. 

Stebane Sineyah entouré de ses instructeurs et camarades de classe.
Stebane Sineyah entouré de ses instructeurs et camarades de classe.

Livré à lui-même, il s’appuie sur ses amis, mais l’argent manque. Les repas se font rares, le frigo vide. Il vit chez des proches, fait de petits travaux comme « bat sima » pour gagner quelques sous, mais ses proches le renvoient bientôt.

Ses résultats scolaires tombent : il échoue. Il se tourne vers son père. Ce dernier prétexte un travail à l’étranger. « Est-il parti ? » demandons-nous. « Non. Il est toujours là », sourit Stebane. Sans toit, il dort une semaine au bord d’une digue, se lave et se nourrit grâce à l’amitié. Finalement, le père de son meilleur ami le recueille et Stebane retourne à Vacoas.

Après deux mois d’inactivité, il tente de devenir animateur, puis envisage la coiffure pour travailler sur des croisières, mais le coût est prohibitif. L’oncle de son ami lui ouvre la porte de l’École culinaire Aline Leal. Pour être accepté, il réalise une vidéo de présentation : « Je savais frire un œuf, et c’est à peu près tout. » 

Les débuts sont compliqués : il se lasse vite de la théorie, et les stages hôteliers sont difficiles. 

« Dan lotel, mo ti pe zis plis lay ek grenn ditin », raconte-t-il avec humour. Son dernier stage lui redonne confiance et l’incite à persévérer.

Quelques mois avant les examens finaux, sa mère refait surface dans une situation délicate. Par amour, Stebane l’assiste quotidiennement, avant qu’elle ne s’éloigne à nouveau. Cette fois, Stebane choisit de ne pas se laisser abattre. Il retourne en cours, se concentre et réussit ses examens avec brio. 

« Lorsque j’étais petit, on me disait constamment que je finirais comme mon père. Mais j’ai réussi à faire mieux que lui grâce à ma résilience »

« Lorsque j’étais petit, on me disait constamment que je finirais comme mon père. Mais j’ai réussi à faire mieux que lui grâce à ma résilience. Je remercie de tout cœur mon ami d’enfance et ses proches, toutes les personnes qui m’ont soutenu, ma sœur et même mes propres parents et proches malgré leurs failles. Mais surtout, le personnel enseignant et non enseignant de l’École culinaire Aline Leal pour avoir cru en mon potentiel et pour m’avoir donné les clés d’un avenir meilleur. C’est dans la cuisine que j’ai trouvé mon salut. Cette école culinaire est devenue mon tremplin. Maintenant, c’est à moi de jouer pour être un bon chef », dit-il.

Aujourd’hui, Stebane travaille dans le service catering avec le père de son ami d’enfance. Il gagne sa vie, apprend, progresse et rêve… À Le Dimanche/L’Hebdo, il confie qu’il ne cherche pas la gloire, mais une vie simple et solide : une maison à lui, une famille et une stabilité financière. Son histoire, il la partage pour les jeunes, surtout ceux qui traversent des difficultés et n’ont pas encore trouvé la sortie vers un avenir meilleur. « Si moi j’ai pu m’en sortir, alors vous aussi », conclut-il.

À 19 ans, Stebane Sineyah est la preuve vivante que la résilience peut être plus forte que le chaos et que même les enfances les plus brisées peuvent donner naissance à des adultes lumineux.

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