Interview

Vanessa Napal, chargée de cours à l’UoM: «Nous sommes tous responsables de la culture de corruption»

Vanessa Napal, chargée de cours à l’UoM
Dans le sillage du scandale allégué à la National Transport Authority, que doit-on penser de la prévalence de la corruption à Maurice ? Vanessa Napal, chargée de cours en éthique à l’Université de Maurice, nous livre ses observations sur la question. Que vous inspire l’affaire de la National Transport Authority et les allégations de pots-de-vin concernant l’emploi de travailleurs étrangers, qui ont fait l’actualité cette semaine ? Disons que ce n’est pas surprenant. La corruption a toujours existé à Maurice. C’est moins tabou aujourd’hui parce qu’on en parle. Mais il y a un facteur auquel il faut faire attention : parfois, les dénonciateurs choisissent de dévoiler un acte de corruption quand il y a un point de désaccord. Il y a beaucoup d’actes de corruption dont on ne saura jamais rien aussi longtemps que les deux parties sont satisfaites de l’arrangement. Je ne dis pas que c’est le cas ici, mais c’est un facteur malheureusement commun.
Est-ce qu’on peut dire que la culture de ‘lamone dite’ fait partie de l’ADN du citoyen mauricien aujourd’hui ? Ce sont des traditions qu’on a acceptées au fil des années. Personne ne les questionne. Le citoyen est passif puisqu’il ne peut rien faire. Dans toute prise de décision, il y a trois dimensions : il y a la valeur morale, le sens du devoir et, de manière plus globale, la culture. On se dit souvent, « si je ne le fais pas, quelqu’un d’autre le fera », mais ce n’est pas une excuse. On devrait avoir un peu plus de respect pour soi et reconnaître que s’impliquer dans de tels actes aura des répercussions sur notre réputation. Chacun devrait connaître sa place, ses limites et préserver sa réputation. Si on pensait en ces termes, on se débarrasserait des fléaux comme la corruption.
[blockquote]« Une récompense financière, ou de tout autre nature, crée la tentation de la mauvaise foi »[/blockquote]
Si c’est une affaire de culture, le fait d’apporter de nouvelles lois ne suffira pas, n’est-ce pas ? Je pense qu’on a de très bonnes lois, mais au niveau de la mise à exécution, je ne peux pas en dire plus. Mais il a surtout cet aspect de ‘traditional acceptability’. Comment changer cela ? C’est l’état d’esprit et les attitudes qu’il faut changer. Malheureusement, celui qui corrompt pense toujours être l’exception à la règle. C’est ce qui fait que la corruption continue à exister, malgré toutes les lois qu’on a mises en place. Si on attend que chaque citoyen change de lui-même, on n’est pas sorti de l’auberge... C’est une question de gouvernance. Il s’agit de donner l’exemple. Il faut que cela vienne d’en haut et non passer des lois et se considérer comme les exceptions à ces lois. C’est ce qu’on appelle le ‘ethical leadership’. Il est possible de reproduire dans n’importe quel autre pays ce que Lee Kuan Yew a fait à Singapour. C’est une question de volonté. Ce sont ceux qui dirigent le pays qui doivent donner l’exemple. Est-ce un moyen indirect de les accuser de la situation ? Je n’accuse pas les politiques. Je vous parle de mon expérience. J’enseigne l’éthique depuis plus de 15 ans et à entendre les commentaires de mes étudiants, on peut dire que le niveau de scepticisme est élevé. Ils vous diront que telle mesure est bonne, mais qu’elle ne peut être appliquée à Maurice. Ils vous donnent toutes sortes de raisons. Étant Mauricienne, je les comprends, mais je ne vais pas les encourager à penser ainsi. Cela dit, au niveau national, on a besoin d’un système rigide où le Mauricien se sent surveillé ou tout au moins pas à l’abri de sanctions s’il est impliqué dans des actes de corruption. Si même vos étudiants sont sceptiques, peut-on se permettre d’être optimiste quant à un changement de mentalités à l’avenir ? Cette attitude, c’est au début. Je sais, par expérience, que cela changera au fil des semaines. Quand ils quittent le cours à la fin du semestre, ils sont plus positifs. D’une manière ou d’une autre, ils feront leur part. On ne pourra pas accomplir de miracle malheureusement, mais c’est un début. Vous avez mentionné les motivations obscures des dénonciateurs. Le Whistleblowing Bill que propose d’introduire le gouvernement règlera-t-il ce problème ? Le whistleblowing est un risque. On vous recommande souvent de dénoncer seulement quand vous êtes sûr d’être protégé. Le whistleblower devient souvent une victime. C’est pour cela qu’il faut justement avoir le mécanisme qui accompagne celui qui dénonce pour le protéger. La Good Governance and Integrity Reporting Act introduit un concept similaire avec la protection des dénonciateurs et des récompenses à la clé. Est-ce la bonne manière de procéder ? J’ai un principe : si quelqu’un accomplit son devoir, ça devrait s’arrêter là. Une récompense financière, ou de tout autre nature, crée la tentation de la mauvaise foi. Les gens peuvent inventer des choses. Comment évalueriez-vous l’efficacité de la Prevention of Corruption Act et son bilan ? Théoriquement, la loi est très bonne. Mais au départ, il y avait justement des ‘loopholes’. La PoCA a été formulée par un légiste de renom, mais au niveau de la mise en application, encore une fois, je ne me prononce pas. Il ne faut pas de politique de deux poids, deux mesures. Que tout contrevenant soit puni comme il se doit pour donner l’exemple à la population. Si quelqu’un voit que son voisin a été exempté, cela pousse à la tentation. Pour ce faire, faut-il en finir avec les nominations politiques? Idéalement, les institutions devraient opérer de manière indépendante. Mais les nominations politiques existent dans tous les pays. Le gouvernement doit avoir confiance en la personne qui est à la tête des institutions, ce qu’on peut comprendre. Mais il ne faut pas qu’il y ait d’ingérence politique. Si on a des gens qualifiés, intègres, qui fonctionnent en indépendance et qu’il n’y a pas d’ingérence, je pense que les institutions peuvent fonctionner. On a beaucoup parlé de lois qui s’attaquent aux gros cas de corruption, mais faut-il des mesures spécifiques pour la corruption à plus petite échelle ? Je ne crois pas que cela soit nécessaire. Un cas de corruption est un cas de corruption. On a tendance à mettre l’accent sur la corruption à petite échelle et à ignorer celle à grande échelle. On n’en sait pas grand-chose, puisque cela se passe à un autre niveau. Mais c’est surtout cela qui pousse le public à corrompre. Nous avons une Icac qui reproduit le modèle hongkongais des années 1970. Il y a eu un nettoyage monstre au niveau du gouvernement là-bas à l’époque. Des ministres ont démissionné. Cela a donné du courage au public pour aller dans la bonne direction. Quand vous avez l’exemple de la bonne gouvernance, le reste suit automatiquement. Donc, l’autonomie des institutions, surtout l’Icac, est primordiale pour donner confiance au public. Pourquoi la création de l’Icac n’a pas eu les mêmes effets qu’à Hongkong ? C’est notre culture. Le citoyen moyen peut se plaindre, mais une partie de la population laisse ce privilège du pouvoir aux grands. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent parce qu’ils sont au pouvoir et, alors, nous sommes tous responsables de cette culture de corruption. Il y 10 ans, j’avais fait un projet pour mon doctorat et j’ai eu des résultats drastiquement différents pour les sujets mauriciens et ceux des États-Unis et d’Angleterre. Pour les Mauriciens, la culture déborde sur le devoir. Si le fait de demander une faveur à un politicien est considéré comme impensable en Amérique ou en Angleterre, à Maurice, c’est traditionnellement acceptable. Sinon, on n’arrive pas à ses fins. En même temps, je comprends le petit Mauricien qui se sent frustré, qui n’a pas de contacts et qui n’arrivera jamais à réaliser ses ambitions.
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