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Un an après - Jocelyn Chan Low  : «Nous attendons un Appointments Committee pour que la méritocratie puisse primer» 

Un an après son triomphe électoral, l’Alliance du Changement peine à convaincre. Entre promesses non tenues, vie chère et désillusions, la population s’interroge : où est passé le vent de renouveau promis par le government?

La liesse populaire qui avait accompagné la victoire de l’Alliance du Changement semble aujourd’hui dissipée. Entre promesses non tenues et désaccords internes qui ont failli provoquer une cassure au sein du gouvernement, l’heure est désormais au colmatage. Un an après, que reste-t-il du souffle du changement ? L’alliance a-t-elle concrétisé les principales promesses de rupture formulées en 2024?
C’est justement sur fond de « changement » que le gouvernement actuel a été plébiscité. Pour plusieurs observateurs politiques, le 60-0 obtenu en novembre 2024 n’était pas un vote d’adhésion, mais un vote sanction. Lors d’un entretien accordé à Le Dimanche/L’Hebdo en février dernier, l’anthropologue des religions, Dr Jonathan Ravat, expliquait que ce score traduisait un « ras-le-bol populaire », une forme de « justice populaire ». Après dix ans de règne du MSM, marqués par de multiples controverses révélées par les Moustass leaks, cette victoire incarnait selon lui « une volonté de changement et une lassitude généralisée ».

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L’historien et observateur politique Jocelyn Chan Low partage cette analyse. « Il y a eu des votes de protestation contre la corruption et les allégations de scandales », affirme-t-il. Ce n’était pas, selon lui, un rejet des mesures sociales de l’ancien gouvernement, mais un désir profond de rupture avec un système jugé usé. Pourtant, ajoute-t-il, « les promesses formulées n’ont absolument pas été tenues ».

Il évoque d’abord la promesse phare: rompre avec les pratiques décriées par la population, notamment en matière de nominations à la tête des institutions. À ce niveau, il estime qu’il y a eu beaucoup de déception. « La population s’attendait à la mise en place d’un Appointments Committee afin que la méritocratie puisse primer », souligne-t-il. Une telle mesure aurait mis fin aux nominations fondées sur le copinage ou les liens de proximité, en favorisant un processus transparent.

« Ce n’est pas ce qu’on a vu », poursuit Jocelyn Chan Low. « C’est plutôt le retour des anciens et des personnes controversées », ce qui n’a pas manqué de susciter de nombreuses polémiques. Pour lui, « on ne peut pas encore parler de rupture ». Il se réjouit toutefois qu’aucune grande affaire de corruption n’ait éclaté jusqu’à présent, malgré quelques dossiers ayant défrayé la chronique, comme l’affaire Rama Sithanen ou celle du milliardaire Mamy Ravatomanga.

Promesses et réalités

Un an après, tout semble donc à refaire pour un gouvernement en qui une large frange de la population avait placé sa confiance. Le constitutionnaliste Parvez Dookhy se montre catégorique : « Non, le gouvernement n’a pas su concrétiser ses promesses. Un an est passé sans qu’il y ait de changement ressenti. »

Il relève l’absence de télévision libre, l’inexistence d’un encadrement du financement des partis politiques et des dépenses électorales. À cela s’ajoutent la persistance de la vie chère, l’endettement en hausse et une roupie en chute libre. « Il y a eu, certes, quelques mesurettes ou petits changements, mais ce n’est pas ce qu’attendait la majorité du peuple », souligne-t-il.

Faizal Jeerooburkhan, de Think Mauritius, revient sur la liste ambitieuse des 25 promesses électorales de l’Alliance du Changement : consolidation de la démocratie, méritocratie, transparence, bonne gouvernance, relance économique, lutte contre la fraude, la corruption et le blanchiment d’argent, et amélioration de la qualité de vie.

Selon lui, ces engagements ont suscité une attente excessive chez les citoyens. « Après une année au pouvoir, la déception est palpable. Peu de changements concrets sont visibles sur le terrain et dans la vie quotidienne », affirme-t-il. Certaines promesses, plus faciles à mettre en œuvre, ont abouti partiellement, tandis que d’autres sont en cours ou tout simplement tombées dans l’oubli.

Rupture ou continuité ?

Jocelyn Chan Low déplore également une situation économique difficile : « La vie est toujours aussi chère, les prix continuent d’augmenter alors que les allocations diminuent. » Il évoque aussi les mesures d’austérité et le paiement de la pension de vieillesse à 65 ans au lieu de 60. « Si rupture il y a, elle n’est pas celle que le peuple attendait », souligne-t-il.

Certaines décisions ont été prises, reconnaît-il, mais « elles ne sautent pas aux yeux et n’ont pas vraiment contribué à améliorer la vie de la population ».

L’historien rappelle que la pension de vieillesse a été le symbole des premiers mois du gouvernement. « C’est une mesure majeure, mais elle n’était pas dans le manifeste électoral », dit-il. Elle a, selon lui, été annoncée après les élections municipales, sans consultation populaire, et « a été perçue comme une trahison ». Pour Chan Low, cette réforme illustre une rupture « vers l’austérité ».

Malgré une liberté d’expression retrouvée, les problèmes sociaux persistent. La drogue, en particulier, est en recrudescence. « S’il y a une mesure qui définit ce gouvernement, c’est la réforme du Basic Retirement Pension. C’est une rupture, mais pas dans le sens que le peuple attendait. La vie des Mauriciens a changé en pire », déplore-t-il.

Quelques avancées, mais…

Faizal Jeerooburkhan souligne toutefois quelques progrès : le bon fonctionnement du Parlement, le renforcement de l’indépendance des institutions telles que la police, la FCC et le DPP, la relance des courses hippiques et la publication du Land Drainage Master Plan, resté secret sous l’ancien régime.

Il salue également la création d’une instance de lutte contre la drogue, bien que ses débuts aient été « lents et chaotiques », ainsi que l’allocation de Rs 10 milliards pour stabiliser les prix des produits de base, afin de soulager les consommateurs les plus modestes.

Autre mesure positive, selon lui : les critères d’accès au grade 12, désormais élargis à trois crédits, pour encourager la poursuite des études secondaires.

Mais pour Parvez Dookhy, ces réformes ne suffisent pas. Il estime qu’il aurait fallu « une télévision libre, capable de concurrencer le journal télévisé d’État », et « un encadrement strict du financement politique ». Il regrette l’absence d’une police efficace et fonctionnelle : « L’effacement de l’autorité policière a entraîné une explosion visible de la violence : meurtres, suicides, accidents mortels, enlèvements… »

Il dénonce également la lenteur des enquêtes : « La police n’a toujours pas résolu le meurtre de Kistnen, ni identifié “Monsieur Moustache” », rappelle-t-il.

« L’euro avoisine les Rs 53. » Selon lui, « l’absence de loi sur le financement des partis est la source de la corruption », car les partis qui reçoivent de grosses sommes d’argent finissent par rendre des services en retour.

« Le gouvernement demande aux citoyens de se serrer la ceinture, tout en s’offrant des voyages luxueux », dénonce-t-il.

Une économie sous tension

Faizal Jeerooburkhan explique que, face à la lenteur des réformes et à la désillusion populaire, le gouvernement justifie ses difficultés par la situation financière héritée du précédent régime. « Il brandit l’argument de la caisse vide et d’une dette publique de 88 % du PIB, avec Rs 26 milliards d’intérêts cette année », note-t-il.

Le déficit commercial tourne autour de 30 % du PIB, et le déficit budgétaire avoisine les 10 %. Le gouvernement évoque également la pression du FMI, qui exige une réduction progressive de la dette à 65 % du PIB d’ici mi-2026, ainsi que le risque d’un déclassement par Moody’s, qui transformerait Maurice en junk state, peu attractif pour les investisseurs, selon lui.

Ce qui fait dire à Jocelyn Chan Low que le gouvernement « ne travaille pas en faveur de la population, mais pour plaire à Moody’s ».

« Le peuple voulait un vrai changement »

Face à cela, Parvez Dookhy estime que « lorsqu’on n’a pas de bilan, il ne reste que le bilan de santé à mettre en avant ». Pour lui, « le gouvernement doit cesser l’illusionnisme ».

Il rappelle que la victoire de 2024 a été rendue possible par « l’usure de l’ancien gouvernement », mais qu’aujourd’hui, la donne a changé : « Le peuple voulait un vrai changement, pas un simple remplacement de régime. »

Patrick Belcourt, leader du mouvement En Avant Moris (EAM), abonde dans le même sens. Dans un message diffusé samedi, il a estimé que « le peuple mauricien mérite mieux ».

Pour lui, le programme de l’Alliance du Changement était « fake » : « Zordi, la vérité pe éclaté », affirme-t-il, alors que le gouvernement a échappé de peu à une rupture. Il dénonce également « l’arrogance qui remplace la compétence » au sein du pouvoir.

Selon lui, la population rappelle aujourd’hui aux ministres leurs promesses d’avant les élections à travers les réseaux sociaux, en partageant leurs propres discours.

Quelles perspectives ?

Dans ce contexte, la question se pose : le gouvernement peut-il encore maintenir le cap du changement ?

Selon Faizal Jeerooburkhan, les marges de manœuvre sont désormais étroites. « Le contexte économique démontre les difficultés auxquelles devra faire face l’Alliance du Changement pour honorer ses engagements », dit-il.

Les syndicats et autres forces vives font grimper les revendications sociales, ce qui complique davantage la tâche de l’exécutif.

Il estime que le gouvernement doit miser sur « une gestion rigoureuse basée sur la bonne gouvernance, la transparence, la modernisation des infrastructures, la lutte contre la corruption et l’optimisation des ressources financières et humaines », afin de relancer la productivité et les exportations tout en réduisant la consommation et les importations.

Mais, selon lui, certaines décisions récentes, comme la pension à 65 ans, « vont à l’encontre des attentes formulées avant les élections », laissant craindre un « retour aux pratiques du passé ».

Pour Parvez Dookhy, « le changement est possible si on a envie du changement ». Il accuse les dirigeants actuels, « installés depuis des décennies », de s’accommoder du système. 

Jocelyn Chan Low souligne que « le changement, c’est aussi une question de perception ». Il reconnaît qu’il n’y a plus d’autocratisation et que la liberté d’expression s’est renforcée, mais constate que « sur le plan social et économique, c’est le contraire : la cherté de la vie perdure, les problèmes de drogue s’aggravent et le désordre public s’installe ».

Il rappelle enfin qu’un gouvernement dispose d’un mandat de cinq ans et qu’il tend, dans les premières années, à faire passer les mesures impopulaires pour se rattraper en fin de mandat. « Mais tout dépendra de la conjoncture économique internationale », prévient-il.

« Notre économie reste très dépendante des dynamiques mondiales, or il n’y a pas de visibilité à ce niveau, notamment en raison des décisions du président américain Donald Trump." soutient-il. 

 

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