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Témoignages de victims : le piège de la traite des personnes à Maurice

Exploitées, trompées et privées de leurs droits, des femmes de diverses origines, venues chercher de l’emploi à Maurice, sont actuellement hébergées au centre Univers’ELLES. En attendant que la police démantèle ce réseau de traite des personnes et que justice soit rendue aux victimes, trois d’entre elles se confient à Le Dimanche/L’Hebdo.

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Géraldine : « J’espère sortir de ce cauchemar au plus vite »

Âgée de 24 ans, Géraldine (prénom d’emprunt) est originaire de Madagascar. Son père travaille dans le secteur de l’énergie et sa mère est secrétaire d’état civil. Elle a un frère et deux sœurs. Après ses études secondaires, elle décide d’étudier le droit privé à l’université pour devenir avocate. 
Tout se passe bien jusqu’au jour où un incendie ravage la vingtaine de chambres d’une maison que ses parents louaient à des locataires. Comme les revenus de cette affaire familiale finançaient ses études, Géraldine est contrainte de quitter l’université, ses parents étant désormais dans une situation financière difficile.

Géraldine est embauchée comme téléprospectrice dans une entreprise. En parallèle, elle vend des vêtements en ligne pour subvenir à ses besoins, mais cela ne suffit pas. Son petit ami, également Malgache, vit à Maurice. Conscient des difficultés dans son pays natal, il lui suggère de venir à Maurice pour y trouver un meilleur emploi. C’est ainsi que le 18 décembre 2023, elle arrive à Maurice avec un visa touristique. Elle s’installe avec son copain dans une maison. 

Pendant trois mois, elle travaille comme serveuse et hôtesse dans un restaurant. Elle débourse 2 millions d’ariary malgaches pour obtenir un permis de travail auprès de l’employeur de son copain. Mais Géraldine est loin de se douter qu’il s’agit de faux papiers. Elle le découvrira lors d’une descente policière sur son lieu de travail.

Cependant, Géraldine n’est pas placée en détention. Elle est envoyée dans un abri de l’ONG Passerelle, qui accueille des femmes victimes de violence domestique et, à ce moment-là, également des victimes de traite de personnes, avant d’être transférée au centre Univers’ELLES en avril 2024. « J’essaie de garder un mental fort et j’espère sortir de ce cauchemar au plus vite. J’étais loin de m’imaginer que le permis de travail qu’on m’avait remis était faux. Je me suis bel et bien fait avoir », confie Géraldine, à Le Dimanche/ L’Hebdo. 

Comment passe-t-elle ses journées au centre Univers’ELLES en attendant la fin de l’enquête ? « Ici, c’est vraiment bien. J’apprends plein de choses qui m’aident à garder l’esprit occupé. Je ne savais pas que j’avais un talent pour le crochet. Maintenant, j’en fais et grâce à mon imagination et à des tutos en ligne, j’arrive à créer des sacs et d’autres objets qui me permettent de gagner un peu d’argent. »

Une fois identifiée comme victime de traite de personnes par la police, que compte-t-elle faire ? « Je veux me lancer dans l’entrepreneuriat. Où exactement, je ne sais pas encore. Mais tout ce que je veux, c’est un nouveau départ. » Reprendra-t-elle ses études de droit ? « Non. Ce rêve est fini. Je veux faire autre chose de ma vie », affirme-t-elle.

Anne : « Cette situation est trop dure à vivre… »

Elle a perdu ses parents à l’âge de 18 ans. Lorsque son compagnon a appris qu’elle était enceinte, il l’a abandonnée. Mère célibataire vivant dans la précarité à Madagascar, Anne (prénom d’emprunt) travaille comme femme de ménage pour subvenir aux besoins de son fils de six ans. Elle rêve de lui offrir un avenir radieux, mais l’argent lui fait défaut. 

Une de ses amies malgaches vivant à Maurice lui propose de payer son billet d’avion, de l’héberger et de lui trouver un emploi ici pour 30 000 francs malgaches. Anne y voit une lueur d’espoir. N’ayant pas cette somme, elles conviennent qu’Anne remboursera dès qu’elle commencera à travailler à Maurice.

Anne atterrit à Maurice le 29 janvier 2024, avec un visa touristique. Elle emménage chez son amie et une autre personne. Touchant un salaire de Rs 18 000, Anne travaille pendant deux mois. Cet argent ne lui parvient guère. Elle ne reçoit que de quoi manger et Rs 2 000 lui sont données pour envoyer à sa vieille tante, qui s’occupe de son fils à Madagascar.

Un jour, lors d’un contrôle, la police débarque dans la maison où Anne a trouvé refuge. Sans papiers, elle est arrêtée. Elle passe 15 jours en cellule policière, avant d’être placée dans le centre Univers’Elles, qui collabore avec la nouvelle unité Trafficking In Persons (TIP) du Central Criminal Investigation Department, pour héberger les femmes d’origine étrangère en attendant qu’elles soient identifiées comme étant victimes de la traite des personnes. Cela fait maintenant trois mois qu’elle y vit.

À Le Dimanche/L’Hebdo, Anne confie, les larmes aux yeux, son angoisse. « Je ne sais pas ce qui m’arrivera. Mon cas sera appelé en cour en octobre. J’ai été bernée par les fausses promesses de mon amie. J’ai promis à ma tante que je lui enverrais de l’argent tous les 15 jours pour qu’elle s’occupe de mon fils. Je ne sais pas quoi faire… »

A-t-elle pu contacter sa famille ? Anne n’a que sa tante à Madagascar. « La connexion internet est chère là-bas. Elle doit avoir de l’argent pour acheter un forfait et m’appeler afin que je puisse parler à mon fils. Comme je n’ai pas d’argent à lui envoyer, c’est une situation très embarrassante. Je suis sans nouvelles depuis des jours, et mon fils me manque beaucoup », dit-elle.

Comment s’est passé son séjour en cellule policière ? « Étant enfermée, j’avais l’impression de devenir folle », répond Anne. Qu’a-t-elle fait pour rester forte ? « Je priais continuellement pour que Dieu me sorte de cette cellule. Ma prière a été exaucée lorsque j’ai été placée au Centre Univers’ELLES. Cela a été un grand soulagement. »

Que fait-elle depuis ? « Ici, j’ai appris à faire du crochet, à me maquiller et d’autres choses. Ces nouvelles compétences me permettront de trouver un meilleur emploi, une fois que justice me sera rendue », affirme Anne. 

S’il est prouvé qu’elle a été victime de la traite des personnes, rentrera-t-elle à Madagascar ? « Je ne sais pas trop. Là-bas, il est difficile de trouver un emploi. Nous vivons dans la misère. Si je peux rester ici et obtenir un permis de travail, cela me permettra de subvenir mieux aux besoins de mon enfant », répond Anne. Elle garde espoir de retrouver son fils au plus vite. « En attendant de connaître mon avenir, mon fils reste ma force. »

Émilie : « Faites attention aux arnaqueurs sur Internet »

Victime de traite des personnes, Émilie (prénom d’emprunt) raconte à Le Dimanche/ L’Hebdo qu’elle avait décidé de travailler à Maurice pour offrir un meilleur confort de vie à ses enfants. « C’est pour eux que je suis venue ici », dit-elle. 

Connaissait-elle quelqu’un sur place ? Elle explique qu’elle avait été en contact avec des personnes via Internet et c’est ainsi qu’elle a décidé d’accepter l’offre de travail à Maurice. Que lui avait-on proposé ? « Ces personnes m’ont proposé un bon travail que je connaissais bien et que j’aimais. Malheureusement, à Maurice, le travail était totalement différent. Il y a eu beaucoup de mensonges et de fausses promesses entre ce dont on avait parlé en ligne et la réalité. »

Émilie ajoute que la douleur persiste encore aujourd’hui, car dès son arrivée, ces personnes lui ont pris son passeport et de l’argent. Elle raconte également qu’il y avait des agresseurs sur son lieu de travail et que personne ne s’occupait d’elle. Son patron l’a d’ailleurs lui-même agressée. 

Pourquoi est-elle restée ? « Je suis restée parce que je n’avais pas le choix. Ils m’avaient pris mon passeport et je n’avais nulle part où aller », répond Émilie. A-t-elle contacté la police ? Elle affirme que non, car elle craignait pour sa sécurité, ayant reçu des menaces. « Mais quand la police m’a arrêtée parce que j’étais sans papiers, j’ai ressenti un grand soulagement, car ce que je vivais était insupportable. Finalement, j’ai été rapatriée dans mon pays », confie Émilie.

Après la douloureuse expérience qu’elle a vécue, elle conseille aux jeunes filles et aux jeunes mamans comme elle « de ne jamais baisser les bras pour avoir un meilleur avenir, mais de faire très attention aux offres d’emploi sur Internet. Il faut bien réfléchir. Sur un coup de tête, j’ai pris cette décision sans réfléchir, en pensant à mes enfants. Faites attention aux arnaqueurs sur Internet ».

Univers’ELLES : un refuge dédié aux femmes exploitées

Un mardi après, Le Dimanche/L’Hebdo se trouve au centre Univers’ELLES. Treize femmes, dont la plupart sont Malgaches, y sont prises en charge, en attendant leur identification comme victimes par la Trafficking In Persons (TIP) Unit du Central Criminal Investigation Department (CCID). Attirées par des promesses d’emploi à Maurice, elles sont tombées dans le piège de la traite des personnes, alors qu’elles espéraient se construire un avenir meilleur. 

La plupart des résidentes sont dans leur chambre. Dans la cuisine, deux ressortissantes malgaches préparent le repas du soir. Une marmite bouillonne sur le feu. Au centre, elles vivent comme une famille. Les tâches se font à tour de rôle. Si elles veulent prendre l’air, elles vont sur le balcon ou marcher dans la cour. Elles ont droit à une journée de sortie, mais aussi à des sorties accompagnées pour assurer leur sécurité. 

Nous prenons place à la table à manger. Ulan Arcol, le Centre Manager, vient à notre rencontre. Autour d’un café, il nous explique qu’Univers’ELLES a été créé pour soutenir et accompagner les victimes étrangères de la traite des personnes en leur offrant un abri sûr. Le Centre opère grâce au soutien financier de l’ONG Passerelle, la police et d’autres partenaires. « Depuis l’an 2000, l’ONG Passerelle, qui abrite les femmes victimes de violences domestiques, accueille également les femmes étrangères qui sont victimes de la traite des personnes, dans ses deux shelters. En avril 2024, le centre Univers’ELLES a ouvert ses portes pour les accueillir dans un cadre plus approprié, au lieu qu’elles soient détenues en cellules policières », indique-t-il. 

Le centre accueille uniquement les personnes qui leur sont remises par la TIP Unit du CCID. Mise en place en août 2023, cette unité, dirigée par un assistant surintendant de police, est responsable de la prévention, de la détection, de l’investigation ou de la supervision des enquêtes sur les cas liés à la traite des personnes. 

La plupart des résidentes, poursuit le Centre Manager, ont été victimes de fausses promesses de travail. « Leurs employeurs, se jouant de leur vulnérabilité, les ont soumises à des conditions de travail abusives et à des conditions de vie déplorables, les privant de leurs droits fondamentaux », dit-il. « Dépourvues de tout recours, elles se sont retrouvées à la merci de leurs employeurs, victimes d’un système d’exploitation organisé », déplore-t-il. 

Les résidentes actuelles sont âgées de 27-28 ans et la plupart sont des mamans qui ont quitté leurs enfants pour venir travailler à Maurice avec un visa touristique. « Ces cas soulignent l’importance d’une réglementation plus stricte et des mécanismes de protection renforcés pour les travailleurs étrangers souvent vulnérables aux promesses fallacieuses d’emplois à Maurice », estime-t-il.

Pendant que l’enquête se poursuit, Univers’ELLES joue un rôle clé en offrant à ces victimes un soutien moral et juridique. « Certaines d’entre elles ont passé des mois en cellule policière. Leur inclusion dans un environnement approprié est nécessaire. » Le centre offre également aux femmes qui sont dans l’attente d’être indemnisées ou rapatriées, un programme de revalorisation des compétences et les aide à regagner confiance en elles, après le traumatisme qu’elles ont vécu. « Nous leur avons aussi donné des cours de premiers secours, de maquillage professionnel, de français, de tricotage, de danse, de yoga parmi tant d’autres, avec le soutien de nos partenaires et bienfaiteurs. »

Si le centre Univers’Elles a une capacité d’accueil d’une quinzaine de personnes, l’ambition est de grandir afin de pouvoir aider plus de victimes de la traite des personnes. « Nous faisons aussi la collecte de données pour mieux développer nos stratégies de sensibilisation pour contrer ce problème en collaboration avec la police et pour mieux répondre aux besoins des victimes que nous accueillons. » 

Ces femmes ne sont malheureusement pas les seules victimes. « Le trafic d’êtres humains prend des formes variées et Maurice, avec sa situation géographique et son statut de destination touristique, n’est pas à l’abri de ce fléau mondial », répond Ulan Arcol. Pour lui, le trafic d’êtres humains est une réalité que nous ne pouvons plus ignorer. « Ces femmes, qui ont été arrachées à leurs rêves, sont aujourd’hui les visages de la lutte contre cette forme moderne d’esclavage. Elles attendent justice, mais surtout, elles espèrent que leur histoire serve d’avertissement pour que plus jamais personne ne soit victime de telles pratiques. La sensibilisation est la clé pour mettre fin à ce fléau qui sévit à Maurice », affirme-t-il.

Formes de traite des personnes 

  • Travail forcé
  • Servitude pour dettes
  • Trafic sexuel
  • Servitude domestique
  • Mendicité forcée
  • Mariage forcé
  • Prélèvement d’organes

Qu’est-ce que la traite des personnes ?

Selon le Combating of Trafficking in Persons Act de 2009, la traite des personnes (TIP) se compose de trois éléments :

  • ACTE : Lorsque des individus sont trompés, forcés ou contraints d’exécuter un travail ou de faire d’autres choses contre leur volonté. Cela peut se produire par le biais du recrutement, de la vente, de la fourniture, de l’acquisition, de la capture, du retrait, du transport, du transfert, du refuge ou de la réception d’une personne.
  • MOYENS : Méthodes utilisées par les trafiquants pour contrôler les personnes. Cela peut inclure l’utilisation de la menace, de la force, de l’intimidation, de la contrainte, de l’enlèvement, de la fraude, de la tromperie, de l’abus de pouvoir ou de l’exploitation d’une position de vulnérabilité.
  • OBJECTIF : Pour l’exploitation.

Les peines encourues 

Si une personne est reconnue coupable de traite, elle peut être condamnée à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 15 ans, ainsi qu’à une amende pouvant atteindre Rs 200 000.

Qui est une victime de traite des personnes ?

N’importe qui peut être victime de la traite, mais certains groupes sont plus vulnérables comme : les femmes, les enfants, les migrants, en particulier ceux en situation irrégulière. Les victimes sont souvent contraintes de commettre des infractions liées à l’immigration et à la prostitution. Si elles sont arrêtées pour de telles infractions, il est important de les interroger afin de déterminer si elles pourraient être des victimes de la traite et de veiller à ce qu’elles ne soient pas punies pour des crimes commis en conséquence directe de leur situation de traite.

Indicateurs de traite des personnes 

  • Mauvaises conditions de vie
  • Passeport ou pièce d’identité détenus par l’employeur
  • Possession de faux papiers d’identité ou de voyage
  • Paiement de frais au recruteur ou à l’employeur
  • Heures excessives de travail
  • Signes de maltraitance physique
  • Méfiance envers les autorités
  • Méconnaissance de la langue locale
  • Situation de dépendance

Où signaler ?

La police : 148

Soutien et conseils - Centre Univers’ELLES : 5281 1000

Sanctions et indemnisations

Toute personne reconnue coupable de traite des personnes encourt une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 15 ans, conformément à l’article 11 de la loi de 2009. Cette loi criminalise notamment la location de locaux destinés à l’hébergement de victimes de traite, ainsi que la diffusion, sur Internet et les réseaux sociaux, de toute publicité liée à ce crime.

Par ailleurs, l’article 12 punit de 5 ans d’emprisonnement et d’une amende de Rs 100 000 toute personne qui cache ou détruit les documents d’identité (passeport, carte d’identité) d’une victime.

En vertu de l’article 16, les victimes de traite ont droit à une compensation financière. « La cour peut ordonner à une personne reconnue coupable de traite des personnes de verser une compensation à la victime pour tous les dommages subis », qu’ils soient matériels, financiers ou psychologiques. « La cour peut ordonner une compensation ne dépassant pas Rs 500 000. Elle a également la possibilité de décider des modalités de paiement et d’imposer des conditions pour le paiement, tout en accordant un délai raisonnable », explique Me Bhavish Budhoo. 

Le non-respect de cette obligation peut entraîner des sanctions supplémentaires, voire l’incarcération. La cour, ajoute-t-il, peut même choisir de suspendre la sentence d’une personne condamnée pour Trafficking in Persons si elle s’engage à verser une compensation à la victime. Cependant, si cette personne ne parvient pas à payer la compensation, la cour peut révoquer cette suspension et rétablir la sentence. 

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