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Souvenirs d’un ex-météorologue - Beekuldass Koonjul : «Lors du passage de Carol, nous sommes restés confinés à la station deux jours et deux nuits»

Beekuldass Koonjul

Météorologue de la fin des années 50 jusqu’aux années 90, Beekuldass Koonjul, 80 ans, a beaucoup de souvenirs à raconter. Retour dans le temps.

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« Le personnel était de l’élite. Mais juste avant l’indépendance, il y a eu une frayeur et beaucoup ont préféré quitter le pays. Il y a eu un exode à la météo avec pas moins de quinze départs »

Beekuldass Koonjul a 21 ans lorsqu’il prend de l’emploi à la station météorologique de Vacoas en 1958. Il est engagé comme meteorological assistant. Il y travaillera jusqu’à 1997. Pendant ses 40 ans de service, il va connaître de grands cyclones tels que Alix, Carol, Gervaise, Claudette. Lorsque Carol frappe Maurice, il habite encore à Dagotière, son village natal.

Le directeur de la météo est un Britannique, M. Davy. Son assistant est un Écossais, M. Swan. Le chef prévisionniste est un Suédois nommé Sonberg. « M. Davy habitait près des Quarters », raconte Beekuldass Koonjul.

« Lors du passage de Carol, j’ai été caserné pendant deux jours et deux nuits dans les locaux de la météo. Il était impossible de sortir à l’extérieur. Le troisième jour, un collègue nommé Gheerdharry, qui habitait non loin et avait rejoint la météo après moi est arrivé à bicyclette. Je lui ai expliqué que j’étais coincé sur place depuis deux jours et je lui ai demandé s’il pouvait me prêter sa bicyclette pour rentrer chez moi. Il a accepté. J’ai donc pris sa Raleigh Sport pour rentrer chez moi.

À Valetta, situé à 3/4 kilomètre de Dagotière, il y avait de gros dégâts. Je me suis dit que tout devait être anéanti chez moi. Arrivant chez un voisin, j’ai voulu voir ce qui était arrivé à sa maison. Elle était encore intacte ! Et notre maison ? me suis-je demandé, le cœur serré. Il faut dire que la région ressemblait à un désert. Quand je suis arrivé près de chez moi, j’ai fermé les yeux. Quand je les ai rouverts, j’ai vu ma mère qui balayait la cour ! Elle m’a demandé : ' C’est maintenant que tu arrives ? ' Il faut ajouter qu'il n'y avait eu aucune communication entre nous ces derniers jours. »

De la lumière

Sur ce chapitre de la communication, Beekuldass raconte une anecdote. « Quand je suis allé travailler à Saint-Brandon, tous les quinze jours, ma famille avait la permission de venir dans les locaux de la météo pour pouvoir communiquer avec moi. Je me souviens encore du jour quand ma mère a quitté Dagotière pour venir à la station.

Un ami, Gaëtan Laval, a entendu la conversation entre ma mère et moi. Il l’a entendu dire que Dagotière était dorénavant pourvu d’électricité ! Et qu’il y avait même un lampadaire juste devant notre maison ! Elle m’a dit (en bhojpuri) : ‘C’est si joli maintenant ! ’ Gaëtan m’a dit : ‘ C’est maintenant que tu as de l’électricité chez toi ? ’ Il habitait Rose-Hill et n’a pu se retenir de faire la remarque ! » On était alors en 1959.

Élite

« J’ai beaucoup appris du personnel de la station météorologique. Je me souviens que quand j’étais à Saint-Brandon, j’étais en compagnie d’Edwyn Leckning. C’était le frère de Cyril Leckning, ancien recteur du Collège du Saint-Esprit qui devint plus tard ministre. Le personnel était de l’élite. Mais juste avant l’indépendance, il y a eu une frayeur et beaucoup ont préféré quitter le pays. Il y a eu un exode à la météo avec pas moins de quinze départs. Dans les eaux mauriciennes, il y avait un paquebot nommé Patris qui allait partir pour l’Australie. Au port, j’ai assisté personnellement au départ de plusieurs collègues qui m’étaient chers. J’avais des larmes aux yeux », raconte notre interlocuteur.

Il ajoute : « Je suis Mauricien et je considérais mes collègues nés ici comme des Mauriciens avant tout. Quand son épouse lui envoyait des choses, Edwyn Leckning les partageait souvent avec moi. ‘ Tiens, ça c’est pour toi ’, disait-il. C’était un geste qui me touchait beaucoup. Il était plus qu’un frère. »

Il se souvient de son premier salaire quand il est entré à la météo : Rs 229. Il se souvient aussi du nom du Financial Officer : M. Hossen.

Village 

« Dagotière a dû être fier qu’un de leurs fils occupe un poste de météorologue ? », en lui posant la question. « Oui, les habitants étaient fiers de moi et faisaient un bout de chemin avec moi lorsqu’ils me voyaient arriver au village », répond-il.

« J’étais le même petit garçon issu du bas de l’échelle, dont la famille qui, pour survivre, allait couper de l’herbe pour des animaux. J’étais ce garçon qui après avoir réussi à ses examens de Std VI et qui devait ensuite aller prendre part à l’examen de ‘la Bourse’ à Port-Louis, ne savait pas où était la capitale !

Ce jour-là, j’ai quitté Dagotière et j’ai marché seul jusqu’à Verdun où j’ai pris le train pour me rendre à Rose-Hill. Là-bas, j’ai changé de train pour aller à Port-Louis et regagner l’école où avait lieu l’examen. En cette époque, le train quittait Montagne-Blanche à 7 h 15. Il passait par Providence, Quartier-Militaire, Alma avant d’arriver à Verdun. De là, il se dirigeait vers Saint-Pierre, puis Moka, Réduit et ensuite Rose-Hill. Durant le voyage, je vis des ‘ fly-overs ’. C’était quelque chose de nouveau pour moi. »

Une autre anecdote racontée par Beekuldass Koonjul : lors du passage du cyclone Carol, quand il était confiné dans les locaux pendant deux jours et deux nuits, on apporta au directeur, M. Davy, un thermos rempli de thé à l’Anglaise ainsi que des œufs bouillis pour le petit-déjeuner. Le directeur voulut partager son thé et ses œufs avec lui. Mais il était végétarien et refusa poliment. « Je fus étonné par la manière exquise dont il me répondit pour présenter ses excuses. Cette élégance me toucha profondément. Ce sont des moments inoubliables que je chéris », raconte-t-il.

Un autre souvenir qu’il chérit : « Un jour, alors que j’étais dans la ' main forecast room ', le directeur est passé comme à son habitude avant de rentrer chez lui. Il était environ 15 h 45. Il m’avait déjà recommandé à la Public Service Commission (PSC) pour le grade de senior. Avez-vous eu votre lettre de la PSC, M. Koonjul ? » me demanda-t-il.

« Non », lui répondis-je.

« Il y a des choses qui peuvent être réglées en quelques minutes. Mais eux, ils prennent des jours pour le faire », me dit-il.

« Ces bons mots résonnaient encore dans ma tête quand je suis rentré chez moi. Ma mère m’annonça qu’il y avait une lettre pour moi... Quelle coїncidence ! », dit-il.

 

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