
Face à l’essor des activités touristiques de nage avec les cétacés et les tortues, Eco-Sud a déposé, le 27 août, une demande d’injonction devant la Cour suprême contre 23 parties accusées de harceler des espèces marines protégées. Sébastien Sauvage, CEO de l’ONG, nous explique les enjeux de ce combat judiciaire et environnemental.
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Pourquoi Eco-Sud a-t-elle choisi de porter ce combat devant la Cour suprême ?
Le plaidoyer, la dénonciation et le dialogue avec les autorités se sont révélés insuffisants. Depuis des années, la nage commerciale avec les cachalots, baleines et tortues prospère malgré des lois censées les protéger.
Après des mois d’investigation et de collecte de preuves, Eco-Sud a constaté que ni les sanctions ni les opérations ponctuelles n’ont freiné cette industrie. Pendant ce temps, la population de cachalots chute, les carcasses se multiplient et les blessures graves augmentent. Face à l’urgence et à l’inaction, l’étape juridique s’imposait.
Le choix du moment s’explique par deux facteurs : d’un côté, des preuves solides établissent la gravité du problème ; de l’autre, la nouvelle direction de la Tourism Authority, qui semble prête à collaborer avec les ONG et à réformer le secteur. C’est l’occasion de rappeler que la justice doit rester le garant de la loi.
Vingt-trois parties locales et étrangères sont visées : quel est exactement leur rôle dans ce « commerce illégal » ?
Elles constituent l’ossature de cette industrie illégale. Ce sont des sociétés et des particuliers, locaux comme étrangers, qui jouent des rôles variés mais complémentaires : opérateurs et skippers, moniteurs d’apnée et photographes, guides et influenceurs et directeurs de compagnies touristiques qui vendent des « packages » attractifs à un public international.
Ensemble, ils attirent des milliers de touristes par une promotion agressive sur internet et les réseaux sociaux, transformant une pratique illégale en produit touristique mondialisé, extrêmement lucratif, mais au prix d’un harcèlement quotidien de la faune marine.
Quelle réponse attendez-vous concrètement de la justice mauricienne dans cette affaire ?
Notre demande est claire : nous attendons du juge en Chambre qu’il ordonne d’urgence aux défendeurs de suspendre leurs activités illégales, afin d’enrayer immédiatement le harcèlement des cachalots, baleines et tortues, en attendant le jugement au fond.
Dans l’action principale, nous demanderons que les parties répondent de leurs actes et que les responsabilités soient établies. La Tourism Authority et le ministère de la Pêche sont également poursuivis, non pour les opposer, mais pour souligner leurs manquements à leurs responsabilités légales. L’objectif n’est pas uniquement de sanctionner, mais de créer une jurisprudence forte réaffirmant que la protection des espèces marines est un devoir de l’État comme des citoyens.
Quels sont les principaux dangers pour les cachalots, baleines et tortues liés à la nage commerciale avec les cétacés ?
Cette activité illégale n’est pas anodine. Les principaux dangers sont :
- Blessures physiques : collisions avec des bateaux et hélices, notamment chez les jeunes cachalots comme en témoignent des photos diffusées sur les réseaux sociaux.
- Perturbation du repos : le passage répété des bateaux et nageurs empêche les longues phases de repos en surface, augmentant leur dépense énergétique.
- Altération de comportements vitaux : reproduction, allaitement et socialisation sont dérangés par la présence constante d’humains et le bruit des moteurs.
- Stress chronique et baisse de survie : réduction de l’espérance de vie et du taux de reproduction, compromettant la survie des populations locales.
Pour les tortues marines, le harcèlement et les manipulations augmentent également leur dépense énergétique.
L’objectif n’est pas uniquement de sanctionner, mais de créer une jurisprudence forte réaffirmant que la protection des espèces marines est un devoir de l’État comme des citoyens
À l’échelle de l’écosystème, la disparition progressive de ces espèces menace l’équilibre océanique et la lutte contre le changement climatique, car les cétacés jouent un rôle crucial dans la séquestration du carbone et la production d’oxygène via le phytoplancton.
La Tourism Authority et le ministère de la Pêche sont directement cités. Que leur reprochez-vous exactement ?
Nous leur reprochons une inaction prolongée malgré des responsabilités légales claires. Durant des années, la Tourism Authority a laissé se développer cette industrie illégale sans prendre les mesures nécessaires. Ce laxisme a permis à certains de s’enrichir au détriment des baleines et tortues. Nous notons toutefois et saluons le changement de politique récent, avec une volonté affichée de réformer, d’inclure les ONG et de sanctionner les contrevenants.
Quant au ministère de la Pêche, depuis l’entrée en vigueur du Fisheries Act 2023, il a la responsabilité légale de veiller à ce que les cétacés et tortues marines ne soient pas harcelés. Or, ce manquement à ses responsabilités est l’une des causes directes de la situation actuelle.
Quelles mesures concrètes propose Eco-Sud pour assurer à la fois la protection des espèces et la pérennité du secteur touristique ?
Eco-Sud ne s’oppose pas au tourisme, mais au tourisme destructeur. Nous proposons :
Application stricte de la loi existante : sanctions systématiques contre les contrevenants.
Contrôle renforcé : surveillance en mer et sur les réseaux sociaux, là où la promotion illégale prospère.
Encadrement légal clair : définir ce qui est permis et ce qui est interdit, afin d’éviter toute ambiguïté.
Développement d’un tourisme alternatif : promouvoir l’observation responsable des cétacés (baleines et dauphins) depuis la surface, avec des chartes strictes, comme cela existe ailleurs. En ce moment, la Tourism Authority est en train de revoir les régulations encadrant ces activités. C’est une bonne occasion pour mieux protéger les mammifères marins.
Formation des opérateurs : reconversion vers des activités écotouristiques durables et respectueuses, qui valorisent la biodiversité sans l’exploiter.
Ces mesures visent à protéger la faune tout en maintenant un secteur touristique compétitif, basé sur l’authenticité et le respect des droits de ces êtres vivants.
Vous parlez d’un « tournant » dans la lutte contre l’exploitation illégale de la faune marine. Qu’espérez-vous changer à long terme avec cette action ?
Nous espérons transformer ce combat ponctuel en changement la fin de l’impunité pour ceux qui exploitent illégalement la faune marine ; l’intégration des ONG et de la société civile dans l’élaboration des réformes législatives ; l’établissement d’une jurisprudence forte qui rappelle que la biodiversité n’est pas une ressource marchande à exploiter mais des êtres vivants à respecter ; et la mise en place d’un nouveau modèle tourisme, qui valorise Maurice comme un pays respectueux de son environnement, plutôt qu’un marché du sensationnalisme.
À long terme, nous voulons contribuer à inverser le déclin des populations de cachalots et de tortues.
Enfin, comment le grand public peut-il contribuer à la protection des cétacés et tortues dans nos eaux ?
Chaque citoyen et chaque touriste peut jouer un rôle. Concrètement :
- Refuser de participer à la nage commerciale et illégale avec les cétacés ou tortues.
- Signaler aux autorités et aux ONG les vidéos, promotions ou pratiques suspectes observées en mer ou sur internet.
- Sensibiliser son entourage à l’impact réel de ces activités.
- Soutenir les opérateurs responsables qui proposent des alternatives respectueuses (observation en surface, sans bateau à moteur)
- Relayer les campagnes d’information pour créer une pression sociale contre ces pratiques.
- Protéger les baleines, cachalots et tortues n’est pas seulement une affaire d’ONG ou de tribunaux : c’est une responsabilité collective, à laquelle chacun peut contribuer.

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