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Sam Lauthan, nouveau patron d’une institution pour combattre la drogue : «Je suis prêt au combat»

Serait-ce son dernier combat ? Sam Lauthan, réputé pour sa lutte de plus de soixante ans, affirme qu’il sera entouré d’une « Dream Team » pour traquer les barons de la drogue. Opération choc et prévention auprès des jeunes : telle est sa mission à la tête d’une nouvelle institution appelée à combattre le trafic de drogue.

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Vous êtes une figure très connue dans le combat contre la consommation de stupéfiants. Depuis quand cette lutte inlassable a-t-elle commencé et pourquoi ?
Quand j’avais 17 ans, j’ai marché dans les rues de Port-Louis avec des pancartes, en compagnie d’élèves du collège Lorette et ceux de Bhujoharry. Cela fait 63 ans que je mène cette lutte contre la consommation de drogue et contre les marchands de la mort. On croyait au slogan « Just say no to drugs », mais cela n’a pas marché. On a ensuite tenté un autre slogan : « War on drugs », mais cela a aussi échoué. Puis, un autre encore : « War on crimes », échec également. Mais je n’ai jamais baissé les bras, je suis toujours là.

Vous aviez créé une ONG pour encadrer, voire sauver, des enfants de rue qui travaillaient au noir, alors qu’ils devaient être sur les bancs de l’école. Pourquoi cela a-t-il pris fin ?
Edley Maurer a repris le flambeau avec efficacité.

Nous serons une ‘Dream Team’ pour combattre la drogue. J’aurai carte blanche pour le choix de mon équipe (…) Mon équipe sera composée d’hommes et de femmes d’action»

Pourquoi y a-t-il des enfants de rue, et quelles sont les différentes raisons ?
Il y a des enfants qui sont rejetés par leurs parents, expulsés de chez eux à un jeune âge. Ils sont exploités par leurs proches, et sont souvent considérés comme un fardeau financier. Je prends pour exemple cette jeune fille, encore mineure, qui change souvent de petit ami. Son papa est sévère et menace de l’expulser si jamais elle rentrait à la maison enceinte. Ce sont les voisins qui ont alerté le père que sa fille menait une vie de débauche, selon eux. 

Malheureusement, elle tombe enceinte, et son père la menace de lui trancher la gorge. Savez-vous ce qu’a fait cette fille mineure ? Elle est rentrée chez elle en cachette, a pris quelques effets personnels et a quitté la maison parentale pour aller vivre dans la rue. Elle est devenue une enfant de rue, car menacée par son père, au lieu que celui-ci fasse preuve de compassion envers elle.

Avez-vous d’autres exemples ? 
(Ému) C’est une histoire qui m’a profondément touché et qui montre que la compassion envers l’autre est essentielle.

C’est quoi cette histoire ?
Il y a deux frères, deux extrêmes : l’aîné est accro à la drogue, et l’autre est comme un ange qui ne ferait de mal à personne, même pas à une mouche. Deux frères, deux mondes.
Le lien de sang est fort. Le papa menace d’expulser l’aîné s’il continue à se droguer, mais comme il est addict, la porte de sortie lui est montrée. Il va vivre dans la rue et dort sous un pont, hiver comme été. Le papa l’a complètement rejeté.

La prison est une université du crime sous toutes ses formes»

Et le petit frère ? 
Il est allé chercher son frère aîné et a découvert qu’il dormait sous un pont. Il a donné un ultimatum à ses parents : si son frère ne revenait pas à la maison et qu’on ne l’acceptait pas tel qu’il est, lui-même irait aussi dormir sous le pont.

Et la réaction du père ?
(D’un ton désabusé) Tipti finn lev pake, li finn anba pon ek so frer, akoz papa-la pa oule konpran. C’est pour cela que je dis qu’il faut former davantage d’éducateurs de rue pour aider ces laissés-pour-compte.
Sur les réseaux sociaux, on constate que ceux qui consomment de la drogue synthétique deviennent comme des zombies. Explications ?

À mesure que l’on avance, la population a tendance à banaliser le phénomène de la drogue ; nous devenons indifférents en voyant des jeunes devenir des zombies. Cadress Runghen disait : « Il y a plus grave que la drogue : c’est l’indifférence. » Et il a raison.

En tant qu’ex-ministre avec, entre autres, la responsabilité des prisons, vous aviez mis en place le service communautaire pour des délits jugés non criminels. Cela a-t-il fonctionné et est-ce toujours en place ?
C’était un concept bien ficelé, mais il faut le réactualiser avec le temps. La prison est une université du crime sous toutes ses formes. Il faut, pour la jeune délinquance, leur faire visiter des institutions religieuses, des quartiers pauvres, et les aider dans la communauté. Il s’agit de leur redonner goût à la vie et de les reprendre en main. Leur tendre la main et non les rejeter, car ils peuvent avoir commis une erreur de jeunesse, sans pour autant les excuser ou les cautionner, loin de là, mais leur redonner une chance.

Le service communautaire est essentiel, non seulement pour éviter de remplir les prisons, mais aussi pour ne pas gâcher l’avenir de ces jeunes délinquants qui, souvent, sont des victimes.

Vous êtes un psy ?
On parle de l’intelligence artificielle, mais je dis qu’il faut davantage d’intelligence émotionnelle. J’aime bien citer cette phrase : “The intox clouds the mind, it blurs the vision and makes the intoxicated insensible to tears, it hardens the heart.” C’est dans le livre sacré musulman, écrit il y a des siècles. Ce sont des paroles qui décrivent parfaitement l’état des toxicomanes d’aujourd’hui.

La population a tendance à banaliser le phénomène de la drogue ; nous devenons indifférents en voyant des jeunes devenir des zombies»

Vous étiez récemment l’un des invités d’un débat sur la drogue sur Radio Plus et vous aviez rapporté des cas qui dépassent l’entendement. Seriez-vous les oreilles et le psy de parents dont les enfants sont tombés dans la drogue ?
J’ai vécu plusieurs cas désespérants. Il y a peu, des mamans m’ont approché et m’ont dit qu’elles ne pouvaient plus supporter que leurs fils se droguent et battent leurs épouses. Pourtant, à Maurice, les relations entre belle-mère et belle-fille ne sont pas toujours au beau fixe. Une maman m’a dit qu’elle ne pouvait plus supporter que sa bru soit aussi maltraitée et qu’elle comptait tuer son fils et se suicider ensuite. Il y a eu une médiation, des conseils, des pourparlers. C’est pour cela que mon numéro de portable est accessible à tous. 

Je demande à ceux qui souffrent de frapper à ma porte, je vais intervenir et aider du mieux que je peux. Mais je ne peux pas faire de miracles, je ne suis qu’un travailleur social.

Sans faire de « blame game », ces dernières années ont vu s’accroître la consommation de drogues. Ce n’est même plus du cannabis, mais des drogues chimiques comme « Ben Laden », « Tap dan latet », et autres. Comment se battre contre cela ?
Ce qui arrive dans notre pays est alarmant et effrayant, avec cette drogue synthétique. Les barons de la drogue utilisent des matériaux en provenance de quincailleries, notamment le Zilazine, un produit qui vous fait vous endormir, utilisé par des soldats au front lorsqu’ils sont épuisés pour qu’ils puissent se reposer artificiellement. 

Une toute petite dose de Zilazine peut tuer ou vous endormir à jamais. Ils mélangent n’importe quoi pour augmenter le volume et se faire de l’argent, au détriment de la santé de leurs clients, souvent très jeunes. Pour eux, c’est le cadet de leurs soucis, car l’argent est devenu roi pour ces barons de la drogue.

Si on me fait l’honneur de mourir en martyr, tant mieux»

Il y a une féminisation et un rajeunissement des consommateurs de drogue. Comment cela est-il arrivé ?
Ally Lazer avait parlé du cas d’une jeune fille devenue mère et toxicomane à 16 ans. Et à 32 ans, elle est devenue grand-mère, car sa fille de 16 ans a pris le même chemin qu’elle. La drogue conduit à l’accoutumance et, une fois dans l’arène, vous ne pouvez plus vous en sortir, à moins d’être encadré et d’avoir la volonté.

Venons-en à votre nomination pour mener de nouveau le combat contre la prolifération de la drogue chez les ados, et notamment la drogue synthétique qui se vend à bas prix. Le Premier ministre a été élogieux, de même que Paul Bérenger, envers votre intégrité et votre désir d’apporter votre soutien à ce combat. Quel est votre sentiment ?
D’abord, c’est un honneur pour moi que le Premier ministre et le Deputy Prime Minister m’aient choisi pour mener le combat contre la prolifération de la drogue, qu’elle soit synthétique ou autre. Navin Ramgoolam m’a qualifié de « Tsar », et je suis très touché. En fait, ce que le gouvernement veut atteindre, c’est mettre un frein à cette drogue qui tue nos jeunes et les moins jeunes aussi.

Votre dernier combat, “one last for the road” ?
Je ne sais pas, mais je militerai jusqu’au dernier jour de ma vie pour combattre la drogue. Cette institution qui va être créée est un défi pour moi. 

Qui seront les soldats à vos côtés ?
Il y aura des hommes de terrain, il n’est pas question de rester au bureau à faire du bla-bla-bla. J’aurai autour de moi des personnes qui ont fait leurs preuves. Nous serons une « Dream Team » pour combattre la drogue. J’aurai carte blanche pour le choix de mon équipe, alors il y aura des professionnels qui connaissent le terrain et les problèmes liés à la drogue. Mon équipe ne sera pas composée de bureaucrates, mais d’hommes et de femmes d’action.

Cette institution, appelée à remplacer la National Agency for the Treatment and Rehabilitation of Substance Abusers (NATReSA), aura un concept nouveau et une approche holistique, selon ce que l’on a cru comprendre. Quels sont vos objectifs premiers? 
D’abord, la NATReSA a bien fait son travail, mais il faut tout remettre à plat, car les temps ont changé et les méthodes des barons de la drogue ont également évolué. Selon ce que j’ai compris, la nouvelle institution aura de nouvelles possibilités, car les stratégies des barons de la drogue ont changé et ils sont à la pointe, que ce soit dans le monde ou à Maurice. Là où ils peuvent corrompre, ils n’hésitent pas, qu’ils soient ministres, présidents ou autres. L’argent n’est jamais un problème pour eux.

Auriez-vous déjà un plan de travail dans un premier temps ? Où attaquer et qui viser : les ados, les jeunes adultes, les étudiantes, les adultes accros, les barons ? Vaste programme, on imagine…
Malgré la compétence que possède la « Dream Team » qui sera mise en place, nous n’avons pas de baguette magique. Nous n’allons pas sous-estimer nos adversaires, qui demeurent des marchands de mort. La mafia a infiltré nos institutions. 

Lors de la Commission d’enquête sur la drogue dont j’étais l’un des assesseurs, on avait émis des dizaines de recommandations, et 10 %, officiellement, n’ont jamais été mises en pratique. Cela fait 46 « loop holes », soit un cadeau pour la mafia. Durant cette Commission d’enquête, j’ai reçu trois menaces de mort, mais ce ne sont pas les mafieux qui décident de ma mort. Et ils le savent.

La police sera obliga-toirement aux côtés de votre unité. Auriez-vous le courage de démanteler des gangs de mafieux connus ?
Je suis prêt au combat…

Vous jouez à la roulette russe en vous attaquant à des trafiquants qui n’ont aucun scrupule. Bénéficierez-vous d’une protection, de même que les autres membres de votre « Dream Team » ?
J’ai demandé à être protégé, de même que mes collègues et le bureau, car je sais que nous allons nous en prendre à des adversaires puissants. Ils savent qui je suis, tout comme l’ensemble de ma « Dream Team ». Maintenant, si on me fait l’honneur de mourir en martyr, tant mieux.

 

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