Forte de ses 32 années de combat en faveur des enfants, le directrice du Centre d’éducation et de développement pour les enfants mauriciens (CEDEM), estime qu’il est « grand temps pour un éveil et un réveil des consciences ».
Au Parlement le 20 octobre, Reza Uteem a évoqué un cas allégué d’abus sexuel sur mineure dans un abri pour enfants par le manager. Cela vous interpelle-t-il ?
Le cas interpelle certes, mais il faut des preuves. On ne sait pas ce qui se passe « behind closed doors ». Cela dit, ce ne serait pas normal s’il s’avère qu’on a abusé d’une mineure alors qu’elle se trouvait sous la protection de cet abri. Attendons, comme l’a souligné la ministre de l’Égalité des genres au Parlement, les conclusions du Fact-Finding Committee (FFC), institué au mois de mai dernier sur la gestion des abris.
Quid de ce cas précis ?
Ce cas requiert une attention urgente. Il faudra enquêter de manière objective et scientifique indépendamment du FFC. Ce n’est pas parce que le suspect est actuellement en liberté sous caution qu’il est forcément coupable. D’ailleurs, on a vu par le passé plusieurs cas où des accusés ont été innocentés.
Dites-vous cela parce que vous gérez vous-même un abri ?
Personne n’est à l’abri de telles allégations. Ce n’est pas facile de gérer un shelter pour mineurs. Dans ce cas spécifique, je constate qu’il y a beaucoup de ‘si’. Moi, Rita Venkatasawmy, je ne peux faire le procès de mes collègues. C’est pourquoi j’estime que le FFC doit venir avec des recommandations qui nous permettront d’améliorer la situation des enfants qui vivent dans des abris, loin de leurs familles.
La manière de procéder des médias vous dérange-t-elle ?
Pas du tout. Je suis moi-même une personne très médiatisée. La presse m’aide beaucoup dans le combat que je mène pour les enfants. Les journalistes ont le rôle d’informer la population et la société civile. Toutefois, certains cas spécifiques requièrent une attention et un traitement particulier. Il faut éviter le sensationnalisme quand on traite des sujets touchant les enfants.
Selon vous, un abri, détenteur de l’appellation « place of safety » délivré par les autorités compétentes, qui est ainsi pointé du doigt, voit-il son capital confiance entamé ?
Définitivement. Surtout quand la presse en fait état. Mais je redis qu’il faut faire très attention. Je vais partager avec vous un cas dont j’ai fait personnellement l’expérience, il y a quelques années. Trois de mes enfants avaient fugué. Quand j’ai fait ma déposition, j’ai demandé à la police de ne pas ébruiter l’affaire pour ne pas effaroucher les fugueurs. Entre-temps, j’ai activé nos réseaux pour les retrouver. Malheureusement, avant la fin de la journée, les radios privées ont diffusé la nouvelle. Je sais que la population a droit à l’information, mais il faut être responsable. Quand on a retrouvé les enfants, ils m’ont confié avoir eu plus peur quand ils ont entendu l’information à la radio.
Ne réagissez-vous pas ainsi parce que c’est votre abri qui était concerné ?
Non. Tous les abris dans le monde font face à des problèmes. Nous mentirions si nous disions que nous n’avons pas de problèmes de fugue et de violence. Il faut tout simplement savoir gérer.
Donc, n’est pas gestionnaire de shelter qui veut ?
Ce que je dis, c’est qu’il faut être fort, compétent et formé pour gérer un shelter.
Comment se protéger des allégations infondées ?
Il faudrait que tous les abris disposent des services d’un psychologue-clinicien qui pourrait détecter ce type de problèmes. C’est l’équipe en place qui doit s’assurer que tout est sous contrôle. Une formation adéquate est primordiale.
Pourquoi la gestion d’un shelter est-elle si compliquée ?
Pour la bonne et simple raison que les enfants les plus difficiles et les plus vulnérables de la société s’y trouvent et que le personnel manque de formation. Il y a des adolescents en conflit avec la loi et qui n’en font qu’à leur tête. Les enfants victimes d’abus peuvent aussi être auteurs d’abus. Croyez-moi, il faut beaucoup de patience. C’est là où la formation et les moyens ont toute leur importance. L’allocation que nous recevons ne nous permet pas de payer des éducateurs spécialisés pour travailler dans nos centres. Il faut que la population sache les difficultés que nous rencontrons.
Est-ce une des raisons pour lesquelles il y a si peu d’intérêt pour la gestion des abris ?
Effectivement.
Avez-vous fait part de ces difficultés à qui de droit ?
C’est de notoriété publique. à chaque fois qu’il y a un problème, la presse en fait état. Donc, on ne peut plaider l’ignorance. Les directeurs de shelters ne sont pas assez soutenus par les autorités. Il faudrait des réunions régulières et non nous convoquer uniquement quand il y a un problème. En tant que directrice du CEDEM, j’estime qu’il faut une structure qui nous soutienne davantage. Il y a des moments où nous craignons pour notre sécurité et celle de notre personnel. Tout compte fait, il faut rendre hommage aux ONG qui osent encore gérer des abris avec tout ce que cela comporte comme risques.
Quel constat faites-vous de la situation des enfants à Maurice ?
Je suis assez inquiète de la situation des enfants dans le pays. Il faut une politique nationale agressive pour promouvoir les droits des enfants. L’encadrement et la protection des enfants est l’affaire de tous. Les cas d’abus sexuels m’inquiètent beaucoup. J’ai l’impression qu’ils sont en hausse. Je suis tout aussi inquiète de la situation concernant la prostitution infantile à Maurice. Il est grand temps pour un éveil et un réveil des consciences.
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