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Risque de «rotating black-outs» - crise énergétique : ces erreurs qui ont mis Maurice à genoux

Clency Bibi souligne le rôle problématique des IPP et les risques liés aux solutions « précipitées » proposées par le gouvernement. Khalil Elahee préconise une transition énergétique intelligente, centrée sur la sobriété et l’investissement dans les énergies renouvelables décentralisées. Sunil Dowarkasing dénonce une absence de planification et un manque de vision.

Maurice s’approche dangereusement du recours aux « rotating black-outs », conséquence d’une gestion défaillante et d’un vieillissement critique des infrastructures énergétiques, selon des experts. Ils estiment qu’entre les retards stratégiques, l’absence de plan opérationnel et les tensions sur le réseau, la crise est le résultat d’une accumulation d’erreurs et d’un manque de vision. 

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L’alerte n’est pas nouvelle. Cela fait plusieurs années que Paul Bérenger prévient que Maurice court droit vers une crise énergétique sans précédent si rien n’est fait. Pas plus tard que le jeudi 7 août 2025, le Deputy Prime Minister a réitéré son avertissement lors d’une conférence de presse. Il a parlé du risque de devoir recourir à des « rotating black-outs » d’ici la fin de l’année. Il s’agit de coupures d’électricité programmées par zone. 

Ce scénario, déjà vécu en Afrique du Sud, est aujourd’hui une menace concrète pour Maurice. Comment l’île en est-elle arrivée là ? Des experts estiment que cette crise résulte d’erreurs stratégiques accumulées depuis des années, conjuguées à un vieillissement préoccupant des infrastructures et à une demande énergétique en constante hausse.  

Lors du point de presse, Paul Bérenger a souligné que l’absence d’anticipation et le retard dans la diversification du mix énergétique ont conduit le pays au bord du gouffre. Le dernier cadre stratégique, l’Integrated Electricity Plan (IEP) 2013-22, élaboré par le Central Electricity Board (CEB), a expiré en 2020 sans être remplacé. Ce plan visait à diversifier les sources d’énergie, limiter la dépendance à une seule source d’approvisionnement, limiter les risques liés aux fluctuations de prix ou aux ruptures de stock et intégrer des solutions durables. 

Mais aujourd’hui, aucune nouvelle stratégie opérationnelle ne guide la transition énergétique. La feuille de route « Renewable Energy Roadmap 2030 » ambitionne d’atteindre 60 % d’énergies renouvelables dans le mix électrique d’ici 2030. Sunil Dowarkasing, ancien conseiller en politiques énergétiques, confirme qu’il n’existe plus aucun plan opérationnel pour guider cette transition depuis 2022.  Il précise que les projets avancent de manière désordonnée et que les investissements structurants – qu’ils soient publics ou privés – sont à la traîne. « Sans stratégie claire, le pays navigue à vue, incapable de gérer les pics de consommation. Les erreurs de projection de la demande énergétique ont été manifestes et les ministres successifs ont tous, d’une manière ou d’une autre, failli à leur mission. La situation dans laquelle nous nous trouvons est le fruit de mauvaises décisions accumulées », dénonce l’ancien stratège de Greenpeace.

Poussant son analyse plus loin, il est d’avis que le CEB se trouve en difficulté parce qu’il a cessé d’être un acteur majeur de la production depuis 1997. « Avec un secteur désormais privatisé à 60 %, la catastrophe était inévitable », tranche-t-il. 

Sunil Dowarkasing estime que la fin prochaine des contrats liant l’État aux Independent Power Producers (IPP) pourrait rebattre les cartes, mais soulève aussi des interrogations sur les motivations politiques. « Entendre Paul Bérenger affirmer que le risque de black-out n’est pas à écarter, n’est-ce pas, au fond, une façon de dérouler le tapis rouge pour le projet de centrale à Saint-Louis ? » 

L’ancien stratège de Greenpeace dénonce un double déficit : celui de la vision et celui de la volonté politique. À ses yeux, ces lacunes ont contribué à placer Maurice dans un retard considérable en matière de transition vers une énergie verte et durable. 

Pour Khalil Elahee, président à temps partiel du conseil d'administration de la Mauritius Renewable Energy Agency (MARENA), la sortie de crise impose un changement de paradigme. « Réduire la consommation n’est pas un but ultime. Il faut apprendre à consommer autrement », affirme-t-il. Selon lui, les efforts doivent se concentrer sur la limitation des abus, surtout aux heures de pointe en soirée, lorsque la demande atteint son apogée.  Il préconise un investissement massif dans des installations photovoltaïques sur toiture, couplées à des batteries pour assurer l’approvisionnement après le coucher du soleil. Cette solution réduirait la pression sur le réseau et limiterait le risque de délestages partiels. « Si les solutions temporaires comme les powerships ou turbines à gaz mobiles échouent, les coupures, notamment en été entre 18 heures et 21 heures, deviendront inévitables », souligne Khalil Elahee.  Mais la maîtrise de la demande ne se résume pas à réduire la consommation, selon lui. Il précise qu’elle doit s’appuyer sur une efficacité énergétique accrue, combinant sobriété, décentralisation, décarbonisation, digitalisation et démocratisation du système énergétique. « Il ne s’agit pas seulement de consommer moins, mais de consommer de manière plus intelligente », insiste Khalil Elahee. 

Du côté des syndicats, Clency Bibi, président de la General Workers’ Federation, attribue la crise à un manque de prévoyance chronique depuis plus de deux décennies. Il dénonce l’ingérence du ministère des Services publics dans les décisions stratégiques du CEB, freinant toute extension significative de ses capacités de production. Il critique aussi le rôle dominant des IPP, qui fournissent aujourd’hui 57 %
de l’électricité à un coût souvent supérieur à celui du CEB, tout en bénéficiant de contrats avantageux, notamment sur la bagasse. 

Pour répondre à la demande croissante et compenser le vieillissement des équipements, le gouvernement a évoqué le recours à une barge flottante de 100 MW. Clency Bibi met toutefois en garde contre cette solution précipitée, coûteuse et potentiellement nuisible pour l’environnement et les riverains.  Il recommande plutôt des générateurs mobiles, en complément des centrales existantes de Fort George et Fort Victoria, pour assurer une transition plus souple, le temps que de nouvelles unités soient opérationnelles. Il plaide aussi pour un mix énergétique équilibré, mêlant sources renouvelables et « base load » stable, à l’image de La Réunion, qui intègre déjà biocarburants et biomasse dans son réseau.

Le Défi Quotidien a tenté d’entrer en contact avec le ministre de l’Énergie et des Services publics, Patrick Assirvaden, pour recueillir sa réaction. Mais il est resté injoignable. Pendant ce temps, hôtels et gros consommateurs sont appelés à faire tourner leurs générateurs privés à leurs frais pour ne pas surcharger le réseau. Une solution de fortune symptomatique d’un système électrique en décalage avec les besoins réels du pays. La crise énergétique, palpable et imminente, met à nu l’écart entre les discours et la réalité du terrain.
 

 

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